La notion de travail dans le contexte social actuel
Le travail, tous l’admettent, est au coeur de la vie des femmes et des hommes d’aujourd’hui. Qu’il soit domestique, bénévole ou salarié, le travail est pour plusieurs, l’élément le plus accaparant de leur existence, une grande partie de leur temps et de leur énergie y étant consacrée. Nous sommes encore loin de la société de loisirs que plusieurs prédisaient pour le deuxième millénaire. Et l’importance du travail ne se mesure pas seulement par les heures et l’énergie qui y sont affectées mais aussi à ce qu’il apporte : le pain, les biens, les loisirs, etc. L’organisation concrète de notre société consacre cette fonction économique du travail. Bien plus, la considération des personnes et leur reconnaissance sociale dépendent souvent du travail effectué et du type d’emploi occupé. D’une certaine façon, il détermine le rang social des personnes et nous en venons à le considérer comme la source principale de l’identité personnelle.
Quel portrait trace la littérature actuelle à propos de cette réalité du travail et plus spécifiquement du travail rémunéré? Nous ne remonterons pas comme le fait Joshi (1983) jusqu’à la conception religieuse du travail comme châtiment divin en conséquence de la rupture de l’humanité avec son Dieu. Il est intéressant de constater avec Goguelin (1980) que : «Le mot travail vient du latin tripalium qui désignait un instrument de supplice à trois pieux sur lesquels on attachait les esclaves qui refusaient de travailler. Il signifie d’abord torture, tourment. Au Moyen Âge, le travailleur juré était le bourreau … C’est au XVième siècle que travailler se substitue à ouvrer lorsque l’ouvrier … n’est plus propriétaire de ses moyens de production : il redevient homme de labeur, homme de peine … Le dictionnaire nous indique que le travail est l’ensemble des activités humaines coordonnées en vue de produire ce qui est utile, et que cette activité, organisée à l’intérieur du groupe social et exercée de manière réglée, est une activité laborieuse et rétribuée».
Dans cette recherche, nous considérons le travail comme une activité de production nécessitant une certaine qualification ouvrière et une organisation de plus en plus complexe. Dans les vingt dernières années, avec la révolution industrielle caractérisée par l’arrivée de technologies spécialisées, la multiplication des professions et la diversité des organisations du travail, le travail est devenu une valeur sociale centrale. Le travailleur devient un acteur social (Reynaud, 1991 ). La technologie se complexifie, les compétences du travailleur s’affinent et la nécessité de la participation de celui-ci à l’organisation s’accroît. L’organisation concrète de notre société consacre cette fonction économique du travail mais ne le réduit pas à cette fonction. Parfois même, elle fait dépendre la reconnaissance sociale du type d’emploi occupé.
«Le travail est devenu aujourd’hui. .. une des sources principales de l’identité d’une personne … Le travail reçoit donc une importance qui dépasse largement sa fonction économique ou sa valeur instrumentale; il détermine le rang social de la personne en plus d’être une source de relations humaines et un lieu de sociabilité par excellence». (Vézina, 1988) .
Vézina et Malenfant (1994) renchérissent en écrivant : «Comme l’ont montré et affirmé plusieurs auteurs, le travail demeure un facteur d’intégration et de valorisation sociale et occupe une place de premier plan dans la construction de J’identité». De Gaulejac (1994) tient le même discours : «Le travail n’est pas seulement un facteur de production indispensable au fonctionnement de l’économie, il est aussi un élément structurant J’identité individuelle et Je moyen unanimement reconnu de s’intégrer à la vie sociale». Toujours dans le même sens, Carpentier-Roy (1995) écrit: «ce qui frappe actuellement, c’est la place capitale que prend le travail dans la recherche de l’accomplissement de soi et dans la construction d’une image valorisante de soi». Même lorsque le travail est vécu dans des conditions pénibles et parfois dégradantes, il demeure important.
«Parce qu’il donne une raison d’exister, d’être dans le circuit de la société, de participer à la vie, d’être comme tout le monde, de faire des projets, de gérer sa vie, il reste le critère essentiel d’une intégration sociale réussie. Cette «dure» réalité amène les individus dans une arène de lutte assez impitoyable pour certaines valeurs de partage et de solidarité longtemps reconnues dans la société prétechnologique. C’est une lutte pour l’existence sociale qui est en jeu, chacun ayant à faire la preuve de sa compétence, de son utilité et de ses qualités». (De Gaulejac, 1994) .
Nous pouvons conlure avec Paquet (1994) que : «le milieu de travail représente un aspect fondamental de l’environnement social d’un individu».
Dans notre recherche, le concept du travail sera donc considéré dans ses deux fonctions principales, sa fonction économique en tant qu’activité de production et sa fonction de reconnaissance sociale en tant qu’acte social.
Comme activité de production, le travail est perçu en lien avec la matière. Acte de transformation de la matière ou de production de biens et de services, le travail, nous l’avons dit, a suscité l’apparition de technologies spécialisées, la multiplication des professions et la complexification de l’organisation du travail.
Comme acte social, nous l’avons dit précédemment, le travail contribue à la construction de l’identité personnelle en plus d’être un facteur d’intégration sociale. Il nous faudra donc regarder de près le soutien social au travail. Il nous faut dire aussi que la réalité du travail ne peut être détachée ni du milieu dans lequel il s’effectue ni de l’organisation qui le structure. Et comme toute organisation n’est pas neutre mais influence positivement ou négativement la réalisation du travail, nous serons attentif à la perception des participants sur la forme d’organisation de travail à leur emploi. Cette organisation du travail, elle même conditionnée par la mission de l’établissement ou de l’entreprise, touche les politiques et procédures et inclut les critères de performance établis et les liens sociaux à l’emploi.
La notion de santé mentale
Dans la littérature, il ressort que la notion de santé mentale a évolué dans le temps. Et selon que nous nous attachons aux modèles explicatifs de la santé mentale et des troubles mentaux ou aux modèles utilisés par les chercheurs en ce domaine, nous aboutissons à une conclusion similaire : la santé mentale est devenue un fait social global et la source des troubles mentaux est toujours multifactorielle.
La recherche angle-saxonne en santé mentale est éloquente à ce sujet. On y affirme (Bibeau et al. 1989) que les dimensions du domaine social sont utilisées à fond dans les recherches mais on ne se risque pas à définir un modèle théorique explicatif des problèmes vécus en santé mentale. Les dimensions qui reviennent le plus souvent sont : revenu familial, contexte de vie, variables socio-économiques, sexe, réseau social présent et mobilisé, dimension culturelle, ethnique, religieuse, etc.
«Sur la base du corpus des deux cents recherches, nous ne pouvons cependant dégager aucun modèle nous permettant d’élucider la dynamique des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux intervenant dans la production des problèmes de santé mentale». (Bi beau et al., 1989) .
On y affirme tout de même que les causes des problèmes sont multiples, les répercussions aussi et par voie de conséquence, les réponses le seront aussi selon qu’on se place au niveau du contexte immédiat, microsocial ou macrosocial. La notion de santé mentale y apparaît comme une : «Réalité complexe qui se situe au point de rencontre de trois axes interactifs : un axe biologique centré sur l’aspect génétique et physiologique des potentialités individuelles en regard de la santé mentale; un axe psychologique (cognitif et affectif) qui reflète la manière dont se constituent au cours du développement les relations de l’individu au monde qui l’entoure et un axe contextuel qui examine les conditions de contexte qui, tant au niveau de la société qu’à un niveau interpersonnel, influencent les problèmes que rencontrent les individus et les stratégies qu’ils élaborent pour y répondre». (Bibeau et al., 1989) .
Pour poursuivre dans la ligne de l’importance du domaine social sur la santé, une étude californienne est allée jusqu’à affirmer que plus les contacts sociaux sont nombreux, plus le taux de mortalité est bas (Paquet, 1994). Boisvert et Lemire (1989), quant à eux, apportent l’explication à l’effet que le réseau social allégerait le fardeau des efforts d’adaptation qu’une personne doit déployer dans une situation de changement et, par conséquent, réduirait les symptômes reliés à de trop grandes difficultés d’adaptation. Par ailleurs, Tousignant questionne cet effet immunitaire du réseau social: «La santé mentale va souvent de pair avec le soutien social que l’on retrouve autour de nous. Il est difficile de savoir toutefois si le soutien social protège les gens exposés à des risques ou si les gens vulnérables n’ont pas les ressources pour mobiliser autour d’eux le soutien nécessaire». (Tousignant, 1989) .
De nos jours, on parle souvent des déterminants de la santé mentale que sont les conditions économiques, les milieux de vie, le soutien social et les compétences personnelles. Mais qu’entendons-nous par la santé mentale? Il n’y a pas de définition universellement reconnue. Longtemps, la santé mentale a été définie par le biais de la maladie mentale et l’accent était mis sur les caractéristiques personnelles des individus (Wallot, 1979). Mais la venue des mouvements sociaux et le développement des sciences sociales ont contribué à mettre en lumière les interactions des individus avec l’environnement social, économique, politique et culturel. Voici quelques définitions modernes de la santé mentale.
Une première définition nous est fournie par l’Organisation mondiale de la santé. Elle fait ressortir les différentes composantes de la santé mentale : « Une personne en bonne santé mentale est une personne capable de s’adapter aux diverses situations de la vie, faite de frustrations et de joies, de moments difficiles à traverser ou de problèmes à résoudre. Une personne en bonne santé mentale est donc quelqu’un qui se sent suffisamment en confiance pour s’adapter à une situation à laquelle elle ne peut rien changer ou pour travailler à la modifier si c’est possible. Cette personne vit son quotidien libre des peurs ou des blessures anciennes qui pourraient contaminer son présent et perturber sa vision du monde. De plus, quelqu’un en bonne santé mentale est capable d’éprouver du plaisir dans ses relations avec les autres. Bref, posséder une bonne santé mentale, c’est paNenir à établir un équilibre entre tous les aspects de sa vie: physique, psychologique, spirituel, social et économique. Ce n’est pas quelque chose de statique, c’est plutôt quelque chose qui fluctue sur un continuum, comme la santé physique». (Association canadienne pour la santé mentale, 1999) .
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