L’interculturation, un phénomène à risque psychosocial pour l’élève migrant?
Le Ministère de l’Éducation du Québec2 considère que sont à risque « [ … ] des élèves de l’ éducation préscolaire, du primaire ou du secondaire qui présentent des facteurs de vulnérabilité susceptibles d’ influencer sur leur apprentissage ou leur comportement et peuvent ainsi être à risque, notamment au regard de l’échec scolaire ou de leur socialisation, si une intervention rapide n’est pas effectuée (M.E.Q, 2000) Dans l’une de ses publications-programme intitulée : L ‘organisation des services éducatifs aux élèves à risque et aux élèves handicapés ou en difficulté d ‘adaptation ou d ‘apprentissage (EHDAA), le ministère (MELS,2007) suggère, dans le volet Programme de formation de l ‘école québécoise, un soutien pédagogique particulier notamment aux jeunes qui vivent des situations particulières, comme certains autochtones ou ceux qui viennent d’ immigrer au Québec et qui doivent s’ adapter à un nouveau cadre de vie. Nonobstant cette définition, la loi est restée générale et impersonnelle c’ est-à-dire, qu ‘elle ne fixe aucune catégorie pour déterminer les critères du « risque ».
Et même pour ce qui concerne les élèves issus de l’immigration, elle n’ est pas plus explicite sur la nature du risque encouru par cette catégorie de la clientèle scolaire. Ce n’ est d’ailleurs pas dans les programmes-cadres comme la politique de l ‘adaptation scolaire (une école adaptée à tous ses élèves) ou dans le programme de formation de l ‘école québécoise que l’on trouvera cela. Pour leur part, Tessier et Schmidt (2007) estiment que l’adoption du concept de risque serait orientée, initialement, vers une réflexion sur les facteurs susceptibles de prédire l’ apparition ultérieure de difficultés d’ inadaptation psychosociale. Le constat que nous faisons à l’issue de ce développement est qu’il existe un nombre non négligeable de recherches sur le vécu transcuIturel d’un individu quelconque. Mais seulement, il s’ agit des connaissances bien plus éclatées, plus générales qui ne permettent pas d’élucider la question particulière de l’ incidence d’un tel phénomène sur l’ intégration psychologique de l’ élève issu de l’ immigration et surtout des mécanismes de prévention face à un tel risque. Ainsi, pour ce présent travail de recherche, nous nous fixons un double objectif:
• Constituer un corpus théorique qui nous permettra d’approfondir cette problématique de l’interculturation, au travers notamment d’un développement théorique des concepts clés. Autrement dit, il s’agira de tenter de décrire et de comprendre l’ influence des facteurs culturels nouveaux sur l’ identité de l’ élève issu de l’ immigrant.
• Proposer des stratégies pratiques pertinentes susc.eptibles de l’aider à réussir son intégration psychosociale.
En définitive, cette question de l’entre-deux cultures et de ce que cela pourrait constituer comme risque au plan psychosocial nous conduit à un travail de recherche sur le fondement théorique du concept de l’ interculturation chez un élève issu de l’ immigration, de ses conséquences et du rôle des acteurs scolaires dans la mise en oeuvre d’une ou plusieurs ‘ stratégies pratiques. Pour cela, des réponses aux questions suivantes nous semblent indispensables: Primo: Dans quelle mesure la posture de l’interculturation chez un élève migrant peut elle nous conduire à soupçonner un risque potentiel au niveau de son intégration psychosociale? Secundo : Comment l’ enseignant peut-il aider l’ élève migrant faisant face à un tel risque de pouvoir développer ses compétences métaémotionnelles ? Ce dernier dispose-t-il de suffisamment de compétence, en termes de savoir-faire et de savoir-être interculturel pour assumer son rôle central dans la socialisation de l’élève issu de l’ immigration? Le concept de compétences métaémotionnelles comprend neuf composantes qUI se regroupent en trois catégories selon qu’elles portent sur la compréhension que l’ individu a 1) de la nature, 2) de la cause des émotions et 3) du contrôle de celles-ci. (pons et al., 2002). Nous y reviendrons plus en détail dans le quatrième chapitre.
La pertinence scientifique
La recherche théorique que nous avons menée nous a permis de comprendre, d’une part, les difficultés autres que cognitives et socioculturelles que peuvent traverser ces élèves issus de l’ immigration et dont l’origine serait un certain nombre d’ aléas d’acculturation et d’ autre part, la nécessité pour l’enseignant de maîtriser la complexité du parcours migratoire et de ce que cela pourrait avoir comme incidence sur leur comportement. Ce qui est nécessaire pour pouvoir envisager des réponses pédagogiques adaptées. Il est par ailleurs capital de souligner que ce dernier n’est ni psychologue ni psychiatre et ne peut donc établir un diagnostic. Il n’ est pas plus un travailleur social pouvant mettre en place un plan d’ intervention impliquant l’ensemble du réseau de l’enfant. Mais sa position centrale dans le cadre des interactions en classe doit l’emmener à soupçonner, chez l’ élève, certains comportements préoccupants pouvant constituer un facteur de risque au niveau psychosocial. Le constat que nous faisons est qu ‘ il existe effectivement un nombre non négligeable de recherches sur la problématique de l’ intégration psychologique chez les personnes qui changent de cadre culturel. Ces recherches ont été menées dans diverses disciplines (éducation, psychologie, sociologie, etc.) et présentent un caractère bien plus général. Pourtant, en notre qualité de chercheur en éducation et surtout de l’ intérêt que nous manifestons pour nos élèves issus de l’ immigration, il nous semble nécessaire de pouvoir travailler à la construire d’un cadre théorique spécifique devant nous éclairer scientifiquement sur les enjeux de la construction d’ une nouvelle identité chez cette catégorie de la population scolaire et de ce que cela pourrait avoir comme conséquences sur leur vécu affectif.
Pourquoi la mise en place d ‘un cadre théorique et conceptuel?
La méthodologie de la recherche théorique nous paraît être la voie la plus adéquate qui puisse nous permettre de faire la synthèse de connaissances au tour de cette problématique de l’ intégration psychologique en contexte migratoire. Il s’agit en réalité d’ établir un cadre théorique et conceptuel qui serve de base à de nouveaux questionnements et/ou hypothèses et à la proposition de nouvelles pistes d’action en guise de stratégie identitaire préventive. L’ aspect psychodynamique relatif au changement de culture que nous adoptons ici nous situe au confluent de diverses disciplines : sociologie, psychologie, ethnologie, éducation et de secteurs, ou de faits sociaux, impliqués subjectivement. Inscrit dans une démarche qui se veut constructiviste, il nous semble primordial de travailler à la mise en place d’un cadre théorique et conceptuel qui constituerait la base épistémologique de cet objet de recherche, dans le sens d’une base de connaissance générale.
Appréhender le sujet sous le titre « L’interculturation, une posture à risque pour la construction de l’ identité psychosociale chez l’élève issu de l’ immigration : les compétences métaémotionnelles comme stratégie de prévention en contexte scolaire » devrait inévitablement amener à l’exploration des concepts qui émanent des disciplines diverses. L’interculturation, concept qui permet d’envisager l’ acculturation comme un processus complexe, et non pas simplement comme une démarche linaire, implique qu’on tienne compte d’un double niveau de changement. Il s’ agira à la fois d’une autonomisation et d’une séparation par rapport à sa famille et sa culture d’origine et en même temps, d’une exploration du nouveau cadre culturel. L’émergence, entre autres, d’une nouvelle l’ identité psychosociale est justement l’une des conséquences de cette dynamique interculturelle. Celle-ci est influencée par les facteurs culturels des deux entités en présence (culture d’origine et culture du pays d’ accueil). La situation imprévisible de ce changement, qui est toujours susceptible de mener à un choc de culture, permet de considérer une telle situation comme potentiellement à risque pour la personne. D’où la nécessité d’envisager certaines stratégies de préventions pour éviter ce que nous qualifions de pathologies de l’interculturation. Par ailleurs, les recherches que nous avons consultées sur ce sujet semblent parfois ignorer cette dimension psychodynamique du changement. Le présent travail de synthèse théorique a pour but de faire émerger un cadre théorique et conceptuel plus large qui inclurait, notamment, un aspect prédictif de la survenance d’une situation de pathologie. Nous reviendrons plus en détail sur la nature préventive des stratégies que nous proposons.
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