La banque de semences
Une banque de semences est constituée par toute graine viable présente sous ou à la surface du sol, ou associée à la litière du sol (Roberts, 1981). Elle représente une source continue de graines potentiellement capables de remplacer une plante adulte empêchant ainsi l’extinction de populations végétales (Kalisz, 1991; Roberts, 1991). Généralement, la banque est continuellement enrichie par l’apport aérien de graines (Thompson et Grime, 1979). C’est pourquoi la banque est perçue comme un facteur clé assurant la régénération des communautés après une perturbation (Archibald, 1979; Egler, 1954; Livingston et Allessio, 1968; Marks, 1974; Moore et Wein, 1977) et elle joue un rôle crucial dans la dynamique des populations végétales.
La banque de semences possède une dimension spatiale et temporelle ainsi qu’une distribution verticale et horizontale reflétant les mécanismes de dissémination et mouvements subséquents des graines dans le sol (Hills et Morris, 1992). Thompson et Grime (1979) ont montré que les espèces d’herbacées et d’arbres ont une gamme variée de types de banque de semences, basée principalement sur la stratégie de survie des espèces. La germination, la dormance ainsi que le temps et la durée de production des graines sont les facteurs jouant un rôle dans la classification des banques de semences. Elles sont généralement divisées en deux catégories, transitoire et persistante. Le qualificatif transitoire implique que la production de graines d’une année sera morte ou aura germé avant l’entrée de nouvelles graines dans la banque. On parle donc de graines viables moins d’un an. La catégorie appelée persistante comprend les graines viables plus d’un an et généralement de plus petite taille que celles du type transitoire (Thompson et Grime, 1979). Le cerisier de Pennsylvanie (Prunus pensylvanica L.), une espèce à banque persistante, fait toutefois exception à cette règle, avec ses graines pouvant atteindre 9 mm de diamètre. Les espèces habituellement retrouvées dans la banque de semences sont les espèces pionnières et de début de succession plutôt que les espèces pérennes, caractéristiques des stades plus matures (Harper, 1977; Oosting et Humphreys, 1940). En effet, les espèces pionnières, étant intolérantes à l’ombre, nécessitent pour la germination et la survie, la pleine lumière retrouvée dans les sites récemment perturbés. Elles produisent de grosses quantités de petites graines à longévité élevée contrairement aux espèces de forêt mature qui produisent de très petites quantités de grosses graines à longévité courte (Harper, 1977; Houle et Phillips, 1988; Huston et Smith, 1987). Les graines d’espèces tolérantes à l’ombre sont habituellement plus grosses (Salisbury, 1942). En effet, pour assurer un bon taux de germination en couvert fermé, l’embryon de ces graines nécessite beaucoup plus de « nourriture » (Bierzychudek, 1982). Certaines espèces pionnières, comme Rubus idaeus (Granstrôm, 1982) et Prunus pensy/vanica (Marks, 1974), présentes habituellement dans le sous-bois des jeunes stades de succession, seront cependant retrouvées, à cause de la grande longévité de leurs graines, dans le sol des forêts matures.
Thompson et Grime ( 1979) ont divisé les catégories transitoire et persistante en quatre types distincts. Les types I et II sont transitoires tandis que les types III et IV sont persistants. Le type I est composé de graminées annuelles et pérennes retrouvées dans les régions sèches ou perturbées et capables de germination immédiate. Dans le type II, on retrouve les herbacées annuelles et pérennes colonisant les trouées au printemps. Les herbacées annuelles et pérennes germant surtout en automne et qui maintiennent une petite banque de semences persistante font partie du type III. Enfin, le type IV comprend les espèces herbacées et arbustives annuelles et pérennes possédant une importante banque de semences persistante. Cavers (1983) a démontré que la banque de semences d’une espèce peut être du type « transitoire » dans un habitat et du type « persistante » dans un autre.
La dynamique de la banque de semences est influencée par plusieurs facteurs, comprenant l’espèce et l’abondance de la source de graines, la dispersion, la prédation par les petits mammifères, oiseaux, insectes (Harper, 1977; Louda, 1989) et la mortalité des graines par les maladies causées par les champignons et enfin le type et les conditions du sol (Simpson, Leck et Parker, 1989). Les espèces pionnières spécialisées dans la colonisation de sites récemment perturbés peuvent adopter une stratégie de dispersion soit spatiale ou temporelle. Dans le second cas, on retrouvera les espèces avec une banque de semences contenant des graines caractérisées par une longue période de dormance. Ces graines attendent des conditions favorables à leur germination qui surviendront lors de la perturbation (Fenner, 1985).
Une particularité importante de la stratégie des banques de semences est la période de temps pendant laquelle la graine demeurera viable dans le sol (Fenner, 1985). Des études sur la germination des graines ont montré que la quantité de graines viables tend à diminuer exponentiellement avec le temps des jeunes stades successionnels aux plus vieux (Freud-Williams, Chancellor et Drennan, 1983; Johnson, 1975; Roberts et Feast, 1973; Thompson, 1978). Ce taux de perte de viabilité sera encore plus grand si le sol est sujet à des perturbations (Frank et Safford, 1970; Whipple, 1978).
Effets des perturbations sur la banque de semences
Le feu ainsi que les épidémies de tordeuse des bourgeons de l’épinette sont deux perturbations d’ordre naturel qui donnent à la forêt boréale l’allure d’une mosaïque de stades successionnels différents. Allumés naturellement par la foudre, les feux en forêt boréale sont généralement des feux de cotironne, de très forte intensité, ou bien des feux de surface sévères qui détruisent de vastes étendues de forêt (Heinselman, 1981). Les épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette ( Choristoneura fwniferana) sont les plus importantes perturbations causées par des insectes dans l’est de l’Amérique du Nord en raison de leur étendue et leur sévérité. Trois épidémies ont eu lieu au 20e siècle, autour de 1910, 1940 et 1970, et ont ravagé respectivement 10, 25 et 57 millions d’hectares (Blais, 1983). Ces épidémies durent plusieurs années et sont très destructrices. Elles sont, plus particulièrement, associées au stade mature (peuplement de sapins-épinettes) (Blais, 1959). Le type de perturbation agira donc différemment sur le recrutement des espèces de la banque de semences. Un feu détruit la litière accumulée sur le sol forestier, réduit l’épaisseur des horizons organiques de surface (Van Wagner, 1983) et élimine les espèces compétitrices déjà présentes avant la perturbation (Archibold, 1989; Keddy et al., 1989). Il permet donc le recrutement de toutes les espèces pionnières. Les ouvertures du couvert forestier provoquées par les épidémies d’insectes permettent à plus de lumière d’atteindre le sol et stimulent la germination des graines (MacLean, 1988). Cependant, seulement le recrutement de certaines espèces sera favorisé sous ces conditions. Souvent, celles-ci seront plutôt des espèces de forêt mature qui se doivent d’être tolérantes à l’ombre (Venable et Brown, 1988). En effet, la quantité de lumière filtrée sous le couvert forestier d’une trouée moyenne est d’environ 25% (Smith, Knapp et Reiners, 1989).
L’intensité de la perturbation influencera la contribution de la banque de semences pour la régénération de la végétation future (Morgan et Neuenschwander, 1988; Pratt, Black et Zamora, 1984). Un feu de faible intensité détruira une grande proportion de graines mais plusieurs graines plus en profondeur dans l’horizon organique pourront recoloniser le site. Et même si tout l’horizon organique est brûlé par un feu de forte intensité, un nombre appréciable de graines présentes dans l’horizon minéral sera capable de germer (Moore et Wein, 1977). Au Québec, la sévérité des épidémies d’insectes créera des trouées plus ou moins grandes dans la forêt. Dans les petites trouées isolées, le faible niveau de lumière atteignant le sol permettra le recrutement des espèces tolérantes à l’ombre présentes dans la banque de semences. Seules les herbacées et arbustes tolérants à l’ombre pourront s’installer sous la canopée (Poulson et Platt, 1989), tandis qu’une grande trouée, avec un niveau de lumière plus élevé, permettra la germination d’un plus grand nombre d’espèces.
L’intervalle de temps entre les perturbations joue aussi un rôle important sur la régénération par graines dans la plupart des communautés végétales. Dans des environnements sujets à de fréquentes perturbations, la banque de semences permet aux espèces de courte durée de vie et intolérantes à l’ombre de survivre entre les perturbations (Morgan et Neuenschwander, 1988). Tandis que les communautés où les perturbations sont peu fréquentes possèdent une faible quantité de graines viables dans le sol (Frank et Safford, 1970; Whipple, 1978). Le potentiel de germination des graines sera influencé par plusieurs facteurs physiques. L’influence de la perturbation sur le succès de germination des espèces de la banque de semences semble dépendre surtout de la profondeur des graines dans le sol (Granstrôm, 1986). Les différents horizons (litière, organique, minéral) du sol ne possèdent pas la même dynamique. La majorité des graines de la banque se retrouve dans les premiers centimètres de l’horizon organique (Archibald, 1989; Houle et Payette, 1990; Moore et Wein, 1977). Elles sont exposées aux conditions favorables pour la germination telle que la lumière, la température plus chaude et la présence d’oxygène e t germent donc plus rapidement Les graines enfouies dans le sol minéral demeurent viables plus longtemps car elles sont moins sujettes aux prédateurs présents à la surface du sol et aux nombreux pathogènes de l’horizon organique (Houle et Payette, 1990). Pour que la germination s’effectue, les graines doivent être exposées à des conditions environnementales spécifiques qui interagissent souvent entre elles. Une concentration élevée de CD2 (Wesson et Wareing, 1967), un manque de lumière (Strickler et Edgerton, 1976) et d’humidité (Grime et Jeffrey, 1965), une basse température (Tubbs, 1965) inhiberont la germination des graines en général.
Pour une composition végétale donnée, les variations dans les conditions du sol tel que la texture, le pH et autres conditions physiques influencent la persistance des graines de la banque (Archibald, 1989; Schafer et Chilcote, 1970). Le type géomorphologique (couplet dépôt-drainage) influence la diversité et l’abondance des espèces herbacées, arbustives et arborescentes de la banque. Les sols argileux contiennent habituellement plus de graines que les tills car une aération insuffisante et une baisse de la température du sol semblent préserver les graines plus longtemps (Milton, 1944). Plusieurs études ont déjà démontré que dans les forêts matures et nonperturbées, la composition des espèces présentes dans la banque ne correspond habituellement pas à celle de la végétation au sol (Johnson, 1975; Kellman, 1970; Livingston et Allessio, 1968; Marquis, 1975; Olmsted et Curtis, 1947; Oosting et Humphreys, 1940; Strickler et Edgerton, 1976). Toutefois, dans des habitats fréquemment perturbés, elle est généralement similaire (Fenner, 1985). Puis, au fur et à mesure que le peuplement prend de l’âge, elle diverge (Pratt, Black et Zamora, 1984; Whipple, 1978).
CHAPITRE I INTRODUCTION GÉNÉRALE |