Instabilité du système financier international
Les événements récents mettent en évidence la difficulté chronique des marchés financiers à recycler l’épargne des pays développés vers les pays en développement. La crise asiatique illustre ainsi les dysfonctionnements récurrents d’un modèle de financement reposant sur la conjonction dangereuse d’une intermédiation bancaire insuffisamment régulée et de systèmes de change excessivement rigides.
D’une part, le contrôle exercé par le secteur bancaire sur la qualité des investissements financés s’est avéré très imparfait dans la plupart des pays asiatiques en crise (bulle spéculative dans l’immobilier de nombreux pays,
excès d’investissement productifs en Corée). Les raisons de cette défaillance sont multiples : excès d’optimisme sur les perspectives économiques après de nombreuses années de croissance exceptionnelle, relations trop étroites entre banquiers, hommes politiques et entrepreneurs (problème de « gouvernement d’entreprise »), confiance assez générale quant à l’existence de garanties publiques au plan national et international (problème des «
aléas de moralité»). Un débat s’est ouvert sur le rôle de cet aléa de moralité dans l’engagement tout à fait excessif des banques internationales sur les secteurs financiers fragiles et mal régulés des pays asiatiques.
L’intervention sans précédent de la communauté internationale en faveur du Mexique au début de 1995 aurait-elle contribué à faire naître un faux sentiment de sécurité chez les banquiers ? Une analyse un peu superficielle pourrait conduire à répondre par la négative : avant toute chose, l’engagement des banques étrangères semble s’expliquer par la confiance dans le « miracle asiatique» après une longue période marquée par des performances économiques exceptionnelles.
Cependant, une forme assez subtile d’aléa de moralité a probablement joué un rôle non négligeable : la confiance en l’efficacité des plans de sauvetage de la communauté internationale n’incitait certainement pas à un examen critique de la situation réelle des pays concernés et à un contrôle efficace des filiales opérant dans ces pays. Les banquiers occidentaux n’envisageaient certainement pas la possibilité d’une crise et ils ne prêtaient pas
explicitement sur la base d’un pari cynique (« à moi les profits, à eux les pertes »), mais ils n’étaient guère incités à évaluer leurs risques et à analyser en profondeur les tendances de fond des économies asiatiques.
Outre les failles en cascade dans la chaîne de l’intermédiation bancaire, les systèmes de change en vigueur dans les pays concernés ont joué un rôle clef dans les crises des dernières années. La quasi-fixité du change par rapport au dollar a encouragé des stratégies d’endettement excessif à court
terme en devises. Ainsi, non seulement les investissements n’offraient pas tous la rentabilité nécessaire, mais ils étaient de plus très mal financés, c’est-à-dire de façon massive par des emprunts courts en devises étran- gères.
Au total, la rigidité excessive du change par rapport au dollar a considérablement contribué à la vulnérabilité financière croissante des pays d’Asie.
Les chocs de 1996-1997 (ralentissement de la demande sur certains produits d’exportation, reprise économique avortée au Japon, faiblesse marquée du yen face au dollar, retournement du cycle immobilier en Thaïlande…) ont alors initié l’implosion de ce mode de financement dans tous les pays concernés : moins confiants dans la stabilité du change,
les agents endettés en devises étrangères ont essayé de déboucler leurs positions sans trouver de contreparties, les banques étrangères, prenant conscience de leurs risques, ont également tenté de réduire leur exposition.
La crise de change a aggravé la crise de confiance dans le secteur bancaire — car les résidents endettés en devises étrangères devenaient insolvables — qui elle-même coupait le pays des financements en devises
Une fois initiée, cette dynamique est devenue rapidement incontrôlable par les moyens traditionnels (hausse des taux d’intérêt et interventions sur le marché des changes). Dans chacun des pays touchés, la situation sur le marché des changes ne s’est finalement stabilisée qu’avec des devises extrêmement sous-évaluées, d’importants plans de soutien internationaux et des rééchelonnements plus ou moins négociés sur une partie des engagements extérieurs.