Interprétation contextuelle de la résistance au traitement à l’adolescence

La résistance au traitement constitue un problème majeur depuis longtemps reconnu par les intervenants. Initialement- décrite et conceptualisée en psychanalyse, elle demeure une préoccupation tant pour les tenants de l’approche psychodynamique que behavioriste (Jahn et Lichstein, 1980; Piersel et Gutkin, 1983). Parmi les nombreux écrits sur le sujet, plusieurs soulignent la résistance particulière de l’adolescent. Anna Freud (1958) précise d’ailleurs que le traitement de celui-ci consiste en une aventure hasardeuse du début à la fin. Dans un ouvrage devenu classique, Redl et Wineman (1973) décrivent concrètement cette résistance de l’adolescent et présentent un ensemble de techniques d’intervention visant à la contrer.

Pour expliquer cette résistance particulière de l’adolescent, on se réfère d’abord à la situation de contrainte dans laquelle celui-ci se retrouve fréquemment (Fieischer, 1972; Saffer et Naylor, 1987; Uribe, 1988; Warren, 1977}. Le traitement peut en effet lui être imposé par diverses personnes en autorité, notamment par ses parents, par la direction de l’école ou encore par le tribunal. De plus, le facteur ‘maturation·· s’ajoute . à cette· contr »ainte . po’ur . expliquer sa résistance: L’adolescence consiste en une période où la formation d’une identité est centrale, dynamique (Erikson, 1972}. Cette quête d’une image unitaire de soi constitue une tâche articulièrement difficile pour l’adolescent qui tend alors à résister à ce qui contrarie ses tentatives initiales de définition de soi, et ce d’autant plus que souvent il n’est pas volontaire dans la démarche. Cette recherche d’identité s’accompagnant d’une affirmation d’indépendance, cela s’accorde difficilement avec la dépendance inhérente à toute relation aidante (Saffer et Naylor, 1987; Graafsma et Anbeek, 1984). La situation de contrainte, doublée des enjeux maturationnels de l’adolescence, convergent donc pour expliquer la résistance de l’adolescent face au traitement.

Considérant que la collaboration constitue un facteur essentiel à la démarche thérapeutique, la résistance de l’adolescent rend ainsi incertaine l’efficacité du traitement. Luborski et ses collègues (1985} rapportent des résultats si concluants à cet effet qu’ils affirment que l’habileté à susciter l’alliance du client est possiblement le facteur déterminant de l’efficacité du traitement. Bordin (1979) considère que la force d’une telle alliance, plus que le type de traitement, détermine le processus de changement en thérapie. Selon lui, l’alliance recouvre trois composantes importantes: l’établissement d’un lien émotionnel entre le patient et l’intervenant, une entente sur les buts poursuivis et un accord sur les tâches à accomplir. Gelso et Carter (1985), se basant sur une recension des écrits cliniques et de la recherche empirique, proposent une théorie de l’alliance ·au traitement. Ils conçoivent cette alliance comme déterminante de l’efficacité, peu importe le cadre théorique de l’intervention ou le type de client.

Les résultats d’une recherche effectuée par Gomes-Schwartz (1978) démontrent que l’engagement du client dans la démarche de traitement constitue un prédicteur consistant de réussite. En comparaison avec l’exploration des conflits et les attitudes facilitantes du thérapeute, l’engagement du client est de loin le facteur le plus déterminant de l’efficacité du traitement. Cet engagement n’étant pas fonction du type d’intervenant, Gomes-Schwartz, en accord avec Strupp (1973), souligne l’importance des facteurs non spécifiques, c’est-à-dire ceux qui réfèrent non pas aux techniques d’intervention mais plus spécifiquement au contexte relationnel dans lequel s’effectue le traite rn ent. Il en conclut que la recherche doit maintenant viser à déterminer les conditions favorables à l’engagement positif de la personne dans la démarche de traitement.

L’affirmation de l’importance de l’engagement de la personne dans le traitement suggère que l’établissement d’un climat de collaboration soit un objectif préalabfe au traitement de l’adolescent résistant. Schrodt et Fitzgerald (1987) mettent en évidence ce lien entre la nécessaire alliance et le problème fréquent que posent l’établissement et le maintien de celle-ci auprès de l’adolescent. L’intervention psychoéducative visant une clientèle en bonne partie adolescente est  particulièrement concernée pa·r ce problème. Comment intervenir · auprès de l’adolescent, et ce particulièrement dans un contexte de contrainte, alors que ce dernier se préoccupe justement, au plan maturationnel, de se distancer de l’adulte? . Comment orienter l’intervention s’il ne s’allie pas à la démarche et y réag it même parfois activement? Alors que la relation entre le psychoéducateur et l’adolescent résulte souvent d’une contrainte, il ne peut en être ainsi de l’alliance au traitement. Reconnaissant que le propre de l’adolescence consiste en une quête d’identité en relation avec autrui, Singh (1987) affirme l’importance d’un travail conjoint avec l’adoles cent et considère que la mise en place d’une ambiance psychologique favorable à celui-ci est la responsabilité de l’intervenant.

Bien que le pro blème de la résistance au traitement à l’adolescence soit largement reconnu et que maints rapports suggèrent diverses avenues d’intervention, à notre connaissance aucune vérification empirique prenant précisément l’alliance au traitement comme variable dépendante n’a été effectuée. Plusieurs recherches d’approches théoriques différentes démontrent la relation entre un climat de collaboration et la réussite du traitement (Gelso et Carter, 1985; Gomes-Schwartz, 1978; Lambert, 1983; luborski et al., 1985). Cependant, en accord avec la proposition de Gomes-Schwartz, la question dont doit maintenant se préoccuper la recherche consiste en l’identification de ce qui précisément, dans le contexte thérapeutique, est favorable à la collaboration de la personne. La présente recherche pose la qÙestion de la résistance de l’adolescent en ce sens, en portant l’attention non pas sur la perspective négative d’une résistance à affronter mais plutôt sur celle, positive, d’une collaboration à motiver. L’interprétation de la . résistance comme la résultante d’une situation maturationnelle conflictuelle et du contexte de traitement, entre autre de la situation fréquente de contrainte, permet d’étayer cette perspective.

Alors qu’en psychothérapie la résistance consiste en une opposition de l’analysé relative à l’accès de son inconscient (Virel, 1977), la résistance particulière de l’adolescent dont il est ici question consiste précisément en un refus plus ou moins manifeste de collaborer à la démarche. La terminologie anglaise utilise d’ailleurs le terme ‘reluctance’ qui recouvre toute réaction à une présence involontaire en situation de traitement (Vriend et Dyer, 1973). Selon Uribe (1988), en plus des aspects dynamiques propres à l’adolescence, particulièrement ceux relatifs aux rapports avec l’autorité, la plupart des adolescents sont contraints d’être en traitement même s’ils ne reconnaissent pas leurs problèmes. Cette situation explique selon lui leur tendance à résister ou à ne pas collaborer. Pour Singh (1987), cette contrainte suscite de la résistance en raison de la lutte pour l’indépendance face aux parents qui est, par transfert, active dans la relation thérapeutique. Alors qu’il   ressent une poussée d’in.dépendance, il est difficile pour l’adolescent de s’adapter à une situation de dépendance factuelle face aux adultes.

Dans un tel contexte de traitement, l’adolescent peut manifester une opposition discrète et parfois active. McHolland (1985) propose un continuum de la résistance, expliquant celle-ci par le contexte . développemental et social de l’adolescence ainsi que par un besoin psychologique de protection. D’abord, étant involontairement en traitement, l’adolescent peut manifester des attitudes défiantes et hostiles, et user de projection en blâmant les autres pct lr ses problèmes, pour autant qu’il admette en avoir. Il peut, d’autre part, se distinguer par une attitude apathique. Malgré la contrainte, l’adolescent semble alors indifférent au lieu d’être rebelle. S’il reconnaît un problème, il le juge négligeable, n’éprouve ni anxiété, ni besoin de le régler. Une troisième possibilité consiste en ce que l’adolescent refuse d’admettre ses difficultés tout en manifestant ouvertement son anxiété. Il se sent alors ambivalent et, tout en laissant apparaître une bonne volonté, il tend à dénier ses problèmes. En dernier lieu, et . ce malgré qu’il soit volontaire dans le traitement, l’adolescent manifeste une ambivalence due à une incertitude ou à une crainte face aux changements qui peuvent résulter du traitement.

Au lieu de juger l’adolescent responsable des difficultés de l’intervention, Saffer et Naylor (1987) suggèrent de nuancer cette position en tenant compte des tâches développementales importantes auxquelles ·celui-ci doit s’adapter et qui influent sur le traitement. La · résistance doit, selon eux, être envisagée à la lumière du contexte maturationnel de l’adolescence. Pour l’adolescent qui cherche avec difficulté à se. constituer une ·identité, reconnaître se~ problèmes équivaut à percevoir et à avouer qu’il est inadéquat. La résistance le protège donc de ce qui risque d’ébranler sa fragile stabilité psychique. Uribe (1988) affirme que même si elle nuit au traitement, la résistance représente aussi une saine capacité d’adaptation de la part de l’adolescent .

Table des matières

CHAPITRE PREMIER: Problématique
Interprétation contextuelle de la résistance au traitement à l’adolescence
CHAPITRE 2: Cadre théorique
La résistance au traitement sous l’angle de la théorie relationnelle de la motivation
Le champ psychologique et perceptuel chez Lewin
Les besoins fonctionnels et leur concrétisation chez Nuttin
La représentation de soi comme facteur de motivation chez Ruel
Intégration théorique
CHAPITRE 3: Recension des écrits empiriques
Contexte ‘objectif’ de l’institution et qualité de l’adaptation
Perception du contexte comme facteur favorable
à la démarche thérapeutique
Les préférences de l’adolescent en matière de traitement
La réadaptation des adolescents en internat
Intégration des écrits théoriques et empiriques
ENONCE DES HYPOTHESES
Hypothèses relatives aux dimensions considérées séparément
Hypothèse générale
Hypothèses spécifiques· relatives à la perception des adolescents
Hypothèses spécifiques relatives aux préférences des adolescents
Considération additionnelle
Hypothèse relative aux dimensions combinées
CHAPITRE 4: Méthodologie
Sujets
Instruments de mesure
1 . L’échelle d’Environnement Institutionnel (Moos, 1975)
Elaboration du questionnaire. et tests statistiques
2. L’échelle d’Alliance de Travail (Horvath, 1981)
Elaboration du questionnaire et tests statistiques
Traduction et adaptation
Validité de contenu et sélection d’items
Administration des questionnaires
Compilation et homogénéité des échelles
Analyse statistique .
CHAPITRE 5: Présentation des résultats
Analyses statistiques préliminaires
Valeur prédictive des variables (Régression simple)
Vérification des assomptions sous7jacentes à la
validation des modèles de régression simple
Vérification des hypothèses relatives aux préférences des adolescents
Identification des modèles de prédiction (Régression multiple)
Procédures d’élaboration des modèles
Identification des modèles
Vérification de l’hypothèse relative à une configuration de variables
Valeur prédictive des modèles
Vérification des assomptions sous-jacentes à la
validation des modèles de régression multiple
Chapitre 6: Conclusion

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