La transition écologique est un concept porteur d’une vision et d’enjeux qu’il convient de détailler. La participation citoyenne dans la transition écologique peut s’appréhender à travers la notion de transformation sociale, détaillée notamment par les modèles d’empowerment de Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener.
Le concept de transition écologique
Face à la dégradation de l’environnement et aux conséquences néfastes qui en découlent, de nombreux mots de vocabulaire sont utilisés et chaque concept est porteur d’une vision spécifique des causes du problème et des solutions à y apporter: développement durable, croissance verte, écodéveloppement, décroissance, transition écologique, écologie, etc.
Le concept de transition écologique se développe dans les années 2000 et entre en rupture avec celui de développement durable, qui est prépondérant dans le vocabulaire des relations internationales depuis le rapport Brundtland de 1987. Ce rapport des Nations Unies définit le développement durable comme « un développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » . Sa définition se développe par la suite à travers trois piliers :
– un développement économiquement efficace ;
– socialement équitable ;
– et écologiquement soutenable.
Le terme de développement durable est sujet à différentes interprétations au fil du temps et selon les acteurs, avec des partisans d’une durabilité faible (substituabilité du capital naturel avec les autres capitaux) ou forte par exemple. Mais la présence du pilier économique au même niveau d’importance que l’environnement et le social, ainsi que le caractère techno-centré du concept, conduisent à une remise en cause croissante du développement durable. On rencontre ainsi de plus en plus le terme de transition écologique ; en France par exemple, le ministère en charge des questions environnementales est nommé « Ministère de la Transition écologique et solidaire » à partir de 2017.
Le mouvement de Transition est fondé et conceptualisé par Rob Hopkins au Royaume-Uni en 2006, avec le mouvement des Villes en transition en réponse aux défis du pic pétrolier et du changement climatique. Dans son livre Manuel de transition : de la dépendance au pétrole à la résilience locale (traduit de la version originale The Transition Handbook), il qualifie les initiatives de transition comme constituant « une nouvelle approche évolutive de la durabilité à l’échelon de la communauté » . Selon Rob Hopkins, la Transition est définie par six principes :
– La visualisation
– L’inclusivité
– La conscientisation
– La résilience, c’est-à-dire « la capacité d’un écosystème à s’adapter à des événements (chocs) extérieurs et à des changements imposés »
– La perspicacité psychologique
– Des solutions crédibles et appropriées .
C’est la Transition au sens de Rob Hopkins qui donne naissance au terme de transition écologique. Ce dernier évoque alors des enjeux de justice sociale, de démocratie et de participation citoyenne au niveau local. Concernant le principe de perspicacité psychologique, Rob Hopkins énonce : « On constate que parmi les principaux obstacles à l’implication se cachent les sensations d’impuissance, d’isolement et d’écrasement que les problèmes écologiques créent souvent. Ces problèmes ne placent pas les gens dans une position d’où ils peuvent agir, que ce soit en tant qu’individu ou en tant que communauté » .
Contrairement au concept de développement durable, la transition écologique accorde ainsi une place importante à la capacité à agir des citoyens et sous-entend une démarche plus bottom-up (ascendante) que top-down (descendante). La sociologue Lydie Laigle évoque ainsi un « désenchantement du citoyen vis-à-vis du politique », qui se superpose à une crise environnementale, sociale et économique et favorise ainsi la « genèse d’une transition écologique démocratique et citoyenne » porteuse d’un nouveau projet de société.
Transformation sociale et empowerment
La transition écologique citoyenne a un objectif de transformation sociale au niveau de la société et de la communauté, comme nous l’avons vu précédemment avec la définition du concept. Elle vise également à une transformation de l’individu au niveau microéconomique, avec la recherche d’un pouvoir d’agir. Lydie Laigle énonce que « la notion de transition écologique citoyenne évoque une possibilité d’émancipation sociale, au travers d’une capacité retrouvée d’agir ensemble autour de valeurs qui font sens collectivement » . La notion d’émancipation fait référence aux « relations d’assujettissement et de dépendance à l’environnement que les citoyens peuvent subir » , dont il convient de prendre conscience pour s’en détacher et se réapproprier la relation à son environnement. L’enjeu est alors l’articulation entre une émancipation individuelle, collective et politique. C’est la recherche d’un pouvoir de transformation sociale de la part des individus et des communautés pour parvenir à une transformation à un niveau macroéconomique.
Ces enjeux peuvent rejoindre la notion de capabilités, développée par Amartya Sen dans le champ du développement dans les années 1980. Les capabilités sont définies comme « l’étendue des possibilités réelles que possède un individu de faire et d’être » . Elles peuvent donc traduire l’accroissement du pouvoir d’agir qui est recherché dans la transition écologique citoyenne. Néanmoins, les capabilités ne permettent pas d’appréhender le pouvoir de transformation sociale à toutes les échelles, et ne disent rien du processus pour accéder à ces possibilités.
Dans le contexte de la participation et notamment dans le champ de la démocratie participative, la mobilisation du concept d’empowerment semble pertinente pour analyser les dynamiques de transformation sociale. Ce terme fait l’objet de définitions et traductions variées et est utilisé dans de nombreux domaines. Les chercheuses Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener définissent l’empowerment de la manière suivante : « L’empowerment articule deux dimensions, celle du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder. Il peut désigner autant un état (être empowered) qu’un processus. Cet état et ce processus peuvent être à la fois individuels, collectifs et sociaux ou politiques.».
L’empowerment au sens de ces auteures est ainsi indissociable de la notion de pouvoir, qui est appréhendé en tant qu’état et processus. Il permet de rendre compte de dynamiques tant à l’échelle microéconomique que macroéconomique.
Dans leur ouvrage L’empowerment, une pratique d’émancipation (2015) , Bacqué et Biewener retracent la trajectoire de la notion d’empowerment. Cette dernière se développe aux Etats-Unis dans les années 1970 et fait son apparition en France dans les années 2000. L’empowerment est notamment beaucoup évoqué par les courants féministes radicaux des années 1970, puis dans divers champs qui s’en emparent pour revendiquer des approches moins top-down et paternalistes. Dans les années 1990, il est utilisé dans le champ du développement international par des institutions comme l’ONU. Cependant, « dans un contexte où dominent les idées néolibérales, cette intégration se fait au prix de l’affaiblissement de sa portée radicale» . Enfin, avec le début du 21ème siècle se développe une compréhension de la notion d’empowerment que les auteures qualifient de « social-libérale » au sein des institutions de développement. Les évolutions de la mobilisation de la notion d’empowerment permettent ainsi de rendre compte des différentes compréhensions de l’émancipation individuelle et collective recherchée par les acteurs.
Introduction |