Hybrider est-il une nécessité ou une contingence ?
L’accroissement des besoins sociétaux et la raréfaction des ressources entraînent un “effet ciseau” pervers créant une nouvelle logique où les associations réinventent leurs modèles socio-économiques (Le RAMEAU8). Cette logique devenant un choix stratégique au sein de l’associatif (Annexe 1). La notion d’hybridation des ressources trouve en France son origine depuis la théorisation de l’économie solidaire (Polanyi, 1975) ; mais son usage a tendu à se développer depuis la restriction des financements publics des associations et d’une certaine approche socio-libérale de l’économie. Son usage a négligé, dans ce contexte, la réciprocité9, marquant l’originalité de l’ESS. Nous nous concentrons donc plus spécifiquement sur les associations présentent dans l’ESS pour nos recherches. Ce sont les travaux de Karl Polanyi (1975 ; 1983) qui ont initiés la conceptualisation de l’économie solidaire dans sa dimension socio-économique ; ainsi permettant de dépasser l’approche marchande de l’économie (souvent ne permettant pas d’appréhender les spécificités économiques d’initiatives solidaires). La définition formelle de l’économie privilégie les mécanismes entre offre et demande des biens et services échangés en situation de rareté tandis que Polanyi préfère l’approche substantive de l’économie, c’est-à-dire : la dépendance de l’homme par rapport à la nature et à ses semblables. L’approche plus contemporaine (Eme & Laville, 1994 ; et Gardin & Laville, 2017) tend au fait de ne pas assimiler l’économie au marché, et, que la place de celui-ci est à relativiser du fait des rôles joués par les mécanismes de réciprocité et de redistribution (Annexe 2).
Cette réciprocité joue un rôle central dans l’hybridation des ressources de l’économie solidaire. Celle-ci peut être définie comme “l’hybridation des ressources de trois pôles qui caractérisent les trois types d’organisations des activités économiques à savoir le marché, la redistribution, et la réciprocité” (Drapéri, 2011). Cette démarche d’explication est tout à fait pertinente pour la suite car elle met en avant les ressources réciprocitaires, si importantes pour la résolution de notre problématique. Les initiatives solidaires se créaient grâce à cette impulsion réciprocitaire, avec comme base, l’implication volontaire des bénévoles et l’implication des salariés, par un apport (= impact social) non monétaire et en conséquence difficilement mesurable. Malgré le rôle non dominant de la redistribution dans nos économies modernes, elle reste centrale et s’appuie notamment sur la démocratie. Ceci permettant la gouvernance associative que nous évoquerons dans le second Titre. Tout comme les entreprises capitalistiques, les initiatives solidaires mobilisent des ressources de cette redistribution. La croissance de la commande publique au détriment des subventions publiques tout comme un certain retrait des niveaux de cotisations (Tchernonog, 2018 ; et Prouteau, 2019) qui est constaté depuis de nombreuses années, nous fait remarquer une logique empruntée au secteur marchand mis en avant par les pouvoirs publics.
Le net renforcement de l’hybridation des ressources est globalement appréhendé, au travers des recherches, par rapport à la mobilisation croissante des financements privés. Elle est donc une vision différente de Laville et Sainsaulieu (2012) qui corrèle hybridation et implication bénévole. L’approche financement est confirmée par l’étude menée par la société KPMG10 ou encore par le rapport de Laurent. G et Pierre. R.11. Le modèle socio-économique ici s’intéresserait donc à la nature du besoin plutôt que la place du bénéficiaire et, où, la hiérarchisation des comportements économiques n’existerait pas. Nous l’avons compris, pris entre deux options de taille, le monde associatif se retrouve à choisir entre : UNE DEPENDANCE FORTE DES SUBVENTIONS PUBLIQUES ; au risque de réduire la voilure de leur activité générale, ou bien, de maintenir voire POUSSER LEUR DEVELOPPEMENT, d’hybrider leurs ressources. Dans l’article de recherche de Rousselière et Bouchard12, un effet dit ambivalent est soulevé : bien que les organisations sociales non hybrides (coopératives agricoles exclues) les moins subventionnées ont un risque important de mortalité, il s’agit des plus subventionnées qui ont la mortalité la plus élevée. Hybrider en innovant est donc peut être le moyen d’aller plus loin pour assurer une croissance pérenne et positive. Hsu et Hannan (2005) ont démontré que les organisations sociales ont mieux survécu à la crise de 2008 du fait d’un effet marchand : leur longévité tiendrait non pas au retour sur capital mais plutôt grâce à leur recherche permanente de pérennisation de leur(s) activité(s).
Les trois leviers du modèle socio-économique indispensables et complémentaires pour une hybridation “réussie” : cas de 3 associations La pluralité de ressources nous l’avons vu est l’axe majeur de l’hybridation. Les leviers du modèle socio-économique sont organisés de sorte à augmenter les ressources et/ou à réduire les coûts. Des solutions sont synthétisées dans l’Annexe 6. En revanche, les leviers choisis et enclenchés ne sont pas neutres sur le projet. Ils demandent généralement des compétences particulières et un pilotage des risques adapté lorsqu’il s’agit des ressources financières notamment (Annexe 7). Parmi les trois leviers du modèle socio-économique d’une organisation d’IG, le principal est l’engagement (Festinger, 1957 ; Kiesler, 1971 & Salancik, 1977 ; et Beauvois & Joule, 1998). Nous parlons d’IG par rapport aux travaux de Rameau, mais notre cadre théorique permet de supputer que ces trois leviers sont les mêmes pour toutes les associations non reconnues d’IG. L’engagement est fondamental pour la poursuite de l’objectif social de l’association, la compréhension du modèle de fonctionnement et des besoins financiers ou encore, la recherche d’efficacité et efficience. Des associations telle que la “cravate solidaire” l’ont bien compris. En fonction du degré d’implication, le modèle socio-économique ne s’articulera pas de la même manière. Les structures associatives employeuses consacrent tout de même 60 à 80% de leur budget dans le poste de coûts salariaux.
Ensuite, par ordre d’importance, le second levier correspond aux ressources financières (Marchesnay, 1994) ; qui recouvrent pour leur part deux logiques distinctes, à savoir : l’investissement et le financement. Nous pouvons citer “Les Restos du Coeur” ou Emmaüs par exemple. Enfin, vient le troisième et dernier levier : la stratégie d’alliance (Blanc & Fare, 2012 ; et Barré, 2013). Cette dernière impacte de manière significative le modèle en fonction de ce qui sera mis en place. Il est remarqué au travers des différentes recherches et enquêtes menées que la capacité de l’organisme non lucratif à réaliser “son action en synergie avec d’autres, voire à mutualiser les moyens, a en effet une influence très forte sur ses besoins et la manière de capter les ressources nécessaires” (Le RAMEAU, 2019). Citons Villages Clubs du Soleil ou encore Sport dans la Ville. Cette orientation stratégique a été insufflée par un vent entrepreneurial (nous dirons même une orientation entrepreneuriale) et met en exergue le principe de “vision stratégique” de Hamel et Prahalad (1995) avec l’analogie de l’arbre. Cette vision stratégique représente ce qu’une structure aspire à long terme et conditionne la manière dont les ressources vont être utilisées et déployées. Les associations qui ont hybridé avec des alliances et partenariats ont compris que ces derniers étaient intimement connectés avec le premier levier, à s’avoir “l’engagement”. D’ailleurs, la conception “en commun” apparaît comme l’une des priorités des entrepreneurs sociaux (Annexe 8). Dans une organisation, afin de produire ses effets escomptés, la vision stratégique, doit être partagée par ses membres. La question de la gouvernance intervient. Finalement, ces trois leviers : richesses humaines, ressources financières et stratégies d’alliances/partenariat permettraient de se doter d’une vision systémique pertinente dans le but de mieux comprendre la structuration des projets sociaux. De plus, ils permettraient le renforcement des interactions et des impacts tant en interne13, qu’en externe14. Cependant, les associations citées, ont-elles intégré l’innovation lors du déroulement systémique ; c’est ce que nous allons tenter de voir.
Création de valeur : une empreinte collective et entrepreneuriale pour un impact positif optimal On entend souvent parler de création de valeur en entrepreneuriat (dans le secteur lucratif) ou impact positif (en association). Elle a notamment été reconnue et identifiée telle au travers des travaux de Gartner (1990). Nous décidons de partir du modèle de la chaîne de valeur de Michael Porter (Annexe 11) pour introduire le sujet d’opportunité et d’impact positif, et comprendre leur intégration au sein du tissu associatif. Michaël Porter considère que la “responsabilité sociétale” n’est pas le supplément d’âme d’un entrepreneur philanthrope, mais le principe structurant d’un modèle économique durable”15 (Annexe 12). Porter et Kramer16, en disant que la chaîne de valeur est dépourvue d’éthique par la présence d’une finalité de résultat bénéficiaire, ne vont pas au bout de la dimension systémique de leur raisonnement. La valeur partagée, quoi qu’en disent les deux auteurs, n’est pas privée d’une dimension éthique : partager la valeur en vue du “bien commun”. La suspendre en revanche pour une dimension plus systémique peut apparaître comme pertinent ; c’est-à-dire que chaque acteur économique et social seul poursuit une finalité personnelle, tout en maximisant la valeur qu’il estime lui revenir et son impact social qu’il a en commun avec les autres, permettant aussi la soutenabilité de la chaîne de valeur. L’objectif de la chaîne de valeur étendue est finalement de mettre en exergue l’apport de certains acteurs non reconnus par leur action. Adopter ce point de vue permet de construire une approche stratégique du projet social. […] Lutter contre la pauvreté, la maltraitance ou le chômage de longue durée est la raison d’être éthique de l’action. Mais l’organisation de l’action, le choix de l’échelle, des moyens, des alliances, du calendrier, doit mobiliser l’analyse de la chaîne de valeur.
La différence majeure avec le concept de Porter est que cette chaîne de valeur ne génère pas une marge mais régénère les ressources du bien commun. On peut, sur cette base, imaginer un dérivé “social” du schéma de Porter17 (Annexe 13). L’impact social (ou création de valeur) afin d’être optimisé et pérennisé doit être réparti entre les différents acteurs du monde associatif afin d’augmenter sa valeur globale, et sur le long terme, augmenter sa propre part (=shared value). Des recherches démontrent, et notamment ceux de l’Avise, qu’il est nécessaire d’évaluer l’impact social pour : les financeurs privés afin de diversifier les ressources des associations, pour la puissance publique afin d’être mieux reconnue et pour pouvoir prétendre aux nouvelles formes de financements. L’incubateur INCO18démontre dans son rapport annuel sur l’impact social, l’intérêt de le mesurer pour ensuite parvenir à un dialogue et faire évoluer les business model. Ces changements de business model attirent bien généralement l’oeil des financeurs s’ils ont été pensés pour répondre de façon plus pertinente et meilleure aux enjeux environnementaux et sociétaux. Investir dans l’associatif redore l’image de certains investisseurs ; chacun peut y trouver son compte. La ville de Brest a en 2014 “impulsé une démarche d’appréciation de l’US (=Utilité Sociale)” (Mode d’emploi – Evaluation de l’impact social, Avise, 2017). L’association Voisin Malin y a participé. L’annexe 14 indique et précise cette démarche.
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