Les usages et les besoins des documents numériques dans l’enseignement supérieur et la recherche
L’évolution des besoins en formation et en recherche
Quatre éléments marquants sont signalés par l’ensemble des observateurs. Nous reviendrons plus en détail sur ces évolutions dans la partie 5.
L’évolution du marché du travail modifie les besoins en compétence
Les prévisions en matière de qualification et de formation attendues s’élaborent dans le monde du travail. La nature des contenus des formations doit être définie à partir de ces besoins. Or, l’évolution des systèmes de production génère de nouveaux besoins. Plusieurs études récentes ont montré le déficit actuel des qualifications dont les entreprises ont besoin. D’autre part, avec l’évolution rapide des systèmes de production, la durée de vie d’une qualification devient très courte. Enfin, la montée des activités tertiaires, ainsi que leur automatisation, génèrent des besoins de personnel plus qualifié (Perriault, 1996). Les technologies de l’information sont considérées comme une opportunité par rapport à ces enjeux socio-économiques de la formation. Le Traité de Maastricht, parmi d’autres textes officiels, comporte un paragraphe entier promouvant l’enseignement par les nouvelles technologies : élargissement des bassins de compétences pour assurer à l’Europe le nombre d’ingénieurs et techniciens dont elle a besoin ; recyclage des personnels dans les entreprises ; prise en compte du contexte de chômage et de compétition économique mondiale (Vauthier, 1998).D’une façon plus large, mais avec des nuances et critiques selon les auteurs (Moeglin,1998), les thèmes classiques de la « société de l’information » touchent directement le secteur de la formation, de l’extérieur par la demande de formation qu’elle induit et de l’intérieur par l’intégration des technologies au processus même de formation.
La croissance du nombre d’étudiants et les évolutions de cette population
On assiste en effet à une évolution très forte, à la fois quantitative et qualitative, de la population des étudiants. En Angleterre, par exemple, selon le rapport Follett, le nombre d’étudiants (en équivalent temps plein) a augmenté de 57% entre 88 et 93, et la croissance continue. Elle est surtout le fait d’étudiants adultes (plus de 18 ans). Aux Etats-Unis, on note aussi que la poussée démographique crée une crise cruciale de capacité de l’offre traditionnelle (institutionnelle) de formation. Elle rend impossible économiquement la construction de nouveaux campus destinés à absorber la demande. Ce sont donc plutôt les solutions d’enseignement à distance qui sont sollicitées. B. Cronin rapporte le chiffre de un million d’étudiants américains utilisant déjà des cours électroniques en 1998, chiffre qui triplerait d’ici à l’an 2 000. Ce problème se pose aussi pour les pays en voie de développement, qui constituent de ce fait un marché potentiel important pour les institutions d’enseignement des pays occidentaux. Cette crise de l’offre affecte également les bibliothèques universitaires. Leurs moyens financiers n’ont pas suivi la croissance, en particulier, note le rapport Follett, pour ce qui concerne les locaux, les collections, et la capacité des personnels à répondre à cette demande dense et diverse. Il faut d’ores et déjà noter qu’à cette croissance démographique s’ajoute une forte évolution de la nature des étudiants : leur origine, ainsi que leurs aspirations changent, suivant les évolutions générales de la société. Il faut prendre en particulier en compte la montée des étudiants adultes, et des étudiants en situation atypique, par exemple à mi-temps (rapport Follett, 1993). Ces nouveaux types d’étudiants ont des attentes spécifiques par rapport aux institutions d’enseignement. De façon plus générale, les technologies de l’information génèrent une évolution forte dans les modes de vie. Elles se situent dans la lignée des « objets nomades », qui vont permettre aux personnes de globalement mieux contrôler leur vie, en particulier en leur permettant de se distancier de leur lieu de travail (Cronin, 1998).
Le développement de la formation continue
Ce contexte peut être considéré comme moteur dans l’évolution du système d’enseignement, en particulier pour la formation ouverte et à distance. L’enquête menée sur les principaux opérateurs de formation à distance en France dans le cadre du rapport du Conseil économique et social montre que le public majoritaire de ces institutions est adulte, et surtout constitué de travailleurs en activité ou en requalification, avec une proportion croissante de demandeurs d’emplois. Des organismes de formation à distance, comme le CNED (Centre national d’enseignement à distance), en France, reprennent à leur compte le concept développé par la Commission européenne de « formation tout au long de sa vie ». L’importance de la formation continue est également notée en Europe (JISC, 1995) et aux Etats-Unis, où il est aussi considéré que le développement d’une demande de formation flexible et continue constitue une opportunité à la fois pour les institutions académiques et pour les nouveaux entrants privés sur le marché de l’enseignement supérieur (Cronin, 1998).
L’irrésistible augmentation des publications de recherche
On sait que la croissance des publications scientifiques, « l’explosion documentaire » comme l’appellent les bibliothécaires, est corrélée à l’effort de production de la science (c’est à dire au nombre de chercheurs). Cette explosion ne faiblit pas, bien au contraire. L’importance de la recherche pour le développement économique, ses impacts sociaux, l’organisation internationale des chantiers et leur ampleur, l’accélération des résultats sont autant de facteurs d’augmentation de la communication entre chercheurs et de diffusion de la littérature scientifique. A. Odlyzko a, par exemple, fait quelques calculs à ce propos. Selon lui, pour les mathématiques, 50 000 articles sont publiés chaque année. Ce chiffre double tous les 10 ans. Un million a déjà été publié, il y en aura 2 millions dans 20 ans si le rythme de publication reste stable. Ce développement pose de redoutables problèmes aux institutions chargées de la médiation (éditeurs, bibliothèques, bases de données bibliographiques..). La plupart des auteurs présentent le numérique comme la solution aux multiples difficultés.