Le développement culturel à Carleton-sur-Mer

Quiconque pose les pieds à Carleton-sur-Mer ne peut rester insensible à la beauté des lieux. Sise entre la mer et la montagne, cette petite collectivité devient un lieu fort fréquenté par les villégiateurs dès la seconde moitié du XIXe siècle. En 1884, un observateur du nom de Jean-Chrysostome Langelier écrit dans son Esquisse de la Gaspésie que « la grève est on ne peut plus belle, mieux adaptée pour prendre des bains de mer, les paysages environnants sont d’une beauté ravissante [ … ]. Si cette localité était plus connue, elle deviendrait en peu de temps la place d’eau la plus recherchée [ … ] de la province de Québec » (Langelier, 1884: 18).

En l’espace d’un demi-siècle, entre 1960 et 2010, le visage de Carleton-sur-Mer a changé considérablement, au même titre que de nombreuses autres petites collectivités régionales qui tentent d’évoluer à l’ère de la mondialisation, au cœur de ce village global.

Sur le plan socio-économique, Carleton-sur-Mer, n’est plus l’ombre de ce qu’elle a déjà été. Pendant des décennies, la petite localité s’est développée grâce à l’abondance sur son territoire de ressources naturelles traditionnelles, dont celles associées à la pêche et à la forêt et, dans une autre mesure mais néanmoins non négligeable, à l’agriculture. L’ époque pas si lointaine où un trafic maritime considérable s’observait sur la baie des Chaleurs par la présence de pêcheurs, de navigateurs et de caboteurs appartient désormais au passé. Autres temps, autres mœurs. Pour ce qui est de l’industrie forestière, elle a longtemps contribué au développement de la localité, particulièrement au cours du XXe siècle, alors que des usines de sciage sont apparues un peu partout sur le territoire, à proximité des barachois qui servaient au transport naturel du bois.

Fréquentée depuis des temps immémoriaux par les Amérindiens micmacs, la baie des Chaleurs, qui fait partie du réseau des plus belles baies du monde  , allait sans contredit conditionner le peuplement, le développement et l’évolution de Carleton sur-Mer. Des réfugiés acadiens fuyant la déportation acadienne orchestrée par les autorités britanniques à partir de 1755 ne décideront-ils pas, en 1767, de s’établir en permanence sur ce territoire qui leur rappelait leur ancienne Acadie?

Deux siècles plus tard, au tournant des années 1970, un premier moratoire sur la pêche commerciale au saumon, activité économique incontournable du lieu, provoque un bouleversement, voire une rupture dans le paysage socio-économique de Carleton-sur-Mer. À cette même période, la Gaspésie allait devoir faire l’apprentissage du sousdéveloppement de son territoire causé par un ralentissement global de son économie, par l’exode et le vieillissement de sa population, par la fermeture de nombreux villages de son arrière-pays, sans oublier par la tentative de prise en charge de l’État de son développement.

En mars 2006, le taux de chômage en Gaspésie se fixe à 19,3%, soit le pourcentage le plus élevé au Québec. Quant au revenu personnel par habitant, il se situe à 19 346 $, alors que celui de l’ensemble du Québec se chiffre à 28595 $. Depuis 1999, les trois principaux employeurs de la Gaspésie ont fermé leurs portes. Le bal débute à l’automne 1999 alors que la mine de cuivre de Murdochville entraîne la perte de 300 emplois. 300 autres travailleurs sont remerciés de leur service le 28 mars 2002 à la suite de l’annonce de la fermeture par la compagnie Noranda de la fonderie Mines Gaspé. Le 18 novembre 1999, l’usine Gaspésia de Chandler fermait ses portes à son tour forçant ainsi 600 personnes à souscrire à l’assurance emploi. Le coup fatal, et le plus récent, a eu lieu en août 2005 alors que la Smurfit-Stone de New Richmond occasionnait la perte de 295 emplois. Constat: les Gaspésiens, pas plus que les Carletonnais, ne peuvent plus compter uniquement sur les ressources traditionnelles pour les faire vivre. L’ âge d’or des mines, des pêches et de la forêt ne fait plus partie que de notre mémoire collective, ce qui force, encore une fois, une partie importante de la population active à émigrer vers les grands centres urbains pour trouver de l’emploi.

Malgré ces constatations, Carleton-sur-Mer se porte relativement bien, sa population n’étant pas en décroissance, mais plutôt assez stable, voire en légère augmentation, depuis la décennie 1970. Au niveau économique, l’éducation, le tourisme, la culture et les services sont venus assurer une diversification, une plus-value au tissu socio économique de l’endroit. Les politiques de développement du gouvernement québécois encourageront les industries touristiques et culturelles, déjà bien implantées dans la communauté depuis un certain temps, à s’affirmer.

En cette deuxième moitié des années 1960, le Québec et ses régions font ainsi leur entrée dans le modernisme. Le clergé est remplacé par une bureaucratie qui veillera désormais à relancer le développement économique du Québec, à commencer par les régions périphériques, dites rurales, dont on souhaite urbaniser le développement par l’entremise de nouveaux concepts théoriques, dont celui de la théorie des pôles. L’État intervient ainsi dans toutes les sphères de la société.

En 1963, en pleine Révolution tranquille, le gouvernement libéral de Jean Lesage met sur pied le Bureau d’aménagement de l’est du Québec (BAEQ). Yves Frenette et Marc Desjardins nous rappellent dans Histoire de la Gaspésie (1999 : 656-657) que le BAEQ « a la noble mission d’atténuer, sinon de faire disparaître, les disparités socio-économiques entre l’Est du Québec et le reste de la province par une mise en valeur rationnelle de l’espace ». Le BAEQ souhaite mettre l’Est du Québec à la même heure que les grands centres de la province. Pour ce faire, on compte créer des centres urbains et des centres à vocations spécifiques. Selon Clermont Dugas, le BAEQ propose l’implantation de trois pôles touristiques localisés à Mont Saint Pierre, Percé et Carleton. La vocation touristique de Carleton, après un siècle d’activités en ce domaine, est dorénavant reconnue et encouragée par le palier provincial. Les subventions de l’État permettent entre autres la construction du camping (1969), de la piscine municipale (1970) et de la route panoramique (1971).

Durant les années 1960, l’État québécois a contribué à établir un lien puissant entre l’identité québécoise et la culture. Puis, quelques décennies ont passé. À l’aube du XXIe siècle, le Québec emboîte le pas à de nombreux autres pays occidentaux préoccupés de calmer les craintes d’une mondialisation culturelle. Le Québec s’est donc tourné vers les réalités culturelles des collectivités locales en encourageant les villes et villages de la province à adopter des politiques culturelles municipales, assurant ainsi une certaine forme de transmission de la culture.

Alors que le tourisme est de plus en plus présent dans l’économie de la localité, le secteur de la culture tendra également à prendre le relais des ressources naturelles qui, jadis, assuraient le développement du lieu. Débutant au cours de la décennie 1960, mais connaissant son apogée au milieu des années 1970, le Québec entre dans une période où l’émergence des régions périphériques et le rayonnement d’un sentiment régionaliste sont observables (Harvey, 2002: 136). Cette remarque est d’autant valable pour la Gaspésie, globalement parlant, que pour Carleton-sur-Mer, localement parlant. Dans ce même contexte, les régions périphériques, notamment la Gaspésie, et plus particulièrement encore, la ville de Carleton-sur-Mer, ne font pas exception à la règle en effectuant un virage par le développement d’institutions et d’activités spécifiques dans le secteur culturel.

Au cours de la décennie 1970, un intérêt grandissant pour le développement culturel prend naissance au sein de la localité. À la décennie suivante, on assiste à l’avènement d’organismes et d’activités culturels à Carleton-sur-Mer, de sorte que l’on peut même parler d’une explosion de créativité et de pratiques culturelles dans cette localité gaspésienne. Tour à tour, apparaissent à Carleton-sur-Mer durant la décennie 1970-1980 un musée amateur, la Société gaspésienne des arts, le Comité de développement culturel, la Galerie du Vieux Couvent, la troupe de théâtre semi professionnel Le Clan Destin et la bibliothèque municipale. À l’intérieur de quatre décennies, la ville de Carleton-sur-Mer s’est dotée d’infrastructures et d’activités pour développer le secteur culturel et mettre en valeur sa propre culture.

La fondation du Comité de développement culturel de Carleton (CODEC) en 1978 (Landry et Lavoie, 1996 : 186) permet l’avènement de différents événements et organismes culturels tels que Les productions À tour de rôle, Le Clan destin, Maximum 90, Maximum Blues, le Centre d’artistes Vaste et Vague, la bibliothèque municipale, l’Écomusée Tracadièche, etc.

Ce dynamisme et cette vitalité culturels et les besoins grandissants des organismes culturels donnent naissance au projet de construction du centre de production et de diffusion culturelles de Carleton: le Quai des arts. Le complexe culturel ouvre ses portes au mois d’avril 2003, symbole de la vitalité culturelle de Carleton-sur-Mer. Situé entre la polyvalente, l’église et le Centre d’études collégiales de la Baie des Chaleurs, ce lieu devient un pôle d’attraction pour la communauté locale et pour les visiteurs.

L’avènement du XXIe siècle a provoqué une effervescence sans précédent à bien des niveaux. De nouveaux enjeux apparaissent sur la place publique, dont la rupture des rapports entre la métropole et les petites collectivités régionales. Dans le cas de la Gaspésie, nous sommes contraints de reconnaître l’échec des politiques de développement des années antérieures fondées exclusivement sur des considérations économiques afin d’amener les petites collectivités régionales à l’heure des grands centres. Désormais, des questions ou des enjeux qui étaient analysés sous la loupe du politique et de l’économique sont davantage observés sous la lunette culturelle. L’uniformisation du monde est devenue un objet d’inquiétude.

Table des matières

CHAPITRE 1 INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 2 PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
2.1 POSITION DU PROBLÈME
2.1.1 ÉTAT DE LA SITUATION
2.1.2 ÉTAT DE LA RECHERCHE
2.1.3 LA PERTINENCE SOCIALE
2.1.4 LA PERTINENCE SCIENTIFIQUE
2.2 LES INTENTIONS DE RECHERCHE
2.2.1 LES OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
2.2.2 LES RETOMBÉES POTENTIELLES
2.3 CONCEPTS ET CADRE CONCEPTUEL
2.3.1 LA CULTURE COMME LEVIER DE DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL
2.3.2 LE TERRITOIRE COMME ESPACE CULTUREL DE DÉVELOPPEMENT
2.3.3 LE DÉVELOPPEMENT LOCAL
2.3.4 RÉSUMÉ
2.4 QUESTIONS ET HYPOTHÈSES DE RECHERCHE
2.4.1 QUESTIONS GÉNÉRALES
2.4.2 QUESTIONS SPÉCIFIQUES
2.5 MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
2.5.1 LA POPULATION D’ÉTUDE
2.5.2 LE TERRAIN DE RECHERCHE
2.5.3 LA MÉTHODOLOGIE D’ÉCHANTILLONNAGE
2.5.4 LA PROCÉDURE DE COLLECTES DE DONNÉES
2.5.5 LES QUESTIONS D’ÉTHIQUE
2.5.6 LA PROCÉDURE D’ANALYSE DES DONNÉES
2.5.7 LIMITES DE LA RECHERCHE
CHAPITRE 3 CARLETON-SUR-MER ET LA GASPÉSIE: CONTEXTE GENERAL
3.1 SITUATION GÉOGRAPHIQUE DE CARLETON-SUR-MER
3.2 PORTRAIT SOCIODÉMOGRAPHIQUE
3.2.1 ORGANISATION ADMINISTRATIVE ET TRANSFORMATION POLITIQUE
3.3 REPÈRES HISTORIQUES
3.3.1 UN PEU D’HISTOIRE
3.3.2 ÉVOLUTION DU MILIEU
3.3.3 L’ORGANISATION MUNICIPALE
3.3.4 LA PÊCHE ET L’ AGRICULTURE
3.3.5 MARCHANDS ET NAVIGATEURS
3.3.6 LA FORÊT
3.3.7 LE TOURISME
3.4 LA CULTURE EN GASPÉSIE
3.4.1 CULTURE ET DÉVELOPPEMENT EN GASPÉSIE
3.5 CARLETON-SUR-MER: 40 ANS DE DÉVELOPPEMENT CULTUREL
3.5.1 LES ANNÉES 1970
3.5.2 LES ANNÉES 1980
3.5.3 LES ANNÉES 1990 À AUJOURD’HUI
CHAPITRE 4 ANALYSE DES RÉSULTATS DES ENTREVUES ASPECTS SOCIOGRAPHIQUES
4.1 LE PORTRAIT DES PARTICIPANTS DE L’ENQUÊTE
4.1.1 GROUPES 0′ ÂGE ET STATUT
4.2 ANALYSE THÉMATIQUE
4.2.1 PROFIL DES ORGANISATIONS
4.2.2 MEMBRES ET BÉNÉVOLES ASSOCIÉS AUX ORGANISMES
4.2.3 RÔLE ET IMPACTS DES ORGANISMES SUR LE DÉVELOPPEMENT LOCAL
4.2.4 ACTIVITÉS ET SERVICES OFFERTS PAR L’ORGANISME
4.2.5 RECONNAISSANCE DE L’ORGANISME
4.3 RÉSUMÉ
CHAPITRE 5 PERCEPTIONS ET ATTENTES DES RÉPONDANTS
5.1 CARLETON-SUR-MER ET LA CULTURE
5.1.1 RECONNAISSANCE DU SECTEUR CULTUREL LOCAL
5.1.2 CULTURE ET QUALITÉ DE VŒ
5.1.3 CARLETON-SUR-MER: UN PÔLE CULTUREL?
5.2 LA CUL TURE ET LE DÉVELOPPEMENT LOCAL
5.2.1 PERCEPTION DU SECTEUR CULTUREL PAR LES AUTRES LOCALITÉS
5.2.2 PERTINENCE D’UNE POLITIQUE CULTURELLE MUNICIPALE
5.2.3 LA CULTURE ET LA POLITIQUE MUNICIPALE
5.3 L’AVENIR CULTUREL DE CARLETON-SUR-MER
5.3.1 LA CUL TURE ET LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE LOCAL
5.3.2 LE SECTEUR CULTUREL À CARLETON-SUR-MER DANS DIX ANS
5.3.3 ENJEUX ACTUELS OU À VENIR
CHAPITRE 6 CONCLUSION GÉNÉRALE

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