Prévention pénale (dissuasion par la sanction)
Définition du concept
La notion de prévention pénale est souvent reprise, dans la littérature, sous le nom de « deterrence theory » (théorie de la dissuasion). Issue de la criminologie classique, elle remonte aux travaux de César Beccaria et de Jeremy Bentham au XVIIe siècle et s’oppose à l’approche positiviste, en plaçant la prise de décision au centre du crime et en comptant sur l’effet dissuasif de la peine (Boivin, 2018, p. 233). Elle se base ainsi sur les théories rationnelles du comportement selon lesquelles le délinquant potentiel ne passerait à l’acte qu’après un calcul couts/bénéfices menant au constat que les couts possibles du crime seraient moins élevés que les gains éventuels (Becker, 1968). Ainsi, quand les offenseurs potentiels percevraient la sanction comme certaine, sévère et rapide, ils seraient moins tentés de délinquer (Beccaria, 1985). Cette théorie est tombée en désuétude entre le XIXe etXXe siècle, période durant laquelle il était admis que la délinquance de l’individu dépendait d’un déterminisme psychomédico-social sur lequel la dissuasion ne pouvait avoir d’effet (Tulkens & Kerchove, 1997, cité par De Valkeneer, 2015, p. 2). L’heure était donc à la réhabilitation et à la rééducation du criminel (Christiaens, 1999, pp. 14-16). Néanmoins, notamment grâce aux travaux de Becker, un regain d’intérêt pour l’approche classique se manifesta dans les années 70 (Youf, 2018, p.20). La théorie de la dissuasion, à son apogée, a sous-tendu nombre de politiques criminelles (Tomlinson, 2016, p. 33).
La notion de dissuasion pénale contient deux sous-catégories. Premièrement, la dissuasion générale vise la population entière qui, au travers de la connaissance des lois et des sanctions encourues et de l’observation de l’application effective de ces sanctions à d’autres individus, devrait être dissuadée de délinquer (Loughran et al., 2015, p.4). Deuxièmement, la dissuasion spécifique concerne les individus ayant antérieurement été punis pour la commission d’une infraction et qui seraient dissuadés de récidiver grâce à une modification de leur balance couts/bénéfices du fait de la souffrance expérimentée suite à la sanction à laquelle ils ont été exposés (Loughran et al., 2015, p.4). Au sein de ce travail, nous adopterons la définition de la dissuasion de Beccaria (1985) tout en conservant la scission présentée ci-dessus.
Efficacité des composantes de la dissuasion chez les mineurs
Une grande partie de la littérature concernant les effets de la prévention pénale sur les mineurs étudie la théorie de la dissuasion selon ses trois composantes, dégagées par Beccaria (1985) : la certitude, la sévérité et la célérité de la sanction. Nous allons ici présenter un bref résumé des tendances que nous avons relevées en analysant les études sur l’efficacité, chez les mineurs, de ces éléments. La plupart des recherches arrivent au constat que la certitude de la sanction serait la composante jouant le plus grand rôle dans la prévention pénale, juste après la célérité (Loughran et al, 2015).
Sévérité de la sanction
Ce concept stipule que si une sanction est suffisamment sévère pour dépasser les bénéfices de l’infraction et causer assez d’inconfort au délinquant potentiel, ce dernier ne passera pas à l’acte (Tomlinson, 2016, p. 3). Néanmoins, nombre d’études ont conclu que la sévérité n’avait qu’un effet dissuasif limité auprès du jeune ayant moins de 20 ans, voire risquait même de renforcer sa délinquance en diminuant les opportunités légales de comportement conventionnel et en favorisant le déclassement social (e.g. McGrath, 2009 ; Schneider & Ervin’s, 1990). Parmi les mesures applicables aux mineurs, c’est le placement dans une Institution Publique de Protection de la Jeunesse [IPPJ] qui semble être la plus sévère ; toutefois, placer un mineur dans une IPPJ, environnement potentiellement criminogène (rencontre de pairs délinquants, milieu où les attitudes antisociales peuvent être valorisées,…), augmenterait parfois la probabilité de récidive (Loughran et al., 2009). Bien que la grande majorité des études a démontré que la sévérité de la sanction n’avait pas ou peu d’effet dissuasif, de rares exemples contraires montrent que là où la politique criminelle envers les jeunes a été rendue plus répressive, comme dans le cas de Jacksonville en Floride, on a pu voir une régression de 30% de la délinquance juvénile globale dans cette ville (Cesaroni & Bala, 2008, pp 473-474).
Certitude de la sanction
D’après cette composante, si l’individu pense qu’il a une forte probabilité d’être arrêté, poursuivi et sanctionné pour son infraction, il sera moins enclin à passer à l’acte (Nagin, 2015, p. 75 ; Tomlinson, 2016, p. 34). Or, en Belgique, les taux de classements sans suite laissent présupposer que la probabilité d’être poursuivi pour un mineur est assez faible (Tordeur, 2019). Toutefois, la perception de cette probabilité varie en fonction de la subjectivité de l’individu (Geerken & Goove, 1975) et de ses contacts antérieurs avec la justice (Stafford et Warr, 2016). Walters (2018), via une recherche quantitative américaine longitudinale, a démontré que la certitude de la sanction avait de fortes chances de dissuader les jeunes en fin d’adolescence de commettre une infraction. En effet, le cortex préfrontal n’arriverait au bout de son développement que lors de l’entrée à l’âge adulte ; or, ce développement complet serait crucial pour permettre à l’individu d’anticiper les conséquences de ses actes et permettrait de rendre l’individu plus sujet à la perception d’une forte probabilité d’être sanctionné (Steinberg, 2008). Ceci expliquerait donc pourquoi la criminalité a tendance à diminuer vers la fin de l’adolescence comme l’ont suggéré Hirschi et Gottfredson en 1983.
Célérité de la sanction
Cette composante renvoie au fait que si le cout de l’infraction (arrestation, poursuite ou sanction) est éloigné dans le temps par rapport à son bénéfice, le délinquant pourrait être moins dissuadé de passer à l’acte (Von Hentig, 1938, p. 559). Ceci est d’autant plus vrai pour les adolescents, jusqu’à l’entrée à l’âge adulte, ayant davantage tendance à se concentrer sur les conséquences immédiates de leurs actes (Steinberg et al., 2003). Le peu de recherches menées pour vérifier cette hypothèse conclut généralement à un léger effet dissuasif de la célérité de la sanction (De Valkeneer, 2015, p. 15).
Limites à la prévention pénale chez les mineurs
La prévention pénale, bien qu’efficace dans certains cas, comporte de nombreuses limites et ne s’applique pas à toutes les infractions ni à tous les délinquants ; il n’existe pas qu’une seule manière d’expliquer le crime (Lemaître, 2014, p.33). De fait, la dissuasion suppose des conditions favorables à un calcul (Kellens, 2000, p. 26). Ainsi, les personnes n’opérant pas ce calcul, notamment les auteurs de crimes passionnels et les délinquants agissant sous l’influence de l’impulsivité, d’émotions ou de substances psychoactives, échapperont à la prévention pénale (Kellens, 2000, p. 26). En outre, parce qu’elle renvoie à des processus subjectifs, la dissuasion ne s’applique pas à toutes les personnes de la même manière (Geerken & Goove, 1975).
En outre, l’adolescence est souvent une période de la vie caractérisée par un sentiment d’invulnérabilité (Steinberg et al., 2003). Les jeunes ne pensent généralement pas aux conséquences futures de leurs actes, rendant toute stratégie de prévention pénale inefficace. De par leur âge, ils n’ont pas encore atteint le même stade de développement mental que les adultes, surtout en ce qui concerne la perception du risque et la régulation de l’impulsivité, ce qui les rend plus vulnérables à la provocation et à l’influence des pairs ou au stress, et dès lors moins sensibles à la dissuasion (Steinberg et al., 2003).
De plus, la littérature admet généralement le fait que l’enfermement, souvent utilisé pour ses vertus soi-disant dissuasives, n’est pas la solution adéquate pour lutter contre la délinquance, encore moins auprès des mineurs (Lambie & Randell, 2013). L’incarcération pourrait affecter le développement psychosocial normal de l’enfant, nécessaire à la sortie de la délinquance vers la fin de l’adolescence, en limitant les possibilités de développement d’interactions pro-sociales, de comportements conventionnels et en favorisant la création de relations avec des pairs délinquants, ce qui augmenterait les risques d’une persistance dans la trajectoire délinquante au delà de l’adolescence (Lambie & Randell, 2013).
Enfin, l’efficacité de la dissuasion dépend également de la communication par la justice des lois pénales et de l’application effective de ces dernières afin d’avertir le citoyen (Lemaître, 2014, p. 30). Pourtant, cette communication fait défaut à la justice belge (De Valkeneer, 2015, p. 22).
1 Introduction |