Approches du phénomène du suicide
Les approches philosophique et théologique
L’approche philosophique aborde les thèmes de la mort et du suicide. La participation des philosophes occidentaux à l’étude du suicide se veut plus intellectuelle et plus spéculative que pratique (Charon J. 1972). Plusieurs philosophes ont abordé ce sujet tels Pythagore, Montaigne, Voltaire, Kant et Nietzche. Plus près de nous, Camus et Sartre entre autres ont fait souvent ressortir dans leurs travaux, la futilité et l’inutilité de la vie, Camus a déjà souligné que le thème du suicide est central dans la philosophie.
L’approche théologique aborde le suicide sous l’angle du pouvoir des individus de s’enlever la vie. C’est la doctrine chrétienne qui a coloré les attitudes contemporaines à ce sujet. Historiquement, St-Augustin a été le premier à relier suicide et péché au IVe siècle, influencé en cela par le comportement des chrétiens face au martyre dont ils étaient l’objet. Puis, au VIle siècle, le Concile de Tolède a frappé d’excommunion toute personne qui tentait de se suicider. Au XIIIe siècle, StAugustin a édicté que le suicide était péché mortel dans le sens qu’il usurpait le pouvoir de Dieu sur la vie et la mort. Cette position a été celle de l’Église jusqu’au XVIIIe siècle. De nos jours, le suicide est généralement condamné dans le cercle des théologiens mais la notion de péché n’y est plus rattachée. Le livre de Battin (1982) » Ethical Issues in Suicide » est une bonne source de références pour connaître plus à fond la position de l’Église sur le suicide.
Les approches légale et morale
En Amérique du nord, seuls deux états américains, l’Alabama et l’Oklahoma considèrent le suicide comme un crime. Cependant, l’encouragement au suicide est partout considéré comme un crime. L’approche morale du suicide questionne d’abord la moralité du suicide même, le rôle de l’intention, la rationalité du suicide, le droit à commettre le suicide, l’assistance au suicide et l’euthanasie active et passive.
L’approche socio-culturelle
Cette approche traite du suicide dans les différentes cultures et tient compte de deux faits particuliers à savoir que chaque individu naît et se développe dans une matrice socio-culturelle et que l’acte de suicide lui-même a différentes significations tant pour l’auteur du suicide que pour le survivant, selon les cultures.
C’est à travers l’approche socio-culturelle que la définition du suicide s’est précisée selon Shneidman qui définit le suicide comme un acte conscient d’autodestruction chez un être qui ressent un malaise à dimensions multiples, qui a des besoins et qui perçoit le suicide comme la meilleure solution à ses problèmes. Hendin (1964) a écrit « Le suicide » en Scandinavie et Iga (1986) dans « The Thorn in the Chrysanthenum: Suicide and Économie Success in Contemporary Japan » parle du suicide comme prix à payer pour le succès du Japon faisant ainsi référence à la mutation des valeurs suite aux changements social et culturel de la société japonaise.
L’approche sociologique
Le volume de Durkheim (1897) « Le suicide » démontre la force de l’approche sociologique. Dans l’analyse des résultats de données recueillies en France, Durkheim propose quatre sortes de suicide, toutes reliées à la force ou à la faiblesse du lien individu-société. Le suicide altruiste est littéralement demandé par la société en certaines circonstances, le hara-kiri par exemple pour sauver l’honneur. Le suicide égoïste se produit chez les individus qui ont peu de liens avec la communauté. Le suicide anomique se produit lorsque la relation d’un individu avec la société est soudainement rompue comme par exemple, à la suite d’un choc ou de la perte d’un lien significatif. Le suicide fataliste dérive d’un excès de règlements auxquels par exemple, doivent se soumettre les prisonniers ou les esclaves et pour qui le futur est complètement bloqué.
Peu de changements ont été apportés à la théorie de Durkheim pendant de nombreuses années. Henry and Short (1954) ont ajouté le concept de contraintes internes (super égo) aux contraintes externes développées par Durkheim, et Gibbs et Martin (1964) ont cherché à opérationnaliser le concept d’intégration sociale développé par Durkheim.
Maris (1981) croit qu’une théorie systématique du suicide doit comprendre au moins quatre catégories de variables telles celles traitant de la personne, du contexte social, des facteurs biologiques et de la temporalité. Selon Shneidman, les théories sociologiques sur le suicide sont dans une période de développement et de modernisation.
Les approches diadique, interpersonnelle et familiale
Approximativement, 15 % des suicidés laissent une note de suicide et la lecture de ces notes donne souvent l’impression que le suicide est un événement qui ne concerne que deux personnes. Dans cette approche du suicide, le concept de personne significative est important puisque la personne significative est souvent celle invoquée pour expliquer le geste suicidaire. Cyntia Pfeffer (1986) dans son livre ‘The Suicidai Child » décrit les caractéristiques des familles des enfants qui se suicident et constate qu’il est difficile d’ignorer la qualité des relations existantes entre les membres de la famille dans la compréhension du geste suicidaire.
L’approche de la théorie des systèmes
La théorie des systèmes est une alternative aux théories mécanistes qui ont dominé longtemps le monde de la physique, de la biologie et de la psychologie. Elle met l’emphase sur l’intercommunication entre les parties d’un tout, qu’il soit cellule, organisme ou collectivité et sur le caractère unique du tout.
La théorie des systèmes développée par Miller (1978) dans « Living Systems » et les hypothèses qu’elle contient, favorisent une plus grande compréhension des comportements autodestructeurs chez les systèmes vivants. Blaker (1972) en a fait une application intéressante dans « System Theory and Self Destructive Behavior: A new theoretical base ». Il en sera question dans la section traitant du modèle cubique.
L’approche psycho-dynamique
Dans cette approche, la notion d’hostilité inconsciente est utilisée pour expliquer le geste suicidaire. Le désir de tuer, d’être tué, de mourir sont trois étapes développées par Menninger (1938), disciple de Freud, dans son livre « Man against himself’. Litman (1967) considère qu’il y a plus que de l’hostilité dans la psycho-dynamique du suicide. Ces facteurs sont d’ordre émotif et comprennent la rage, la culpabilité, l’anxiété et la dépendance. Les sentiments d’abandon et particulièrement ceux d’impuissance et de désespoir sont importants et constituent des conditions prédisposantes au suicide. Zilborg (1937) ajoute à la théorie de Freud l’incapacité d’aimer les autres.
L’approche psychologique
A la différence de l’approche psycho-dynamique, l’approche psychologique n’adopte pas de scénario d’inconscience pour expliquer le suicide. Il met l’emphase plutôt sur un certain nombre de caractéristiques de nature psychologique. Shneidman (1976) en identifie quatre, soient une »perturbation aiguë » ou un bouleversement de l’individu, l’augmentation d’un ensemble de « sentitnents aéfavora6fes envers soi » comme par exemple, des sentiments de culpabilité et de blâme, un « retrécissement de la pensée » et « l’idée de cessation », c’est-à-dire de la possibilité de mettre fin définitivement à la souffrance.
Pour comprendre les besoins psychologiques des êtres humains, le livre de Murray (1938) » Explorations in Personality » est important; il permet de comprendre la douleur psychologique des personnes dont certains besoins ne sont pas comblés et également pour guider l’intervention visant à réduire la douleur et la perturbation qui pousse l’individu au suicide.
L’approche psychiatrique et de la maladie mentale
L’approche psychiatrique considère le suicide comme un désordre affectif particulièrement de type dépressif. Selon Shneidman, 90 % des suicides sont ou peuvent être classés comme maladie mentale, en utilisant le guide des diagnostics psychiatriques DSM-III de l’Association psychiatrique américaine (1980). Cependant, même si 100% des personnes suicidées sont perturbées, cela ne signifie pas qu’elles soient malades. Perturbation n’égale pas maladie. Il s’agit le plus souvent d’un état de l’esprit et non d’un trouble du cerveau ou d’un désordre psychiatrique.
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