Une définition de l’identité

Une définition de l’identité 

De grands philosophes tels Socrate, René Descartes et Wilhelm F. Hegel, parmi tant d’autres et tant d’époques, ont maintes fois remis en question et secoué [‘arène intellectuelle avec leurs « connais-toi, toi-même », «je pense, donc je suis» et « il est à la fin seulement ce qu’il est en vérité» (Baudry et Juchs, 2007). Qui plus est, nul ne saurait faire abstraction des artistes qui ont intrinsèquement incorporé cette préoccupation au sein de leurs œuvres. Comment ignorer le fameux « Be or not to he, that is the question» de Shakespeare dans sa pièce Hamlet ou encore l’impact du Refus global de Paul-Émile Borduas et de ses 15 cosignataires sur l’identité québécoise? Malgré le foisonnement intellectuel entourant l’existentialisme, l’identité se veut une préoccupation fondamentalement universelle (Baudry et Juchs, 2007) et inhérente à notre existence (Amer et Howarth, 2016). Or, il semble que l’identité tend à signifier trop, trop peu, voire ne rien signifier du tout en raison de son ambiguïté polysémique. Qu’est-ce que la science entend par identité? « Cela dépend du contexte dans lequel il [terme identité] est employé et de la tradition théorique à laquelle se rattache l’emploi en question» répondront Brubaker et Junqua (2001 , p.71).

En lien avec la réponse à cette question, il semble que le concept de l’identité puisse se décliner sous plusieurs fom1es telles que personnelle, de rôles, sociale ou encore même culturelle (Burke et Stets, 2009; Galliher et al., 2017). Avec un concept aussi large et polysémique, il en va de soi que les définitions de l’identité s’avèrent nombreuses et parfois contradictoires entre elles (Brubaker et Junqua, 2001). En ce sens, on peut constater l’interrelation et l’interaction autant de l’individu comme de la société au sein du concept de l’identité (Burke et Stets, 2009). De plus, une identité peut devenir une construction théorique en soi et peut également se définir en lien avec des différences par rapport aux autres ou encore en termes de récit structurant et organisant le passé et le présent afin d’anticiper le futur (Bruner, 1987; Burke et Stets, 2009; Lasz16, 2014; Létoumeau, 1995; Mathieu et al., 1985; Nencini, 2013; Tajfel et Tumer, 1986). Or, en procédant à un amalgame définitionnel de l’identité, il est possible d’en tirer une synthèse conceptuelle qui est consonante avec différents modèles théoriques qui postulent que le contenu de l’identité sociale (voire culturelle) émane de facteurs historiques, politiques et structuraux d’une société (voir la prochaine section à cet effet). Ainsi, l’identité se veut un ensemble de significations partagées, malléables et contextuelles permettant de définir ou encore de se définir, personnellement ou socialement, autant en tant qu’individu qu’en tant que collectivité (Amer et Howarth, 2016; Burke et Stets, 2009; Cohen-Scali et Moliner, 2008; Nencini, 2013).

Perspectives théoriques en lien avec le contenu de l’identité 

À l’aide d’une séquence antécédents – comportement – conséquences, il semble possible de conceptualiser comment les chercheurs entrevoient le contenu de l’identité. Autrement dit, certains chercheurs ont un intérêt pour son développement, d’autres pour sa représentation (sa mesure) et un dernier groupe pour ses conséquences. De surcroît, il semble que la théorie de l’identité sociale (Tajfel et Turner, 1986) soit un cadre théorique colorant l’ensemble des travaux des chercheurs de cette séquence. Étant donné cette situation, l’exposition des théories relatives au contenu de l’identité commence par les conséquences du contenu identitaire, car c’ est surtout sur cet aspect que les chercheurs intéressés par la théorie de l’identité sociale semblent avoir concentré leurs efforts. Viennent ensuite les théories développementales de l’identité sociale qui, elles, ont pour but de comprendre les antécédents du contenu de l’identité. Cette section se tennine par la mobilisation de différentes théories, immanentes à la notion de représentations sociales, afin d’y proposer une manière de mesurer le contenu de l’identité.

Les conséquences du contenu de l’identité 

Les conséquences du contenu identitaire semblent s’appliquer à dessein à différentes théories traitant de l’identité dans le domaine de la psychologie sociale. Nous pensons, entre autres, aux théories de l’identité (Stryker, Stryker et Thoits , McCall et Simmons dans Burke et Stets, 2009), de l’identité sociale (Tajfel et Turner, 1986), de la clarté identitaire (Taylor, 1997, 2002) ainsi que l’approche théorique du récit (Lâsz16, 2008, 2014) .

Précisons en premier lieu que l’idée derrière la mobilisation de la théorie de l’identité comme l’un des cadres théoriques de ce mémoire est de mettre en exergue le fait que le contenu de l’identité provient des différents rôles qu’un individu joue, assignés par autrui ou par lui-même, et qu’il partage collectivement. En s’inspirant majoritairement du livre de Burke et Stets (2009) à cet effet, il est possible d’affirmer que cette théorie s’inscrit dans le continuum théorique de la sociologie de l’interactionnisme symbolique. D’ailleurs, selon cet ouvrage, George Herbert Mead avançait la perspective selon laquelle l’unicité du caractère d’une interaction humaine découle des symboles partagés. Aussi, James H. Cooley a reconnu, assez tôt, l’importance des émotions découlant du fonctionnement de l’identité personnelle en interaction avec les autres. En somme, l’interaction symbolique (la communication verbale et non verbale) entre les individus permet d’échanger des informations aidant à la formation de contenus qui, eux, permettront à des individus de se donner une identité.

Remarquons que c’ est Stryker, un des fondateurs de la théorie de l’identité, qui a mis en lumière le fait qu’une personne ait une identité ou une désignation positionnelle interne pour toutes les différentes positions ou rôles qu’elle assume et possède socialement (Burke et Stets, 2009). Ce dernier et son collègue Thoits mettent en valeur la façon dont l’identité s’active en explicitant la manière dont la structure sociale influence l’identité et le comportement d’un individu. Par leur concept central de rôle identitaire, George McCall et J.L. Simmons ont aussi souligné l’aspect du maintien des identités lors d’interactions interpersonnelles. Par ailleurs, la théorie de l’identité assume sans équivoque le principe du continuel changement des significations identitaires laissant ainsi sous-entendre que le contenu de l’identité est en mouvance. Cette théorie tend donc à s’intéresser à l’élément « contenu» de l’identité étant donné qu’elle se concentre sur «les significations spécifiques que les individus possèdent en lien avec les multiples identités qu’ils réclament; comment ces identités sont liées entre elles pour chaque personne; comment leurs identités influencent leurs comportements, leurs pensées et leurs sentiments et comment leurs identités s’avèrent rattachées» (Traduction libre- Burke et Stets, 2009, p. 3).

Une deuxième théorie qui semble allier le fonctionnement et le contenu de l’identité est la théorie de l’identité sociale proposée par Tajfel et Turner (1986). En ce sens, le contenu assume indubitablement une position centrale dans cette approche théorique. Ainsi, «socialement partagé parmi les membres d’une catégorie sociale, le contenu identitaire intègre le soi et influence les pensées, la perception et le comportement des individus» (Traduction libre- Tumer-Zwinkels et al., 2015, p. 434). D’ailleurs, un contenu spécifique se veut cohérent pour des individus appartenant à un groupe en tant que paramètre comportemental et de leurs implications en ce qui a trait aux relations intergroupes dépendantes de ses significations (Livings ton et Haslam, 2008). En effet, « l’identité constitue une méthode d’autocatégorisation par laquelle le soi se construit et se comprend au travers de l’appartenance au groupe» (Amer et Howarth, 2016, p. 440). Qui plus est, le contenu identitaire s’avère comparé entre les groupes et ce, selon la légitimité et la stabilité du contexte intergroupe qui prévaut. Se déclinent de cette comparaison différents comportements dont le favoritisme intragroupe. Ce qui prédomine dans cette approche pour ce mémoire est le fait que les individus donnent sens au contexte dans lequel ils se retrouvent et agissent en fonction d’un élément de contenu qu’ils assument être partagé (Amer et Howarth, 2016). Ajoutons que dans son prolongement de la théorie de l’identité sociale, Turner et al. (1987) précisent que le contenu de l’identité changera selon trois niveaux (la supracatégorie, le groupe ou l’individu) auxquels un individu a recours pour se définir.

Inspirée par les travaux de Tajfel et Turner (1979), la théorie de la clarté identitaire, élaborée par Taylor (1997, 2002), souligne quant à elle l’importance de la clarté du contenu pour l’explication de la construction d’une identité collective. En fait, si le contenu de l’identité de groupe n’est pas clair, comment est-il possible d’avoir ou encore de se revendiquer une identité personnelle? Le modèle de Taylor est extrêmement pertinent pour l’étude de la question de recherche qui anime ce mémoire, car il précise une dynamique entre deux contenus identitaires soit celui de l’identité sociale et de l’identité personnelle. Plus précisément, Taylor suggère que les référents d’un groupe sont essentiels pour le développement d’une identité personnelle ce qui rappelle les propos de Galliher et al. (2017) concevant que le développement de l’identité se veut tributaire de la culture d’un individu. À titre de précision, selon l’approche de Taylor (1997, 2002) les référents d’un groupe ne seraient pas clairs compte tenu d’une surcharge d’identités collectives ou d’un colonialisme sans valeur. Tout comme le champignon qui affecte les érables dans l’introduction de ce mémoire, ce postulat de Taylor (1997, 2002) suggère que des événements importants peuvent influencer l’identité d’un groupe et, par conséquent, celle d’un individu.

Finalement, l’approche théorique du récit de Janos Laszl6 (2014) permet de mettre en valeur le contenu identitaire par le biais du récit d’événements émanant de la mémoire collective. Ainsi, la notion de temporalité semble prendre une importance prépondérante dans cette théorie. Ce même rapport au temps assure une certaine cohérence collective des récits événementiels et en schématise le ou les liens de causalité entre eux (Laszl6, 2008; Nencini, 2013). Autrement dit, cette théorie permet de mettre l’accent sur la connexion temporelle entre des événements historiques, des contextes et différentes dynamiques psychosociales (Nencini, 2013; Laszl6, 2014). Par conséquent, le contenu identitaire permet l’auto-attribution de caractéristiques collectives, d’idéologies et la mise en valeur de récits collectifs (Bikmen, 2013). D’ailleurs, la mémoire collective, qui s’imprègne de cette connexion temporelle et événementielle, s’avère une partie associée au contenu identitaire et informe les membres d’un groupe des attitudes qu’ils doivent entretenir à l’égard des  (Bikmen, 2013). Ainsi, un récit permet de diffuser, de transmettre et de maintenir, à travers le temps, le contenu de l’identité sociale d’un groupe. Or, comme il sera présenté ultérieurement, les médias semblent procéder de la même manière en ce qui a trait à la transmission et à la diffusion du contenu identitaire.

Il est clair que l’élément du contenu de l’identité est sous-jacent à des degrés différents dans les théories qui viennent d’être recensées. De plus, selon Brewer (2001), les auteurs de ces théories parlent tous de l’identité sociale, mais ils en parlent différemment. Aux fins de ce mémoire, une identité sociale se réfère à un contenu partagé par les membres d’un groupe et son importance pour un individu peut varier grandement (Ellemers et al., 2002). Aussi, le contenu de l’identité sociale est tributaire du contexte et celui-ci peut varier en fonction des comparaisons faites par une personne. En lien avec cette synthèse, il semble opportun de préciser qu’il sera pertinent de s’attarder à certaines de ces précisions lorsque viendra le temps de définir ce qu’est l’identité québécoise.

Table des matières

Introduction
Une définition de l’identité
Perspectives théoriques en lien avec le contenu de l’identité
Les conséquences du contenu de l’identité
Développement et contenu de l’identité
Représentation et contenu de l’identité
Le contenu de l’identité québécoise
Médias et identité québécoise
Problématique de recherche
Méthodologie
Corpus d’articles
Procédures
Plan de cette recherche
Résultats
L’analyse de contenu informatisée
L’analyse de contenu manuelle
Analyse de discours
Discussion
Conclusion

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