L’identification de plusieurs xénobiotiques aquatiques aussi bien que l’évaluation de leur toxicité pour la vie aquatique ont été et restent encore compliquées. La raison en est que l’environnement, principalement la zone côtière, est continuellement dopé d’une multitude de substances étrangères contaminantes (comprenant des métaux, des composés organiques ainsi que des organométaux et autres composés xénobiotiques) qui sont relâchées par les communautés urbaines et les industries. Le réceptacle ultime pour beaucoup de ces composés est l’environnement aquatique suite, entre autres, aux décharges directes ou aux processus hydrologiques et atmosphériques (Stegeman et Hahn, 1994). Les conséquences des activités anthropiques apparaissent aujourd’hui très préoccupantes, principalement à cause de leurs effets néfastes sur les organismes aquatiques. Ces organismes se retrouvent donc souvent baignés dans un mélange complexe de composés toxiques auxquels ils sont exposés.
En dépit des mesures imposées par la majorité des pays développés pour réduire considérablement les rejets dans les milieux naturels, le problème posé par les pollutions et les risques associés restent particulièrement aigus et très préoccupants. Ceci est dû au fait que nombre de produits toxiques anciennement rejetés et/ou stockés au fil des années, peuvent être remobilisés et présenter un risque pour les écosystèmes aquatiques et terrestres, à tous les niveaux de l’échelle biologique (depuis la molécule jusqu’aux niveaux biologiques supérieurs tels la population, la communauté et la biocénose).
D’énormes efforts sont déployés pour élucider les mécanismes d’action des composés chimiques (drogues, polluants, carcinogènes, etc.) chez les modèles mammifères comme le rat et la souris. L’ultime objectif de ce type de recherche comparative est de déceler, contrôler, et probablement intervenir lors d’exposition chimique et d’effets chez les humains. En toxicologie aquatique, l’intérêt premier est la santé et la sécurité des espèces aquatiques pour leur propre protection d’une part, et aussi parce qu’eUes représentent des ressources pour les besoins de l’homme, d’autre part (Stegeman et Hahn, 1994).
Parmi la multitude de composés retrouvés dans l’environnement, les butylétains et particulièrement le tributylétain (TBT), auxquels notre laboratoire s’intéresse depuis plusieurs années, constituent des composés d’un grand intérêt écotoxicologique. Ces composés sont visés par les législations environnementales sur la base de leur toxicité, leur persistance et leurs propriétés de bioaccumulation dans les écosystèmes aquatiques. Les effets néfastes du TBT sur les organismes aquatiques sont reconnus et prouvés depuis maintenant plus d’une vingtaine d’années. Son préjudice « non intentionnel » envers les espèces sensibles non ciblées a été découvert au début des années 1980 (de Mora, 1996).
La biotransformation (transformation chimique d’un composé par un organisme) est un mécanisme crucial que les organismes ont adapté pour survivre dans des environnements pollués de manière chronique (Stegeman, 2000). Le métabolisme est un exemple de biotransformation. Ce processus, catalysé par des enzymes de métabolisation, joue un rôle central dans l’élimination et l’excrétion des xénobiotiques, mais aussi sur les effets et la réactivité biologique ou la toxicité de certains composés (Stegeman, 2000). Comprendre le rôle que jouent ces enzymes dans le métabolisme des xénobiotiques peut révéler largement de quelle manière ces composés chimiques causent leurs effets toxiques.
La transformation métabolique est donc un facteur important qui peut influencer les processus de bioaccumulation, de biodisponibilité, de transfert et de biomagnification d’un contaminant donné ainsi que son temps de résidence. Après sa bioaccumulation et son absorption, un contaminant peut provoquer de nombreuses atteintes structurales et fonctionnelles, les actions cytotoxiques sont fortement dépendantes de sa forme ou sa structure chimique et donc de sa spéciation. De plus, le processus de biotransformation de ces structures chimiques est capable d’altérer leur activité biologique et donc, l’interaction des composés chimiques (xénobiotiques) avec la cellule.
L’importance de l’identification et de la quantification des espèces chimiques d’un même composé présent dans les échantillons biologiques et environnementaux est bien reconnue. L’une des raisons est que différentes espèces chimiques d’un même élément peuvent avoir des propriétés toxicologiques différentes, car ces dernières sont influencées par la forme chimique. Mais encore, la connaissance des voies métaboliques et de la spéciation d’un composé sont importantes, du moment que les deux aspects influencent d’une manière importante non seulement les propriétés toxicologiques, mais aussi le sort d’un contaminant dans l’écosystème aquatique. De ce fait, nous nous sommes proposés d’apporter une contribution à la compréhension de la biotransformation du TBT. Plus en détail, nous nous proposons d’approfondir les connaissances sur le métabolisme et les voies enzymatiques majeures impliquées dans sa transformation et l’élimination de ses produits de transformation polaires (métabolites conjugués), chez quelques organismes aquatiques et plus particulièrement chez les poissons.
Biotransformation des contaminants
Le terme biotransformation désigne les diverses modifications chimiques que subissent des composés dans l’organisme pour donner naissance à des métabolites. Comme il a déjà été mentionné, la biodisponibilité et le devenir d’un xénobiotique sont hautement dépendants de sa biotransformation (transformation métabolique) (James et Kleinow, 1994) qui est connue comme la détoxication métabolique, un processus responsable de débarrasser le corps des xénobiotiques toxiques (Li, 1997). D’une manière générale, les biotransformations sont des réactions de défense de l’organisme qui conduisent à des molécules moins toxiques et moins actives que la molécule initiale.
Les organismes aquatiques ont développé des stratégies pour l’élimination et la détoxication des contaminants accumulés dans leurs tissus. Il existe deux voies majeures d’élimination d’un composé chimique par un organisme: soit l’excrétion sous sa forme originale (le composé parent), ou alors la biotransformation. Une machinerie métabolique, catalysant ce processus important de biotransformation, est formée d’un grand nombre de différentes enzymes qui agissent sur des substrats de nature variée (Stegeman et Hahn, 1994). La conséquence majeure de cette transformation est la conversion des composés lipophiles et hydrophobes en métabolites plus polaires, solubles dans l’eau (hydrophiles) et excrétables. Ces métabolites peuvent être plus facilement excrétés du foie, par exemple, directement dans la bile. Sinon, ils sont libérés dans le sang et ensuite éliminés dans l’urine via le rein ou dans les fèces via l’intestin. Sur le plan toxicologique, chaque métabolite doit être considéré comme une nouvelle molécule qui a ses propres caractéristiques toxicocinétiques (demi-vie, distibution, élimination, etc.), souvent indépendantes et différentes de celles du composé parent.
Tous les organismes possèdent une batterie d’enzymes de biotransformation exprimées dans le foie ainsi que dans de nombreux tissus périphériques. Généralement, ces enzymes sont présentes à des niveaux plus élevés dans le foie chez les vertébrés, ou dans les tissus associés au processus d’alimentation pour les invertébrés (Livingstone, 1998).
Les réactions métaboliques
La métabolisation est un processus par lequel les composés subissent diverses séries de réactions, avec plusieurs enzymes participant à des étapes séquentielles d’oxydation-conjugaison menant à l’activation, la détoxication et ultimement à l’excrétion du xénobiotique. En 1959, Williams a proposé une systématique des voies métaboliques d’un xénobiotique ou d’un composé chimique. C’est le concept de métabolisation biphasique consistant en des réactions de Phase l de fonctionnalisation (oxydation, réduction et hydrolyse) et des réactions de Phase II synthétiques (conjugaison et détoxication), permettant de distinguer les étapes dans ce processus séquentiel du métabolisme.
Le métabolisme et la biotransformation des xénobiotiques principalement chez les poissons mais aussi chez les invertébrés, ainsi que les enzymes impliquées ont fait l’objet de plusieurs revues (Buhler et Williams, 1989; Foureman, 1989; Clarke et al., 1991; Goks0yr et Forlin, 1992; George, 1994; Hansen et Shane, 1994; Stegeman et Hahn, 1994; Livingstone, 1998; Schlenk, 1998; van der Oost et al., 2003).
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