Passage de l’enseignement des soins Infirmiers dans les cégeps
Avant 1967, la formation infirmière était dispensée dans des écoles d’infirmières rattachées aux hôpitaux. Dans la foulée du Rapport Parent (1966) 3 cégeps commencèrent en 1967 une expérience pilote de l’enseignement des soins infirmiers (Lambert, 1979). Avant même qu’une évaluation formelle de cette nouvelle expérience se fasse, 12 cégeps emboîtèrent le pas l’année suivante et, 5 autres l’année d’après. À partir de septembre 1970, nous dit Lambert (1979, p. 40): celes quinze dernières écoles d’infirmières n’acceptent plus d’admission et les étudiantes désireuses de devenir infirmières se dirigent maintenant vers le collège .
Ici même au Canada, le transfert de la formation infirmière des hôpitaux à des établissements d’enseignement est prôné depuis un certain temps déjà entre autres par le rapport Weir en 1932 et par Mussalem en 1964. Lorsque, en 1965, la Commission Parent recommande l’intégration de tous les programmes de formation en soins infirmiers à l’intérieur du système général de l’éducation, il répond à une recommandation de l’Association des infirmières de la province de Québec.
Selon Riopelle (1976) la philosophie de base du nouveau programme nommé Techniques infirmières, s’appuyait plus sur les soins centrés sur le client que sur les routines de soins des différentes unités.
«L’enseignement prioritaire de la méthode de solution de problème doit permettre à l’étudiante d’apprendre à considérer le client comme la première source d’information dans la planification des soins, à assumer les conséquences de ses actes et non pas seulement à exécuter des soins dictés par les routines de l’unité de soins et les médecins .. (p. 4).
L’accent de l’enseignement collégial, nous dit-elle, est mis sur l’acquisition d’habiletés à identifier les problèmes du client, à planifier et à évaluer des interventions appropriées. L’enseignement de la démarche clinique était donc un moyen d’individualiser les soins. Ainsi, affirme Boutou (1978), on croyait que les infirmières seraient davantage capables de «développer des comportements rationnels tels que: collecter des données, analyser, juger, critiquer, décider, procurer des soins individualisés,. (p.7). Ces remarques de Boutou et de Riopelle illustrent bien que les éléments de la démarche clinique se devaient d’être au coeur de la formation collégiale.
Toutefois, le transfert de la formation infirmière des hôpitaux aux cégeps ne se fit pas sans heurts et avec les années, l’écart entre les 2 institutions s’accentua. À Rouyn-Noranda, nous n’avons pas pu échapper à cette situation qui se généralisait à tout le Québec. En 1979, Lambert décrivait ainsi les conséquences de l’intégration de la formation infirmière dans les cégeps:
«L’intégration des écoles d’infirmières au système d’éducation se fait entre le ministère de l’Éducation et de la Santé. Toutefois, de cette entente, nous ne pouvons présumer que le transfert subit et massif des étudiantes infirmières se fait sans heurts. Au cours de notre étude, nos interlocuteurs nous ont rappelé à maintes reprises qu’il a été difficile d’établir de nouveaux modes de communication entre les professeurs du collège et le personnel des centres hospitaliers. Plusieurs, parmi ces derniers, ont ressenti une perte de confiance, suite au transfert, et très tôt ce sentiment a fait place à: .. voyons ce que ces petits génies vont faire•. Cette séparation entre les éducateurs et les praticiens de soins infirmiers donne · lieu à un fonctionnement en vase clos. Conséquemment, les objectifs de formation diffèrent de plus en plus des attentes des milieux cliniques. Plusieurs problèmes suscités par cette situation ont été étudiés. Mais l’application des solutions tarde à venir car le collège et le centre de stage poursuivent des buts différents et jouissent de part et d’autre d’une autonomie totale .. (p.102).
Nous nous rappelons que, lors du transfert, on comptait sur les étudiantes et les enseignantes pour aider le personnel infirmier en place à appliquer les notions qui s’installaient avec le nouveau programme qui était, il ne faut pas se le cacher, un peu menaçant pour les infirmières d’alors. Aussi bien dans les cégeps que dans les milieux cliniques, plusieurs personnes croyaient que les futures diplômées deviendraient des agentes de changement, des personnes ressources et qu’ainsi, de façon graduelle, la démarche de soins pourrait ultérieurement être appliquée formellement dans tous les milieux.
En tant qu’ancienne étudiante infirmière de milieu collégial de la cohorte 1968-1971, qui a vécu ce transfert, nous avons vite réalisé que la nouvelle formation ne répondait pas nécessairement aux attentes des hôpitaux. Les cours dispensés n’étaient plus orientés vers le modèle médical. On parlait de concepts et de buts des soins infirmiers. Le nombre d’heures cliniques quoique planifié et réparti autrement étaient inférieur à un quart de la formation traditionnelle. Les échanges avec les collègues infirmières de l’ancien programme qui étaient alors en deuxième et en troisième années révélaient déjà les différences majeures entre les 2 types de formation et laissaient supposer le hiatus à venir. Il a suffi de peu de temps pour réaliser que les enseignantes et les étudiantes infirmières ne représentaient pas les modèles attendus et, à la limite, on nous voyait comme un personnel marginal, avec une conception différente des soins infirmiers.
Dans son historique du programme des Techniques infirmières, Lambert constate que bon nombre des intentions de cette formation avaient été perdues de vue. La réforme amorcée à la fin des années 1970 a donné lieu à l’exploitation d’un nouveau programme d’études qui met l’accent entre autres sur les compétences qui relèvent de la démarche clinique. Le choix des enseignantes du C.A.T. pour un cadre de référence pour l’enseignement de la démarche clinique s’inscrit dans cette démarche de révision de programme.
Situation actuelle au C.H.R.N: observations personnelles
Dans l’exercice de nos fonctions en tant qu’enseignante et faisant des laboratoires cliniques depuis dix-huit ans au Centre hospitalier de Rouyn-Noranda, (C.H.R.N.), nous avons observé que la planification écrite des soins était peu appliquée. Rares sont les collectes de données complètes dans les dossiers et rares aussi sont les plans de soins dans les kardex. Cela ne traduit cependant pas un désintéressement de la part des infirmières à l’égard de la planification écrite, puisqu’en 1987 lors d’un sondage auprès des infirmières du C.H.R.N. sur la démarche de soins, la majorité disait être d’accord avec l’esprit de la démarche et reconnaissait sa valeur pour une planification de soins de qualité.
Lors des laboratoires cliniques, les infirmières observent les étudiantes dans leur application de la démarche. Les échanges qui s’ensuivent sont assez fréquents et intéressants. Cependant, les infirmières se surprennent de voir les plans de soins écrits par les étudiantes. Elles disent admirer ce beau travail, mais affirment que dans le contexte de travail du C.H.R.N., elles n’auraient pas le temps de faire cela et que l’avènement du diagnostic infirmier semble compliquer le processus.
À 2 reprises, en 1987 et en 1989, nous avons effectué des stages personnels de ressourcement au C.H.R.N. et nous avons pu constater que l’organisation des soins infirmiers se prêtait peu à l’application d’une planification écrite des soins tèlle qu’enseignée au C.A.T., telle que prescrite par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec.(O.I.I.Q, 1982).Sans encadrement et sans ressources, il est difficile pour les infirmières d’être à la fois dans l’écriture que demande la planification et auprès du client. Des collègues enseignantes ont aussi fait le même constat. Les objectifs d’un de nos stages touchaient la planification écrite des soins sur l’unité d’obstétrique. Nous avons dû, pour les atteindre, avoir moins de clientes sous notre responsabilité que nos collègues infirmières et sans leur collaboration nous n’aurions pas pu réaliser ce stage tel que nous l’avions planifié .
Une des activités de ce stage consistait à élaborer avec l’équipe de soins un questionnaire d’entrevue appelé collecte de données adapté pour le type de clientèle de cette unité. Pour ce faire, il y a eu, sur une base volontaire, des rencontres avec les infirmières et les infirmières-auxiliaires et, lors des échanges, elles disaient être d’accord pour appliquer la démarche clinique en utilisant les outils qu’elle nécessite à la condition que ceux-ci soient allégés et facilitants pour elles. Toutefois, plusieurs ont affirmé qu’elles font cette démarche mentalement depuis toujours et elles ne voyaient pas l’utilité de la planification écrite des soins.
Lors des ·laboratoires cliniques avec les étudiantes, il arrive souvent que les clients nous demandent pourquoi leur approche diffère des infirmières diplômées. Il va sans dire que cela nous cause parfois un certain malaise. Il nous arrive souvent de nous demander comment les étudiantes peuvent être persuadées du bien-fondé d’une planification écrite, alors qu’elles observent et constatent lors de leurs stages que le milieu clinique dans lequel elles oeuvrent fonctionne de façon différente en ce qui a trait à la démarché de soins.
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