Le succès académique est fortement relié à la réussite sociale. Les conséquences de l’échec scolaire sont ressenties non seulement par la personne qui le vit mais également par la société qui doit supporter ces individus par des programmes d’aide de tous genres. Cette problématique mérite donc qu’on s’y attarde plus longuement afin de relever les causes profondes qui la sous-tendent.
La motivation scolaire est depuis longtemps au coeur des préoccupations de l’enseignante. En effet, l’impact de la motivation sur l’apprentissage l’incite à consacrer beaucoup de temps à la préparation d’activités amenant l’élève à participer, s’engager et persister dans la tâche à accomplir (Viau, 1992). En théorie, la motivation ne devrait pas faire défaut chez les élèves de l’école primaire. L’instinct volitif de l’être humain se manifestant par l’exploration, la curiosité, le goût d’apprendre et de s’actualiser (Maslow, 1954), devrait à lui seul être une grande source de motivation scolaire. Malheureusement, plusieurs enfants débutent leur vie scolaire dépowvus de cette motivation intrinsèque. Que s’est-il passé? Pourquoi ces enfants ne veulent-ils pas s’engager dans l’apprentissage?
Le corps enseignant s’est retrouvé dans une situation très difficile à vivre car la démotivation entraîne entre autre des problèmes de discipline à l’intérieur de la classe. La participation des élèves n’étant plus acquise au départ, les enseignantes ont dû revoir leur façon d’aborder la matière au programme. Les uns, fidèles aux contenus à couvrir dans l’année, ont récupéré la participation des élèves en étant plus rigides et autoritaires. La majorité des autres s’opposant aux méthodes « fortes » qui les ramenaient des décennies en arrière, ont sollicité la participation des élèves en rendant la .matière au programme plus attrayante, en allégeant le contenu, en l’enrobant de mille et un artifices ou simplement en y associant des récompenses (renforcement positif). La pédagogie basée sur la motivation dite extrinsèque a été fortement critiquée mais demeure une pratique courante en milieu scolaire puisqu’elle est efficace au niveau de la motivation des élèves.
La motivation scolaire
Différents chercheurs se sont attardés à décrire les sources de la motivation scolaire afin de mieux comprendre la démotivation des enfants. Bien qu’une foule de facteurs rejoignent la motivation d’une façon ou d’une autre, tous relèvent du domaine des perceptions de soi par rapport à l’environnement. Trois grandes perceptions de soi ont été identifiées comme les plus déterminantes de la motivation scolaire (Viau, 1992): la perception de sa compétence à accomplir la tâche demandée; la perception de l’importance de la tâche à accomplir; les attributions causales (la perception des· causes relatives aux succès et échecs).
Ces trois perceptions sont issues de processus d’auto-évaluation chevauchant les sphères cognitives et affectives. L’élève, à la fois acteur et évaluateur, porte un jugement subjectif sur ses expériences scolaires et en tire des conclusions qui l’inciteront à participer ou non à la tâche demandée.
Des recherches intéressantes (Borkowski, 1990; Covington, 1984; Schunk, 1991) menées dans différents milieux ont réussi à isoler ces trois perceptions et à observer leur effet sur les. conséquences de la motivation scolaire qui sont: la participation, l’engagement cognitif et la persistance à la tâche.
Comme ces trois perceptions de soi sont spécifiques à chaque matière et varient selon les circonstances, il est difficile d’imaginer une application pratique en milieu scolaire. Cela impliquerait un investissement énorme. En effet, l’enseignante désireuse d’améliorer la participation de ses élèves devrait, selon les conclusions précédentes, tenir compte des perceptions de chaque élève pour chaque matière et chaque situation! Ce type d’enseignement » hyper individualisé « est une entreprise pratiquement impossible pour une classe de vingt-cinq élèves ou plus. Existerait-il d’autres facteurs importants de motivation scolaire sur lesquels l’enseignante pourrait intervenir de façon réaliste ?
L’estime de soi
Au-delà de toutes ces perceptions spécifiques, une perception de soi générale entre en jeu: l’estime de soi. Au même titre que les perceptions de soi spécifiques, l’estime de soi a été identifiée comme étant une Source importante de motivation scolaire. Cependant, bien que l’estime de soi fasse l’objet de plusieurs recherches en rapport avec le milieu scolaire, les résultats obtenus sont moins significatifs que dans le cas des perceptions spécifiques; ils sont mêmes contradictoires dans certain cas! Cette divergence de conclusions quant à la relation entre l’estime de soi et les variables scolaires (Morin 1986) (performances, motivation, potentiel d’apprentissage, quotient intellectuel, etc) vient du fait qu’au départ, l’estime de soi relève du domaine des perceptions de soi. L’étude de ce thème est une aventure sur un terrain glissant puisque l’enjeu consiste à évaluer la vision que chacun se fait de la réalité. Il est donc évident que l’estime de soi se prête difficilement à l’expérimentation. De plus, certains chercheurs utilisent à tort l’expression « estime de soi » pour évoquer une foule de réalités différentes, ce qui explique la divergence dans les résultats.
Définition
A l’intérieur des recherches consacrées essentiellement à l’estime de soi, une défmition claire de ce concept est présentée et partagée, à quelques nuances près, par l’ensemble des auteurs. Par rapport au concept de soi: un ensemble de caractéristiques que la personne s’attribue et qu’elle reconnaît comme faisant partie d’elle-même en dépit des changements (L’Ecuyer 1994), l’estime de soi est l’aspect évaluatif, un jugement de la personne sur sa propre personnalité. Cette évaluation globale de soi engendre une perception de soi plutôt positive ou négative amenant un sentiment de valorisation ou de dévalorisation de la personne. On la définit alors comme un sentiment général d’acceptation de soi. Ce que la personne ressent est le résultat final d’une synthèse complexe entre l’individu et son environnement (Compagnone et Strayer, 1993).
Le cognitif versus l’affectif
Malgré cette entente apparente, une divergence demeure quant à la façon de concevoir la genèse de l’estime de soi. Bien qu’on reconnaisse de part et d’autre que l’estime de soi n’est pas innée (Perron, 1991), qu’elle est une co-construction entre l’individu et son environnement (Zakharova, 1990), qu’elle est relativement stable malgré des fluctuations sporadiques (Kernis, Cornell, Chien-Ru, Berry et Harlow, 1993), on ne s’entend pas pour dire si les perceptions de soi spécifiques s’additionnent pour former une perception de soi générale (Harter, 1983) ou à l’inverse, si l’estime de soi engendre des perceptions spécifiques à chaque domaine (Brown, 1993).
Plus simplement, deux visions s’opposent: l’estime de soi est une évaluation de soi générale issue de processus d’évaluation cognitifs dans chaque domaine ou expérience (Harter, 1983), ou alors, l’estime de soi prend sa source dans des processus affectifs comme l’attachement et le sentiment d’affection (Brown, 1993) et se consolide à travers des perceptions spécifiques. La position des cognitivistes est d’affirmer que par ses expériences de succès et échecs, l’individu évalue cognitivement ses performances en fonction des standards sociaux de son environnment et cette banque de connaissances antérieures constitue sa référence face à 1 ‘expérience nouvelle. La sommation de ses perceptions de succès/échecs équivaut selon cette logique, à l’estime de soi générale (Borkowski et Rellinger, 1990). Cette hypothèse implique que toutes les expériences vécues durant la prime enfance ne touchent aucunement l’estime de soi puisque le concept de soi en tant qu’entité distincte pouvant être évaluée (estime de soi), n’est pas développé avant deux ans et demi (L’Ecuyer, 1994).
Sans nier l’effet des perceptions spécifiques, les tenants de la théorie affective de la genèse de l’estime de soi avancent l’idée que la perception générale d’être valable, aimable et capable d’interagir avec l’environnement se construit à partir des interactions dynamiques entre l’enfant et les personnes significatives de sa vie (Phillips, 1983), donc bien avant que l’enfant devienne conscient de lui-même et cognitivement apte à interpréter son environnement.
CHAPITRE I. CADRE THÉORIQUE |