La résilience organisationnelle : une imbrication de diverses définitions
La definition de resilience organisationnelle la plus reprise est celle de Karl E. Weick (1993), dont les travaux ont largement contribue a conceptualiser la resilience organisationnelle : il s’agit de “la capacité, pour une organisation, à maintenir un système d’actions organisé face à une situation inhabituelle dans le but de préserver la vie de l’organisation.” La resilience Weickienne suppose trois dimensions : (a) une capacite d’absorption qui permet a l’entreprise de faire face aux chocs sans s’effondrer ; (b) une capacite de renouvellement qui lui permet de se reinventer pour s’adapter a une nouvelle situation et se construire de nouveaux futurs ; et (c) une capacite d’appropriation qui lui permet de se renforcer en apprenant des crises vecues. Cependant, des definitions alternatives ont ete proposees par de nombreux auteurs, afin de s’adapter a leur sujet ou de traiter plus precisement un ou plusieurs des trois aspects de la resilience au sens de Weick. Ainsi, Gittel et al. (2006) choisiront une definition de la resilience tres operationnelle :
(a) le maintien d’un ajustement positif dans des conditions difficiles,
(b) la capacite de rebondir apres des evenements perturbateurs, et
(c) la capacite a maintenir ses activites et des resultats satisfaisants dans un contexte tendu.
Comme nombre d’auteurs avant eux (Dutton, Frost, Worline, Lilius, & Kanov, 2002 ; Robb, 2000), ils recentrent ainsi la capacite de resilience autour des deux premieres “phases” de la resilience Weickienne. D’autres approches se concentrent encore davantage sur “l’absorption”, laissant “le rebond” de cote et mettant en avant la “capacité à réagir aux événements stressants par des interprétations et des actions adaptées” (Kobasa, Maddi, Kahn, 1982). A l’inverse, d’autres auteurs (Coutu, 2002 ; Freeman, Hirschhorn, & Maltz, 2004 ; Jamrog et al., 2006) mettent l’accent sur la troisieme phase, celle qui permet a l’organisation d’apprendre, de developper de nouvelles capacites et de creer de nouvelles opportunites grace a un apprentissage post-crise. Il existe ainsi diverses approches de la resilience, qui explorent differentes etapes d’un processus et differentes capacites de l’organisation, entre la flexibilite (“la possibilité de changer dans un délai relativement court et à faible coût”, Ghemawat et Del Sol, 1998), l’agilite (“la capacité à développer et à appliquer rapidement des mesures concurrentielles”, McCann, 2004), l’adaptabilite (“la capacité à se réadapter à l’environnement”, Chakravarthy, 1982), ou encore l’apprentissage (“la capacité à tirer des leçons des chocs auxquels elle a dû faire face afin d’en sortir grandie, d’apprendre par ellemême”, Christianson, Farkas et Sutcliffe, 2009).
Une quatrieme dimension, qu’on peut d’une certaine maniere situer “en amont” des trois premieres, a egalement fait l’objet de nombreuses recherches : l’anticipation. Ainsi, Meyer (1982) adopte une approche tres chronologique de la resilience, composee de (a) l’anticipation avant le choc, (b) la reponse pendant le choc, et (c) le reajustement apres le choc. Cet interet pour la capacite d’anticipation ouvre un nouveau champ de recherche base sur les HRO pour “High Reliability Organizations”, organisations qui ont appris a faire face a des perturbations regulieres dans un contexte d’urgence, telles que les pompiers, les pilotes d’avion, les operateurs nucleaires… Ces travaux (Roberts 1990 ; Roberts, Stout et Halpern, 1994 ; Bierley et Spender, 1995) ont etudie ces organisations pour qui l’inattendu est la norme, afin de trouver les elements qui les rendent si “fiables”, et ont largement converge autour du concept de “mindfulness”, soit le moyen d’engager a travers des processus sociaux quotidiens dans l’organisation la comprehension detaillee de son contexte et des facteurs qui interferent avec cette comprehension (Vogus et Sutcliffe 2012 ; Weick et al. 1999 ; Weick et Sutcliffe 2001). En 2011, Weick et Sutcliff en tirent une serie de recommandations, allant de la gestion de l’echec au reporting, en passant par la simplification et la deference aux experts, pour instaurer une culture favorisant la “mindfulness” dans l’organisation, et ainsi reperer a temps les dysfonctionnements et leurs causes afin de pouvoir agir rapidement et de maniere adequate. Une partie significative de la recherche autour de la resilience se concentre donc sur des questions d’anticipation de choc internes ou endogenes, dans des contextes tres specifiques.
Disponibilité des ressources
Cette importance accordee aux ressources (financieres, humaines, technologiques ou autre) dans la resilience organisationnelle est presente chez de nombreux auteurs a differentes periodes (Cyert and March, 1963 ; Meyer, 1982 ; Hamel et Valikangas, 2003 ; Lengnick-Hall et Beck, 2005). On retrouve deux types de ressources en fonction de leur origine : les ressources internes (preexistantes a la crise) et les ressources externes, mobilisees a la suite du choc. Des ressources internes suffisantes permettent a une entreprise de gerer les repercussions immediates de la crise et lui offrent la flexibilite necessaire pour y repondre et s’adapter. A travers leur etude de la resilience des entreprises de high-tech suite a la crise financiere de 2008, De Carolis et al. (2009) mettent en evidence le role des ressources disponibles dans la gestion des effets negatifs d’un evenement perturbateur : premierement, ces ressources permettent de gerer les repercussions immediates pour faire suite au choc et offrent a l’organisation la flexibilite necessaire pouvoir s’adapter rapidement ; deuxiemement, elles permettent de se concentrer sur les opportunites plutot que sur les menaces, offrant ainsi differentes options strategiques pouvant mener a un nouvel avantage competitif.
Les “slack resources” permettent de proteger les organisations face a des chocs externes (Thompson, 1967) et d’y apporter des reponses adaptees (Cyert et March, 1963). Pour Meyer (1982), cet “organisation slack” (ou reserves organisationnelles) correspond a un surplus accumule pendant les periodes de tranquillite qui est ensuite consomme et exploite durant les periodes de turbulences. De Carolis et al. (2009) identifient trois sources de reserves : celles qui sont disponibles et n’ont pas encore ete assignees a un projet en particulier (“available slack”), celles qui ont deja ete investies ou assignees sans etre absolument necessaires et peuvent donc etre recuperees (“recoverable slack”), et celles qui peuvent potentiellement etre empruntees, aupres d’une banque par exemple (“potential slack”). Cette derniere categorie peut etre consideree comme une ressource externe, mais d’apres Gittell et al. (2006), les reserves preexistantes sont en grande partie ce qui permet d’acquerir ces ressources externes. Les auteurs insistent egalement sur l’importance des reserves dans la limitation des licenciements. Ces derniers, bien qu’un reflexe de survie des organisations sur le court-terme face a une crise, auraient plombe la resilience des entreprises dans les quatre annees suivant le 11 septembre. Avoir des reserves consequentes permet donc de maintenir les emplois et ainsi de sauvegarder des relations internes essentielles au retour de la performance dans l’organisation sur le long terme. Lengnick-Hall et Beck (2005) identifient le fait d’avoir un large reseau de ressources comme l’une des composantes principales de la resilience contextuelle. En effet, si les ressources externes peuvent provenir d’institutions publiques ou financieres, les organisations les plus resilientes ont egalement developpe un reseau d’alliances strategiques qui leur assure un acces a des ressources (De Carolis et al., 2009). En plus de ces alliances strategiques preexistantes, l’acces aux ressources externes pourrait egalement etre facilite par le fait que l’organisation apporte une contribution positive a la societe (Lengnick-Hall et Beck, 2005).
Capital social intra et inter-organisationnel
Le capital social au sens de Bourdieu (1980) designe “l’ensemble des ressources reelles ou potentielles qui sont liees a la possession d’un reseau durable de relations plus ou moins institutionnalisees de connaissance ou de reconnaissance mutuelle ». Le capital social dont dispose une organisation correspond a la somme des relations de confiance reciproques, intra-organisationnelles ou interorganisationnelles, qui lui donnent acces a des ressources de differentes natures (Arregle, Hitt, Sirmon et Very, 2007). Au sein d’une organisation, il s’agit de l’ensemble des relations entre ses membres qui facilite l’action et cree de la valeur (Adler et Kwon, 2002). Le capital social intra-organisationnel permet de faciliter la circulation de l’information, la creation et l’accumulation de connaissances (Burt, 2000) ainsi que la coordination, la prise de decisions et leur implementation (Hitt et al., 2002), et de rendre les equipes plus creatives (Perry-Smith et Shalley, 2003). Il pourrait ainsi offrir un avantage competitif (Arregle, Hitt, Sirmon et Very, 2007) et renforcer la resilience d’une organisation.
En effet, la coordination, la decentralisation de la prise de decision et les regles informelles qui en resultent forment une dynamique de groupe, permettent l’apprentissage des erreurs et encouragent l’echange de bonnes pratiques, trois elements favorisant la resilience (Kammoun et Boutiba, 2015). De plus, le capital social tend a ameliorer l’allocation des ressources (Arregle, Hitt, Sirmon et Very, 2007), qui constitue un challenge politique (influence par des jeux de pouvoirs, de gouvernance, de conflits internes) crucial pour la resilience d’une organisation : “Freeing up cash is one thing. Getting it into the right hands is another.” (Hamel et Valinkangas, 2003). Ainsi, l’exemple des entreprises familiales montre qu’un capital social important augmente l’attention portee a une utilisation optimale des ressources disponibles et limite la prise de risque (Beguin, 2010). Enfin, le capital social intra-organisationnel permet de mobiliser dirigeants et employes. Les relations de confiance et de respect qui se construisent via les liens entre les employes permettent de faire face a une situation de perte de sens (Kammoun et Boutiba, 2015), et affectent directement la capacite d’une organisation a repondre de maniere efficace a une crise en garantissant l’engagement et la productivite de ses membres (Gittel et al., 2006). Le capital social inter-organisationnel, lui, augmente les chances de succes des alliances (Ireland et al. 2002), et la disponibilite de ressources de differents types : informationnel, technologique, financier, relationnel ou d’influence (Arregle, Hitt, Sirmon et Very, 2007).
1. Introduction |