Le contexte de l’enseignement de la traduction professionnelle et les pratiques d’enseignement cible de nombreuses critiques
Au Québec, la traduction professionnelle s’enseigne de façon systématique en milieu universitaire depuis le début des années 1970 (Delisle, 2005). Son institutionnalisation, c’est-à-dire son enseignement selon un programme spécifique dans un institut de formation universitaire (Lambert, 2013), a permis la professionnalisation du métier de traducteur (Echeverri, 2008), l’uniformisation des pratiques traductionnelles ainsi que l’avancement de théories de la traduction . À l’échelle internationale, le nombre de structures éducatives en enseignement de la traduction a particulièrement augmenté à la suite de la publication de la Déclaration de Bologne en 19991. Ensuite, le réseau des instituts de formations des traducteurs et interprètes a intégré le milieu universitaire (Lambert, 2013) . Tous ces évènements furent profitables pour la profession, car traduire est un acte de communication complexe (Durieux, 2005) qui implique plusieurs habiletés et une vaste gamme de connaissances générales et spécialisées qui ne sont pas uniquement liées aux langues et doivent s’apprendre à travers à une formation réfléchie et organisée. Conséquemment, les traducteurs professionnels doivent acquérir les connaissances et développer les compétences requises pour traduire à un niveau de qualité élevé comme le recommande le Comité sectoriel de l’industrie canadienne de la traduction (CSICT) dans son rapport de 1999. La formation qu’ils reço ivent à l’ université leur permet de construire un «agir professionnel 2» (Maubant et coll., 2009) qui n’est pas que théorique et nécessite donc une grande part de pratique guidée. Au cours des dernières décennies, le domaine de l’enseignement général a aussi vécu plusieurs changements, tant du côté des technologies que des méthodes d’enseignement (didactiques et pédagogiques) .
Cependant, l’évolution du milieu de l’enseignement de la traduction semble être au ralenti. Si on compare l’enseignement de la traduction à l’université au Québec avec l’enseignement général dans le système d’éducation québécois, qui a été réformé aux niveaux primaire, secondaire et collégial au cours des années 1990, la réforme de l’enseignement tarde à atteindre le niveau universita ire pour la majorité des disciplines à l’exception des sciences de l’éducation et des sc iences infirmières (FSI UdeM, 2010) qui ont adopté la formation par compétences dans les années 2000 (Formation des maîtres, MELS) . Il est intéressant de savoir que la formation initiale des futurs enseignants est basée sur un référentiel de 12 compétences qui facilite la préparation du contenu à enseigner et l’évaluation des étudiants, un outil qui pourrait potentiellement soutenir le travail des formateurs en traduction. Selon Delisle (2005) et Echeverri (2008), entre autres, il appert que les pratiques d’enseignement en traduction les plus utilisées demeureraient les performances magistrales accompagnées d’exercices pratiques corrigés en groupe avec la version « idéale» du formateur. Malgré toutes les avancées des connaissances des sciences de l’éducation, l’approche traditionnelle d’enseignement de la traduction demeure centrée sur l’enseignant. L’enseignement magistrocentré ne privilégie pas les méthodes d’enseignement-apprentissage actives qui favorisent le développement d’apprentissages plus en profondeur. A contrario, le socioconstructivisme est une approche qui permet aux apprenants de faire des apprentissages plus significatifs (Kiraly, 2000; Reynald, 2011) . Il est plus pratiqué aux autres niveaux d’enseignement grâce à des activités d’apprentissage centrées sur les apprenants. Celles-ci sont basées sur la construction des savoirs en situations authentiques et collaboratives (par projet, par compétences, par modules de recherche, etc .).
Analyse des résultats
Mon premier objectif consistait à découvrir qui sont les formateurs canadiens et étrangers qui s’adonnent à la recherche en enseignement de la traduction professionnelle et quels sont leurs sujets de recherche afin de me situer dans le milieu de la recherche en enseignement de la traduction professionnelle au Canada. En examinant les résultats, j’ai trouvé quelques chercheurs qui travaillent dans le domaine de l’enseignement de la traduction en général. Au Canada, celui qui a fait paraître le plus sur l’enseignement de la traduction est Jean Delisle. Il est l’auteur de La traduction raisonnée – Manuel d’initiation à la traduction professionnelle de l’anglais vers le français, L’Enseignement pratique de la traduction, Les traducteurs dans l’histoire, entre autres. Il y a également Egan Valentine qui a travaillé sur l’élaboration des programmes de formation et qui a publié un manuel sur la stylistique comparée. Marco Fiola a étudié les éléments (les apprenants, les formateurs, le savoir et les ressources matérielles) qui exercent un effet sur la composition des programmes universitaires et a collaboré sur la plus récente version de La traduction raisonnée avec J. Delisle. Il y a aussi Éric Poirier qui a travaillé sur les communications vidéo asynchrones (CVA) pour l’enseignement en ligne. Ses observations lui ont permis de constater que les CVA améliorent les relations entre le formateur et les apprenants en réduisant la distance entre eux et en ajoutant une touche d’humanité aux cours en ligne (Poirier, 2015). Il, appuie ses postulats sur des approches et des techniques d’enseignement comme le scoffo/ding ou les activités d’apprentissage actif. Isabelle Collombat qui a étudié les différences entre l’erreur et la faute dans l’évaluation pédagogique facilitant la pratique du doute méthodologique en traduction, propose l’utilisation des fautes de manière fructueuse en tant qu’objet pédagogique tout en augmentant la confiance en soi des apprenants (Collombat, 2009) . De même, Alvaro Echeverri, qui a effectué des recherches sur la métacognition en enseignement de la traduction, a identifié dix facteurs métacognitifs qui facilitent l’intégration des stagiaires de traduction à leurs contextes d’apprentissage en milieu de travail (Echeverri, 2008).
En Europe depuis 1997, un groupe de recherche de Barcelone, le PACTE (Proceso de Adquisicién de la Competencia Traductora y su Evaluacién) travaille sur un projet à long terme visant à mieux connaître le processus d’acquisition et d’évaluation de la compétence traductionnelle. Le groupe a un nombre important de publications à son actif et des membres comme Amparo Hurtado Albir (directrice du projet) et Nicole Martfnez Melis, entre autres, publient régulièrement. Il y a également, en Allemagne, l’auteur Don Kiraly qui explore le socioconstructivisme dans son enseignement de la traduction professionnelle depuis plusieurs années déjà. Un fait a attiré mon attention. J’ai constaté qu’il y a un plus grand nombre de textes qui traitent de thèmes pédagogiques que de thèmes didactiques, et parfois le titre de l’ouvrage contient le terme «didactique», mais le texte traite plutôt de pédagogie (ce qui concerne la relation entre le formateur et les apprenants plus particulièrement en classe. Ces termes seront définis plus loin). J’ai également noté que les concepts fondamentaux de la didactique générale, dont je traite plus en détail dans le chapitre des fondements théoriques, figurent rarement dans les écrits des traductologues. Peu d’auteurs font référence aux pionniers des sciences de l’apprentissage comme Piaget (étapes du développement de l’enfantL Vigotsky (socioconstructivisme, zone proximale de développementL Skinner et Watson (comportementalisme) ou Brousseau (situation didactique) . Les traductologues parlent peu de concepts comme la transposition didactique, le contrat didactique ou les pratiques sociales de référence; à l’exception de Fiola (2003) qui traite de la situation didactique, de Lederer (2016) qui appuie la théorie interprétative de la traduction sur le concept d’assimilation/adaptation de Piaget et de quelques autres.
Contenu théorique Un formateur qui enseigne l’introduction à la traduction technique affirme que certains savoirs sont des savoirs stables dans le temps et qu’il n’a pas à les mettre à jour tous les ans (P9). Pour d’autres disciplines, c’ est tout le contraire. Certaines évoluent très rapidement et il est nécessaire de rester « branché». C’est particulièrement le cas du participant 12 qui enseigne l’utilisation des outils d’aide à la traduction au DESS. Il doit toujours demeurer à l’affût de derniers développements du domaine et doit choisir le contenu le plus pertinent. Les sources de savoirs référents varient d’un participant à l’autre. Il n’y a que quelques participants qu i ont affirmé puiser leur contenu de référence dans les recherches scientifiques. Le participant 12 est le seul participant à m’avoir dit d’emblée que son contenu provient de ses lectures d’ articles scientifiques. Le participant 12 est natif d’Europe. Il a étudié les recherches du groupe catalan PACTE et connaît leur concept de l’acquisition des compétences traductionnelles.
Cependant, certains participants, comme les participants S et 7, disent consulter des revues de traduction comme Circuit, META, ou TTR en répondant à une autre question. Il est possible qu’ils aient interprété la question d’une manière qui ne considérait pas Meta et TIR comme des revues scientifiques. Je ne l’ai pas constaté durant les entretiens et je n’ai donc pas demandé de précisions. Meta et TIR sont des revues reconnues comme étant scientifiques et Circuit est le magazine de l’OTTIAQ. Or, s’ils les consultent, il est possible que les formateurs en tirent du contenu pour utiliser dans leur enseignement. Parmi les éléments théoriques à enseigner, les formateurs-participants ont parlé d’analyse du discours, de l’importance d’être capable de nommer des caractéristiques textuelles ou des difficultés de la traduction et d’analyse du texte et de dépouillement de texte pour de relever des difficultés ponctuelles. Le participant 1 donne des lectures (à la maison) sur le contenu théorique. Souvent, ce sont des articles de type scientifique (ex. : théorie interprétative de Seleskovitch, l’analyse de texte de Nord, le Scopos de Vermeer, le polysystème d’Even-Zohar) ou d’autres textes qui ont des liens avec le marché du travail (afin que les étudiants développent le vocabulaire de la profession) et qui proviennent de revues de traduction.
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