Avec une industrie forestière subissant des menaces de ruptures de stock à moyen et à court terme, une meilleure connaissance de la productivité des espèces s’avère pertinente pour l’obtention d’un calcul précis des volumes futurs tant des plantations que de la forêt naturelle. Cette productivité peut être influencée par différents facteurs écologiques abiotiques et biotiques.
Le rôle des facteurs écologiques abiotiques est assez bien connu, notamment en ce qui concerne les facteurs stables du milieu se rapportant aux propriétés topographiques et pédologiques des sols (Pawluk et Arneman 1961, Wilde et al. 1964, Shetron 1972, Carmean 1975, Hamilton et Krause 1985, Schmidt et Carmean 1988, Klinka et Carter 1990, Brisson 1992). Cependant, le rôle des facteurs écologiques biotiques, en particulier les effets de la composition des peuplements sur la productivité forestière, a reçu beaucoup moins d’attention.
Les résultats obtenus suggèrent que la présence d’espèces compagnes dans les peuplements de pin gris a peu d’effet sur la croissance en hauteur de ces derniers. En effet, aucune différence significative n’a été trouvée pour les indices de qualité de station ainsi que pour les courbes moyennes de croissance en hauteur entre le pin gris en peuplements purs et mélangés. L’absence de relation avec la hauteur (qui est reconnu pour être indépendante de la compétiton (Lanner 1985)) suggère que ce n’est pas la richesse du site qui est en cause.
Par ailleurs, les quelques effets significatifs observés semblent vouloir mettre à jour une certaine tendance à l’amélioration de la croissance du pin gris, tel que nous l’indique l’accroissement en diamètre et en volume observé pour les pins gris croissant dans les peuplements mélangés avec du bouleau à papier. A l’opposé du peuplier faux-tremble qui n’a aucun effet sur la croissance du pin gris, la présence du bouleau à papier comme espèce compagne agirait de façon bénéfique et ne constituerait donc pas un frein au développement du pin gris. Lafond (1966) avait d’ailleurs remarqué que le pin gris atteignait son maximum de développement dans les peuplements de pins gris mélangés avec du bouleau à papier et du peuplier faux-tremble.
La présence du tremble n’a pas eu d’effet sur la croissance du pin gris malgré les changements observés dans la disponibilité de certains éléments nutritifs. Les effets bénéfiques du tremble sur certaines propriétés de la couverture morte, en particulier le calcium échangeable et le pH, concorde avec les résultats obtenus par Alban (1982), Perala (1990) et Paré et al. (1993). Cependant, les résultats obtenus suggèrent que sur sites argileux, la capacité du tremble à modifier les propriétés du sol ne contribue pas à favoriser la croissance du pin gris.
Ceci peut être expliqué par les faibles exigences des pins gris pour le calcium (Rudolph et Laidly 1990) ainsi que par la richesse inhérente des argiles en cet élément. Par ailleurs, comme le soulignent Schmidt et Carmean (1988) ainsi que Béland et al. (1992b), il se peut que la profondeur du sol disponible pour la croissance des racines soit, jusqu’à une certaine limite, plus importante que la richesse du sol · en éléments nutritifs.
La disponibilité des éléments nutritifs dans la couverture morte des peuplements mélangés à du bouleau à papier est significativement plus faible ou égale à celle des peuplements mélangés à du peuplier faux-tremble. Néanmoins, c’est dans les peuplements où il y a présence de bouleaux que la croissance en diamètre et en volume du pin gris est la plus grande. Ceci laisse supposer qu’un facteur autre que la disponibilité des éléments nutritifs favorise la croissance du pin gris en peÜplement mélangé avec du bouleau à papier. Les différences de compétition pour la lumière entre les peuplements purs et mélangés pourraient expliquer ces variations.
Ainsi, le peuplier faux-tremble, ayant une croissance relativement rapide, occuperait sensiblement le même espace dans la canopée que le pin gris et « compétitionnerait » ce dernier au même titre qu’un autre pin gris possédant lui aussi une croissance assez rapide (Rudolph et Laidly 1990). En ce qui concerne le bouleau, étant donné qu’avec l’âge sa croissance en hauteur est plus lente (Safford et al. 1990), il occuperait un espace plus restreint dans la canopée que le pin gris et permettrait ainsi à ce dernier de croître plus rapidement en diamètre .
Bien qu’aucune mesure n’ait été prise dans les stations échantillonnées sur la croissance en hauteur du bouleau à papier et du peuplier faux-tremble, des analyses de tiges effectuées sur des sites comparables issus d’un feu survenu en 1916 nous révèlent que le tremble a une croissance en hauteur similaire au pin gris alors que celle du bouleau est plus faible .
Le bouleau serait donc un moins bon compétiteur que le tremble et le pin gris pour la lumière. Ainsi, la présence du bouleau à croissance plus lente dans les peuplements de pins gris pourrait être bénéfique à celle du pin gris en réduisant la compétition intraspécifique des couronnes de ce dernier. Une situation semblable dans des peuplements mélangés de pins et de chênes a été observée par Biondi et al. (1992).
En terme de productivité, ces résultats nous portent à croire que la présence du bouleau à papier dans les peuplements de pins gris pourrait avoir un impact significatif sur le calcul des possibilités de coupe forestière. Actuellement, les tables de rendement des peuplements de pins gris mélangés avec du bouleau sont directement élaborées à partir des tables de rendement pour des peuplements de pins gris purs.
Or, avec l’accroissement en diamètre et en volume que nous avons observé pour les pins gris en présence du bouleau, nous croyons qu’il serait pertinent d’examiner la possibilité d’établir un facteur de correction qui tiendrait compte de l’effet du bouleau sur la croissance du pin gris sur les sites argileux. La détermination du pourcentage de bouleau acceptable dans les peuplements de pins gris pour obtenir le même volume ou la même surface terrière de pins gris que dans un peuplement pur pourrait être un des moyens possibles d’y parvenir.
A l’aide de nos résultats, on obtient deux régressions linéaires significatives entre le nombre de pin gris et la surface terrière de bouleau à papier (y=-63.407x+1200.606; n=1 0; R2=0.793; P< 0.0005) de même qu’entre la surface terrière moyenne par pin gris et la surface terrière de bouleau à papier (y=0.002X+0.027; n=1 0; R2=0.918; P< 0.0001 ). Dans les deux cas, la variable x représente la surface terrière du bouleau à papier. En multipliant ces deux équations, on obtient une équation polynomiale mettant en relation la surface terrière du pin gris avec celle du bouleau à papier .
Avec cette dernière relation, on constate qu’il serait possible de tolérer jusqu’à 5 m21ha de surface terrière de bouleau à papier dans les peuplements de pins gris, soit 15%, et cela, sans qu’il y ait de baisse importante de la surface terrière du pin gris. De plus, d’un point de vue économique, on obtient un volume supplémentaire en bouleaux.
Toutefois, ce résultat reste pour l’instant spéculatif compte tenu de l’absence de données pour valider la portion médiane de la courbe. En effet, les stations échantillonnées ne représentent que des situations avec 100% pin gris et 50-50% pin gris et bouleau à papier, laissant ainsi une gamme de possibilités intermédiaires non vérifiées.
La poursuite des études à ce niveau pourrait donc s’avérer prometteuse puisque loin d’être banales, les conséquences d’un tel facteur pourraient contribuer à une évaluation plus juste et plus précise du rendement des sites forestiers présentant un tel . type de peuplement. De plus, compte tenu des intérêts croissants qui se développent pour les aspects de la foresterie autres que la production (biodiversité, réserves écologiques, conservation de la faune et récréation), les peuplements mélangés sont appelés à devenir de plus en plus important pour l’industrie forestière de demain .
Les communautés naturelles de plantes sont généralement constituées de mélange de différentes espèces et les forêts n’y font pas exception. Malgré les avantages reconnus du mélange d’essences forestières différentes {stabilité, diversité écologique et diminution des risques de catastrophe dû aux feux, au vent et aux épidémies d’insectes) {Burkhart et Tham 1991, Kenk 1991, Kelty 1992), peu d’efforts ont été consacrés à l’étude de la croissance des peuplements mélangés versus les peuplements purs. Ainsi, actuellement, on manque de certitudes sur les effets de la composition des peuplements sur la productivité forestière.
Enfin, l’accroissement en diamètre et en volume du pin gris mélangé à du bouleau à papier pourrait influencer le calcul des possibilités de coupe forestière. Toutefois, il faut être prudent si l’on veut formuler des recommandations à partir des résultats obtenus compte tenu du nombre limité de situation de mélange étudiée. Des études plus approfondies à ce sujet permettraient sans doute une évaluation plus précise du rendement des sites forestiers présentant des peuplements mélangés. Avec une industrie forestière qui se veut de plus en plus axée vers le concept de développement durable, une telle précision ne saurait être négligeable pour arriver à élaborer une bonne stratégie d’exploitation de nos forêts.
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