Les maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) comprennent la maladie de Crohn (MC), la rectocolite hémorragique (RCH) et les colites indéterminées, ce sont des affections inflammatoires atteignant une partie ou la totalité du tube digestif et évoluant par poussées entrecoupées de rémissions. Le terme de poussée sévère englobe toutes les colites aigues graves survenant dans le cadre d’une RCH ou d’une MC colique, ainsi que les poussées graves secondaires à une MC à localisation autre que colique. La colite aigue grave (CAG) est une complication classique de la rectocolite hémorragique (15 à 20% des cas) [1] qui peut engager le pronostic vital à court terme. Cette entité anatomo-clinique peut également être observée mais à moindre degré au cours de la maladie de Crohn colique (5 à 10 % des cas), comme elle peut être inaugurale dans 21% des cas [2]. Le diagnostic de la sévérité de la poussée repose sur l’association de critères clinicobiologiques qui peut être étayé par des critères morphologiques : endoscopiques et radiologiques. Cette complication est souvent redoutée par les malades et les médecins car elle aboutit fréquemment à une mutilation digestive certes salvatrice mais à l’origine de séquelles altérant souvent la qualité de vie des patients [3]. La poussée sévère de MICI constitue donc une urgence médico-chirurgicale qui peut engager le pronostic vital à court terme avec un taux de mortalité qui est passé de 30% en 1952 à environ 2% dans les années 1970 grâce au recours précoce à la colectomie après échec du traitement médical bien conduit [1,4,5]. Sa prise en charge doit donc être rapide et coordonnée dès le départ entre équipes médicale et chirurgicale afin de diminuer la morbi-mortalité liée à cette complication .
Population cible
La population cible est constituée de patients présentant une poussée sévère survenant au cours d’une maladie inflammatoire chronique intestinale, hospitalisés et pris en charge au service d’ hépato-gastro-entérologie du CHU Mohammed VI de Marrakech, sur une durée de 7 ans allant du 01 janvier 2007 au 31 décembre 2013. Nous avons inclus tous les cas de poussée sévère dont le diagnostic a été retenu sur des critères clinico-biologiques : Critères de Truelove et Witts modifiés Crohn Disease Activity Index Ensuite nous avons réalisé, en collaboration avec le laboratoire d’épidémiologie, une analyse bivariée et multivariée pour identifier les facteurs d’échec du traitement de 1ère ligne (Corticothérapie parentérale) dans notre contexte. Pour ceci nous n’avons inclus que les malades mis sous corticothérapie intraveineuse, et nous avons exclus les malades :
➤ Opérés d’emblée pour une complication ;
➤ ceux décédés sous corticothérapie intraveineuse ;
➤ ceux chez qui on n’a pas réalisé de coloscopie ;
➤ ceux opérés pour une complication sous corticothérapie ;
➤ et ceux mis sous corticothérapie par voie orale.
Variables à l’étude
Pour aborder notre étude, nous avons utilisé une fiche d’exploitation comportant les variables suivantes :
− Données épidémiologiques
➤ Date d’admission
➤ Identité, âge, sexe, origine géographique, niveau socioéconomique
➤ Antécédent de maladie inflammatoire chronique de l’intestin
➤ Antécédent de poussée sévère .
− Données cliniques
− Données biologiques :
➤ Hémoglobine
➤ VS, CRP
➤ Albuminémie, protidémie
➤ Ionogramme sanguin
➤ Copro-parasitologie des selles .
− Données radiologiques
− Données endoscopiques
− Données histologiques
− Le bilan pré-thérapeutique
− Moyens thérapeutiques
− L’évolution à court terme sous traitement de la poussée
− L’évolution à moyen terme sous traitement d’entretien .
Epidémiologie :
Les MICI incluent la MC, la RCH et les MICI inclassées, ce sont des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin qui résulteraient d’une réponse immunitaire anormale lors de l’exposition à certains facteurs environnementaux chez des patients génétiquement prédisposés. Le terme de poussée sévère englobe toutes les colites aigues graves survenant dans le cadre d’une RCH ou d’une MC colique, ainsi que les poussées graves secondaires à une MC à localisation autre que colique. La colite aiguë grave est une entité décrite historiquement au cours de la rectocolite hémorragique qu’elle complique chez 10-15 % des malades [1]. On estime à 17% environ la prévalence des poussées graves de RCH, mais en réalité on ne sait pas comment évolue l’incidence des CAG à l’échelle de la population [4]. Il faut également rappeler en préambule que la CAG n’est pas l’apanage de la RCH et peut aussi bien être observée au cours de la maladie de Crohn colique ou d’une colite infectieuse. Dans notre série les cas de poussées sévères ont présenté 20% de l’ensemble des cas de MICI hospitalisés au sein de notre formation durant la durée de l’étude. La grande majorité des cas de poussée sévère dans notre série, aussi bien les formes inaugurales que les formes compliquant une MICI connue, sont survenues dans le cadre d’une rectocolite hémorragique.
Les poussées sévères au cours des MICI peuvent survenir à tout âge. Le profil le plus fréquent de l’évolution des incidences est un pic entre 20 et 40 ans suivi d’une décroissance régulière de l’incidence, plus rapide pour la MC. Il existe de manière très inconstante un 2 ème pic d’incidence vers 50-60 ans [6-8]. Cette pathologie apparait le plus souvent chez l’adulte jeune mais comme nous l’avons montré, tous les âges peuvent être atteints notamment les enfants et les personnes âgées [9- 15]. Dans notre série l’âge moyen des malades était de 33,5 ans avec un pic de fréquence entre 20 et 40 ans, ce qui concorde avec les données de la littérature. Dans la plupart des études, il y a une prédominance féminine des poussées sévères dans le cadre de la MC [9]. Contrairement à la RCH où on retrouve une tendance à une légère prédominance masculine .
Diagnostic positif :
Le premier écueil rencontré dans la prise en charge d’une poussée sévère et surtout d’une CAG est d’en définir la cause afin d’instaurer rapidement un traitement spécifique. Cette recherche peut demander un délai incompatible avec le degré d’urgence de certaines situations. Il faut parfois débuter un traitement empirique parallèle à la démarche diagnostique. En pratique, deux situations se rencontrent, selon que la poussée grave survienne chez un patient ayant une MICI connue ou non.
Les poussées sévères inaugurales d’une MICI :
Une poussée sévère de RCH peut inaugurer la maladie (21 % des poussées graves dans la cohorte historique suédoise d’Örebro) [16]. Cependant, toutes les causes des colites peuvent se compliquer d’une CAG (infectieuse, ischémique, toxique et médicamenteuse). En l’absence de MICI connue, il convient donc d’éliminer une cause infectieuse en cherchant le Clostridium Difficile et sa toxine, des bactéries entéropathogènes (Campylobacter, Yersinia, Shigella, Salmonella, Escherichia Coli O157H7) ou une amibiase qui est fréquente dans nos climats. Il est important de ne pas méconnaitre une étiologie infectieuse en raison du risque potentiel d’aggravation sous corticoïdes. Même si leur sensibilité est faible, la réalisation d’une coproculture orientée avec un examen parasitologique des selles est indispensable à l’arrivée du malade. Bien qu’il n’ait pas d’aspect endoscopique spécifique permettant d’affirmer l’origine infectieuse de la CAG, la rectosigmoidoscopie sans préparation permet de réaliser des biopsies dont le rendement diagnostique est meilleur que l’analyse des selles [17]. En pratique, le diagnostic de MICI est le plus souvent posé après avoir éliminé une cause infectieuse. Enfin, en cas de poussée inaugurale, le diagnostic nosologique de MICI (MC ou RCH) est rarement possible et celui de colite inclassée est le plus fréquemment retenu.
Les poussées sévères compliquant une MICI connue :
Il n’existe pas de données disponibles sur la fréquence de la poussée sévère au cours de la MC. Une poussée sévère de RCH est observée chez 10—15 % des malades [17,18], et peut survenir à tout moment de la vie des patients suivis pour une MICI. En pratique, il est capital de chercher un agent infectieux pouvant avoir déclenché ou aggravé une poussée sévère. Ainsi la recherche du Clostridium difficile et sa toxine dans les selles doit être systématique, cette infection est fréquemment observée au cours des MICI et est pourvoyeuse d’un surcroit important de la morbidité [19]. Une surinfection colique par le cytomégalovirus doit être également cherchée en cas de poussée inflammatoire corticorésistante, a fortiori chez les patients préalablement traités par immunosuppresseurs. Dans notre série, la poussée grave a compliqué l’évolution d’une MICI connue dans 39.5% des cas. Dans une étude similaire menée au sein du CHU de Fès, à propos des colites aigues graves compliquant une RCH ou une MC colique, la CAG était inaugurale de la MICI dans 58,3% des cas, et avait compliqué une MICI déjà connue dans 47,7% des cas de MICI hospitalisés [20] ; données proches des résultats de notre étude. Dans les 2 cas (poussée sévère inaugurale ou compliquant une MICI connue), nous avions la hantise d’éliminer une cause infectieuse vu que nous sommes un pays d’endémie amibienne. Ainsi la majorité de nos patients ont été mis sous traitement antibiotique empirique sans preuve dans la majorité des cas en se basant uniquement sur la présence d’une fièvre, l’existence d’un doute ou uniquement sur l’argument épidémiologique.
INTRODUCTION |