La mytiliculture et les lagunes des îles-de-la-madeleine

La mariculture, i.e. la culture d’organismes aquatiques en milieu marin, est une pratique de plus en plus répandue à l’échelle planétaire et semble pouvoir assurer un apport durable de ressources alimentaires à valeur nutritive élevée. La production maricole au Québec est dominée largement par la culture de Mytilus edulis avec environ 77% de la production maricole totale (M.A.P.A.Q 2002). En 2008, 610 tonnes de moules bleues ont été produites au Québec. Toutefois, cette quantité ne représente qu’environ 3% de toute la production de moules au Canada (Statistique-Canada 2008). Les provinces de l’Atlantique, principalement l’Île-du-Prince-Édouard, fournissent à elles seules la quasi-totalité de la production canadienne de moules de culture (M.P.O 2004-2005).

Aux Iles-de-Ia-Madeleine, la mytiliculture a débuté de façon expérimentale dans les années soixante-dix pour devenir une activité commerciale en 1984 (M.A.P.A.Q 2002). De toutes les activités maricoles commerciales pratiquées aux Iles-de-Ia-Madeleine, la culture des moules bleues est la plus importante en termes de volume produit. En 2010, trois entreprises madeliniennes font l’élevage commercial de Mytilus edulis. La méthode de production en suspension des moules d’élevage est basée, de façon générale, sur la méthode des boudins en continu (C.S.M.O.P.M & S.O.D.LM 2005).

Deux des trois entreprises mytilicoles concentrent leur production dans les lagunes, soit celle de Grande-Entrée (GE) et de Havre-aux-Maisons (HAM). Les lagunes sont des petits bras de mer semi-isolés par des barrières physiques (sable ou autre substrat) et sont habituellement considérées comme des milieux très productifs (Gilabert 2001; Kaiser et al. 2005). Les lagunes de GE et HAM sont reliées par un chenal étroit, et chacune communique avec le milieu extérieur par autre un chenal . L’absence de rivières sur l’archipel contribue à limiter les apports d’éléments nutritifs aux milieux lagunaires des Iles. Ainsi, les lagunes de GE et HAM sont caractérisées par des faibles concentrations en nutriments, mais, de façon contre-intuitive, par une production primaire relativement élevée (Roy et al. 1991).

La faible quantité en sels nutritifs qualifie les lagunes de GE et HAM comme des environnements relativement oligotrophes (Trottet et al. 2007). Les nutIiments sont primordiaux pour la croissance de toute cellule phytoplanctonique (ou organisme photoautotrophe), et doivent donc être obligatoirement présents dans le milieu pour que ces organismes croissent. Les sels nutritifs disponibles pour la production primaire dans les lagunes oligotrophes proviennent probablement du recyclage par les bactéries de la matière organique dans la colonne d’eau, à la surface, et des sédiments, en plus des excrétions d’organismes hétérotrophes (Souchu & Mayzaud 1991). Ces nutriments, aussitôt produits, sont probablement rapidement récupérés/utilisés par divers petits organismes autotrophes. Il a été avancé par Biandolino (2008) que la présence de phytoplancton de très petite taille (nanoplancton) pouvait signaler la présence d’un environnement marin oligotrophe. D’ailleurs, Kaiser et al. (2005) suggèrent que, comparativement aux gros organismes phytoplanctoniques, les plus petits auraient un avantage physiologique en présence de faibles concentrations en nutriments, ce qui favorise leur développement dans ces conditions particulières.

C’est ce qui est observé dans les lagunes des Iles. Malgré le fait que les apports nutritifs soient « faibles » ou retirés rapidement de la circulation, les petites cellules phytoplanctoniques « 20 )lm) y sont quand même abondantes (Cartier et al. 2004). Une étude menée par Roy et al. (1991) rapporte également une abondance de particules inférieures à 10 )lm (nanoplancton) et une augmentation de la diversité spécifique au cours de l’été. Exception faite de courtes périodes de blooms de diatomées, la boucle microbienne de même que le microplancton hétérotrophe (> 20µm) prédominent dans les lagunes madeliniennes (Trottet et al. 2007; Trottet et al. 2008a; Trottet et al. 2008b). La productivité importante de ce complexe lagunaire peut aussi être expliquée par un accès rapide aux nutriments recyclés grâce au mélange quasi permanent de la colonne causé par les vents omniprésents sur l’archipel (Koutitonsky et al. 2002). De plus, la faible profondeur de la lagune permet à la lumière de pénétrer sur la presque-totalité de la colonne d’eau, favorisant ainsi la production primaire. Malgré les caractéristiques oligotrophes de cette lagune, la croissance des moules en culture est très rapide puisqu ‘ elles atteignent la taille commerciale de 50 mm à l’âge d’environ 1 ½ an.

Les effets de la production mytilicole dans les lagunes des Îles-de-Ia-Madeleine ont été étudiés à plusieurs reprises. Ainsi, les installations mytilicoles procureraient un substrat supplémentaire aux communautés de la macrofaune (Clynick et al. 2008), ce qui augmenterait subséquemment la consommation en oxygène et le relâchement de nutriments. De plus, la mytiliculture contribuerait à enrichir les sédiments en matière organique via la déposition des fèces (Weise et al. 2009) et à augmenter l’abondance de macro-invertébrés et de pOlssons benthiques (D’amours et al. 2008). Finalement, la production de moules dans la lagune de HAM entraînerait une modification des flux géochimiques benthiques et pélagiques et aurait un impact sur les sels nutritifs et donc les caractéristiques oligotrophes de la lagune (Callier et al. 2009; Richard et al. 2006; Richard et al. 2007a; Richard et al. 2007b).

Les moules retrouvées aux Iles-de-Ia-Madeleine appartiennent à deux espèces, Mytilus edulis et l’espèce Mytilius trossulus. Par contre, M. trossulus a été observée à des faibles proportions, soit de 3,5% (sur 709 individus échantillonnés) en moyenne pour divers plans d’eau des Iles (Tremblay et al. 1998b). Toutefois, depuis les années 2000, aucune étude ne rapporte la présence de M trossulus. Les techniques de culture en boudins, dits traditionnels, pourraient modifier la structure génétique des moules (Myrand et al. 2009a). Toutefois, les nouvelles techniques de boudinage en continu maintenant adoptées majoritairement par les mytiliculteurs des Îles-de-Ia-Madeleine diminuent cet impact de modification génétique des moules (Myrand et al. 2009b). Aussi, selon une étude menée par Myrand et al. (2002) lorsqu’exposées à des conditions de stress, les moules sauvages ayant une hétérozygotie élevée provenant du Bassin de Havre-Aubert, survivent beaucoup plus longtemps que les moules dites cultivées ou sauvage ailleurs aux Iles .

Il ya eu par le passé des épisodes de mortalité estivale des moules de culture dans les lagunes d’HAM et de GE (Myrand et al. 1999; Tremblay et al. 1998c). C’est un phénomène qui s’est déroulé aux Iles-de-Ia-Madeleine, mais qui se produit aussi à l’échelle de l’Amérique du Nord autant dans les productions mytilicoles du Pacifique que de l’Atlantique (Emmett et al. 1987; Incze et al. 1980; Mallet et al. 1990). La mortalité massive de larges effectifs de moules serait en lien avec une fragilité physiologique entraînée par des périodes de ponte majeure concordant avec des conditions environnementales moins favorables (ex. températures élevées de l’eau) (Myrand et al. 2000). La condition physiologique des moules est donc variable au cours des saisons estivales et automnales.

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
LA MYTILICULTURE ET LES LAGUNES DES ÎLES-DE-LA-MADELEINE
LA MOULE BLEUE ET SES RELATIONS AVEC LE MILIEU AMBIANT
LES LIPIDES ET LES ACIDES GRAS
LA PHYSIOLOGIE DES BIVALVES
LES OBJECTIFS DU PROJET DE RECHERCHE
LES HYPOTHÈSES DE RECHERCHE
CHAPITRE 1 INFLUENCE DE LA QUALITÉ NUTRITIONNELLE DU SESTON, EN TERMES DE LIPIDES, SUR LA CONDITION PHYSIOLOGIQUE DE MYTILUS EDULIS CULTIVÉ EN MILIEU HÉTÉROTROPHE
INFLUENCE OF SESTON QUALlTY, IN L1PIDS TERMS, ON PHYSIOLOGICAL
CONDITIO OF MYTILUS EDULIS GROW IN HETEROTROPHIC LAGOON
1.1 Abstract
1.2 Introduction
1.3 Material and Methods
1.3.1 Study area
1.3.2 Experimental design
1.3.3 Diets characterization
1.3 .4 Physiological measurements
1.3.5 Lipids analysis
1.3.6 Statistical analyses
1.4 Results
1.4.1 Temperature and salinity
1.4.2 Natural diet (ND) and microalgae diet (MD) characteristics
1.4.3 Nutrients
1.4.4 Bacteria and small microalgae cells
1.4.5 Mussels dry weight
1.4.6 Physiological measurements: oxygen consumption and clearance rates42
1.4.6 Lipids classes in diets and mussels giUs
1.4.7 Fatty acids in diets
1.4.8 Fatty acids in mussels giUs
1.5 Discussion
1.6 Acknowledgements
CHAPITRE 2 CONCLUSION

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