Positionnement épistémologique et type de recherche
L’épistémologie vient du grec épistèmê, qui signifie science; et de logos qui signifie étude. Pour Girod-Séville et Perret (dans Thiétart, 1999), «l’épistémologie a pour objet l’étude des sciences. Elle s’interroge sur ce qu’est la science en discutant de la nature, de la méthode et de la valeur de la connaissance» . La réflexion épistémologique est donc inhérente à toute recherche comme le souligne Martinet (1999) «la réflexion épistémologique est [ .. . ] consubstantielle à toute recherche qui s’opére.». Avoir une idée de ce que l’on recherche est donc un avantage dans tout cheminement scientifique. Pour certains auteurs comme Northrop (dans Thiétart, 1999) «la science [ .. . ] ne commence pas avec des faits et des hypothèses mais avec un problème spécifique». En effet, il existe trois grands paradigmes épistémologiques auxquels le chercheur peut s’identifier pour mener sa quête du savoir: le paradigme interprétativiste, le paradigme constructiviste et le paradigme positiviste. Dans un cadre positiviste, il existe une réalité concrète, indépendante de toute opinion, qui attend d’être découverte. Pour l’interprétativiste ce sera avant tout de comprendre cette réalité et pour le constructiviste, il sera essentiellement question de construire cette réalité. Dans notre recherche nous utiliserons, une démarche que l’on pourrait qualifiée d’interprétative. Nous privilégions l’idée selon laquelle le processus de création de connaissances passe par la compréhension du sens que les acteurs (dont nous sommes dans le cadre de cette étude) donnent à leurs milieux.
Les critères de validité diffèrent selon que l’ont adopte tel ou tel autre paradigme et dans une démarche interprétative, il est important de bien préciser la démarche utilisée, la manière de décoder l’information donnée par les acteurs en présence et de bien valider cette information. Le chercheur interprétatif s’efforce ainsi de comprendre le phénomène de l’intérieur pour tenter d’appréhender les significations que les gens accordent à la réalité. L’avantage de cette démarche interprétative est qu’elle nous permettra une compréhension riche de la gestion de projet en milieu hostile car elle privilégie les entrevues comme mode de collecte des données (Savoie-Zajonc, in Gauthier, 2003). Il s’agira d’une recherche exploratoire et qualitative à l’intérieur de laquelle nous allons adopter une logique abductive, basée sur une étude de cas. Le choix de la recherche qualitative trouve son fondement dans le souci de comprendre la réalité des faits. En recherche qualitative, le chercheur met l’accent sur les processus et les significations de la réalité et non pas seulement sur la mesure de celle-ci. Sur le plan épistémologique, il recherche généralement la nature subjective de la réalité. Quant au choix de la logique abductive (figure 1), elle a pour but de faire une conceptualisation selon les faits établis par l’observation du chercheur, c’est ce dont ce travail va s’évertuer de faire ressortir.
La nécessité de contextualiser la gestion de projet
Le « modèle standard }) de gestion de projet, formalisé aujourd’hui par le PMI , s’est affirmé dans l’ingénierie des grands projets jusqu’à la fin des années 1970. La notoriété de ce modèle a notamment atteint son paroxysme lorsque son utilisation permit aux Américains de gagner la course à la lune alors qu’ils accusaient un sérieux retard sur les Russes en 1961 3 . Ce mode de gestion a alors été amplement adopté par les industries de grandes séries. Ce modèle va néanmoins être remis en question dès la fin des années 1980 car les entreprises occidentales ayant adopté ce mode de gestion ne sont clairement pas à la hauteur de leurs homologues japonais en termes de rapidité, de qualité et d’innovation. C’est ainsi qu’au cours des deux dernières décennies, nous avons assisté à l’émergence de nouvelles démarches en gestion de projets. La première nouveauté majeure est l’ingénierie simultanée qui réduit de manière significative les délais de mise à disposition d’un produit sur le marché. La seconde, plus récente, est défendue par plusieurs spécialistes: «Gérer un projet comporte une dimension entrepreneuriale. Dans la vision moderne, un directeur de projet, partant d’un probléme, mobilise les acteurs, mais plutôt que d’appliquer des méthodes, il choisit et adapte des méthodologies en fonction de la singularité du probléme». « Chercher une solution à un projet par l’enveloppe de réponses standards est généralement trés sous optimal (les « produits de comités »), lorsque cela ne conduit tout simplement pas à l ‘abandon pur et simple du projet. » Vincent Giard, 1996 « Les approches de la gestion de projet traditionnelle sont modelées sur la gestion de projet d’ingénierie et de construction. Elles se basent sur un ensemble d’hypothéses qui sont de moins en moins pertinentes face au monde chaotique et ambigu dans lequel évoluent les organisations de ce nouveau millénaire» Rob Thomsett, 2002
Ainsi la contextualisation de la gestion de projet apparaît aujourd’hui comme une nécessité fondamentale. Il ne s’agit pas pour le gestionnaire d’aborder le management de projet comme quelque chose qui va de soi ou qui serait décontextualisé d’un champ professionnel et d’un contexte. Cette idée est largement soutenue par le constat récurrent des dépassements de coûts et de délais dans de nombreux secteurs. Entre 1977 et 1999, Michael Mah, de OMS Associates, a sondé 210 projets dans diverses entreprises du secteur privé. Le constat est significatif : 40% étaient en retard en moyenne de 67% et 30% accusaient un dépassement budgétaire en moyenne de 127% ! 4 Plus récemment en 2007, le Groupe Novations, une firme de consulting basée à Boston, a réalisé un sondage sur le respect des coûts et délais auprès de 2000 entreprises américaines oeuvrant dans des secteurs divers et variés. Le résultat montre que 41 % d’entre elles ne respectent pas fréquemment les budgets et les échéances des projets, Pire, pour 24% c’est une habitudes. Par conséquent, les méthodes usuelles de gestion s’avérent déjà parfois inadaptées dans des contextes que nous pourrions qualifier de stables.
Qu’advient-il des projets réalisés dans des environnements plus chaotiques tels que l’informatique ou les télécoms? Dans ces secteurs, le constat de l’inadéquation du « modéle standard }) de gestion s’avère encore plus flagrant. C’est d’ailleurs ce que souligne le rapport Chaos du Standish Group dresse un piètre tableau de la conduite des projets informatiques6 . Reposant sur un échantillon représentatif de 13 522 applications, cette étude établit que 34% seulement des projets recensés sont conformes aux prévisions initiales, que 15% ont été purement des échecs, que 23% présentent un dépassement des coûts inférieur à 20% et que la moyenne du dépassement des coûts est de 43% de la dépense. La perte due au dépassement de coût représente alors plus de 30% des dépenses. Au regard de ces résultats alarmants, il est donc impératif que les gestionnaires apprennent à faire face à des environnements hostiles. Nous verrons donc par la suite quelles sont les méthodes et les attitudes adéquates. Mais tout d’abord nous allons nous pencher sur ce qui caractérise un environnement hostile.
La pauvreté
Nous commençons par ce facteur car la pauvreté est sans aucun doute l’un des critéres le plus significatif de l’hostilité d’un environnement. En effet l’hostilité est directement proportionnelle à la pauvreté de l’environnement. Comme le mentionne G. Verna dans sa définition , l’hostilité est présente dès que l’environnement dans lequel l’entreprise évolue ne peut pas lui donner ce qu’elle a été habituée à recevoir dans son environnement d’origine. Autant dire que pour des organisations occidentales qui sont habituées à évoluer dans un contexte stable et serein, l’environnement peut rapidement devenir hostile. La pauvretè d’un pays peut apparaître sous plusieurs formes, la plus évidente étant la pauvreté de la population . Les raisons de cette pauvreté sont multiples et complexes. Certains pays sont prisonniers d’un cercle vicieux, devant emprunter pour rembourser leurs dettes, d’autres sont soumis à des régimes totalitaires ou des embargos. Quelques qu’en soient les raisons, l’hostilité peut devenir extrême lorsque la population d’un pays potentiellement riche se sent abusée. Un exemple concret et actuel est celui du Nigéria. Premier producteur de pétrole en Afrique sub-saharienne, onzième à l’échelle mondiale, troisième PIB du continent, le pays doit paradoxalement faire face à des pénuries récurrentes en carburant! La présence de l’or noir est certainement une richesse pour le pays et pourrait être perçue comme une bénédiction.
Toutefois, en y regardant de plus près, le pétrole a été à l’origine des grandes catastrophes du pays avec la guerre du Biafra (1967-1970) ou des famines résultant l’abandon partiel de l’agriculture au profit du l’économie tout pétrole 11. Il est également la source des principaux maux qui freinent le développement du pays : la corruption et l’injustice sociale. Amnesty International évoque notamment la violation des droits fondamentaux de la population (dégradation de l’environnement, expropriation … ) en raison de certaines pratiques d’exploitation des compagnies pétrolières étrangères et de la non intervention de l’État12 . Le ressentiment généré par une telle situation se transforme rapidement en hostilité. Elle se traduit principalement par l’enlèvement d’expatriés et le sabotage des installations pétrolifères. Pour assurer leur sécurité, les compagnies étrangères se tournent vers l’État qui privilégie la répression à la discussion. Les populations locales se sentant alors abandonnées par leurs propres dirigeants, les actes de violences s’amplifient. Là encore un cercle vicieux s’instaure. Dans les pays en voie de développement la pauvreté reste difficile à combattre car elle est au coeur de plusieurs engrenages comme nous le présente la figure 2 suivante :
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