Méthode d’évaluation et justification
Les productions des élèves ont été évaluées au moyen d’une grille critériée.18 Certains choix opérés pour la réalisation de cette grille méritent quelques commentaires. Tout d’abord, un certain nombre de critères sont évalués alors qu’ils ne sont pas mentionnés explicitement dans les consignes figurant sur le document distribué aux élèves. Cela tient à deux raisons : la première, concernant le soin du travail (orthographe, expression, propreté…), est qu’il s’agit d’une consigne « permanente » fixée en début d’année avec la classe. Ces critères sont pris en compte dans tous les travaux effectués. Seule leur pondération peut évoluer en fonction du type de travail demandé. Ces critères ne seront pas analysés dans le cadre de ce mémoire, car n’étant pas pertinents pour la réponse à la problématique posée. La seconde, en ce qui concerne le tableau de description et interprétation (parties 1 et 2 du travail), est que le but de cette évaluation est justement de vérifier la méthode employée par les élèves. Il n’est donc pas question de décrire précisément ce qui est attendu d’eux (par exemple, préciser qu’il faut décrire le premier plan, puis l’arrière-plan…) étant donné que cela a été travaillé en amont en classe.
Il a été choisi de simplifier la correction en évaluant chaque critère simplement par oui (2 pts) ou non (0 pt). Dans la première partie (description), qui relève d’un niveau taxonomique moins élevé, le oui vaut 1 pt au lieu de 2. Dans la deuxième partie, les éléments à interpréter sont plus durs à évaluer. Ce n’est pas le nombre d’éléments mais le degré de pertinence d’au moins une explication pour chaque grand thème qui est évalué. On distingue alors, pour chaque grand thème ou catégorie d’indices, trois niveaux : niveau d’interprétation ++ (2 pts), niveau d’interprétation + (1 pt) et non fait (0 fait). Exemple : concernant les activités des personnages dans le champ décrites dans la 1ère colonne : Expliquer dans la colonne de droite que ce sont des paysans en train de récolter leur production = un premier niveau d’interprétation (1 pt). Expliquer qu’ils sont en train de faire les vendanges relève déjà du second niveau d’interprétation (2 pts). En ce qui concerne le « non fait » auquel il est attribué 0 pt, il peut y avoir quelques doublons (idée de double peine) avec la première partie du tableau, mais cela reste limité en nombre de points, et cela reste logique par rapport à la nature du travail évalué ici.
Analyses des productions
La production de Jessica (analyse n°1) est, à mon sens, riche en enseignements. Si l’on s’en tient à l’ensemble de son travail, ce dernier récolterait la moyenne selon notre grille d’évaluation. Si l’on regarde de plus près les résultats de son travail, notamment les deux parties qui nous intéressent, nous pouvons tirer plusieurs constats. En ce qui concerne la partie de la description, nous pouvons constater que celle-ci est construite de façon organisée, c’est-à-dire qu’elle respecte la marche à suivre de la méthode proposée. La description en fonction des plans de l’image est correcte, et les éléments décrits sont positionnés. La différence entre dénotation et connotation semble également acquise, car chaque élément est décrit puis connoté dans la colonne correspondante. Une part de la faiblesse de son travail se situe dans sa capacité à décrire correctement les différents éléments de l’image. Dans la plupart des cas, elle ne fait que mentionner les éléments mais sans les décrire véritablement. Les descriptions ne sont guère complètes (seulement 1 critère sur 6 est jugé satisfaisant) et manquent de précision (seulement 1 critère sur 3 est satisfaisant).
En ce qui concerne la partie de la connotation, plusieurs remarques sont à faire. Tout d’abord, soulignons que la plupart des éléments décrits ont été tous connotés avec plus ou moins de réussite. La partie supérieure de l’image est probablement la plus réussie. L’élève, par ses observations, a pu décrire et connoter correctement les deux signes zodiacaux. De plus, son interprétation du personnage central est également très intéressante. Ce personnage, qui est une représentation du char du Soleil, iconographie antique revisitée par le christianisme, fait partie des éléments complexes de l’image. Il peut être difficile de comprendre son identité et son rôle sans quelques références. Or, l’élève parvient à essayer de décrire le personnage en lui donnant une connotation qui pourrait être justifiée (l’homme est un dieu romain, le dieu du soleil). L’élève puise donc dans sa culture historique pour tenter de donner un sens à la présence de ce personnage sur le char. Cette opération n’a pu se faire que parce que la phase de description a été accomplie de façon minutieuse. Dans cette partie supérieure, le seul reproche qu’on pourrait adresser, c’est d’avoir anticiper la connotation d’un calendrier sans passer par la colonne de description (c’est un calendrier, jours, mois, phases lunaires). En effet aucun de ces éléments n’a été décrit.
En ce qui concerne la partie centrale de l’image, quelques observations peuvent être faites. La première est que son analyse des bâtiments a été tronquée par la légende de l’image. Faute d’indications historiques sur le contenu de l’image, l’élève s’est rapportée à sa légende pour expliquer la présence du château (C’est le château du duc de Berry Folio n9). L’absence d’un contexte préalable sur le contenu de l’image a donc faussé son interprétation. De plus, il semblerait qu’elle ait séparé dans son esprit l’image en deux parties. L’arrière-plan semble être pour elle une zone réservée à la noblesse qui contrasterait avec le premier plan qui ne serait occupé que par les paysans. L’idée n’est en soit pas absurde mais ne colle pas avec une description minutieuse des personnages et animaux, chose qui était un des points faibles de son travail. Deux éléments l’ont conduite à cette déduction. D’une part la présence d’une femme en robe rouge qui s’apprête à entrer dans le château. Pour l’élève, cette dame fait partie de la noblesse. Elle parvient à cette conclusion en arguant qu’elle porte des habits luxueux.
Or cette femme ne semble pas faire partie de la noblesse car elle porte un panier sur la tête. L’erreur a donc été causée par une erreur d’interprétation vestimentaire et sur une description non minutieuse de la personne. L’analyse des autres productions nous montrera que c’est une erreur récurrente. Cet exemple me renforce dans l’idée que la description est une phase impérative qu’il faut appliquer de la façon la plus rigoureuse possible. Son importance semble capitale. Dans cet exemple-là, la confusion est intéressante et riche en enseignement car elle offre une perspective de prolongement pour l’enseignant en proposant de travailler sur l’aspect vestimentaire au Moyen Age. De plus la présence d’un cheval a peut-être renforcé le sentiment que cette zone en arrière-plan était spécifique à la noblesse (l’animal est un cheval du duc de Berry). Il est intéressant de constater que l’élève catégorise l’appartenance des animaux avec un statut social. Il est vrai que l’image pousse à cette conclusion puisque les animaux présents autour des paysans ne sont que des ânes ou des boeufs et que le cheval sort du château. De plus, dans l’imaginaire collectif, ce sont les chevaliers et les nobles qui se servent de chevaux au Moyen Age, donc cette interprétation peut paraître logique.
Des images trop complexes ?
Nous l’avons vu, aucun des groupes n’a relevé la totalité des éléments figurants sur l’image. La chose était prévisible, c’est pour cela que nous avions regroupé les critères en grands thèmes significatifs lors de la création de la grille d’évaluation et non pour chaque élément figurant sur l’image. Vu la pléthore de détails foisonnants qui composent ces images, il aurait été bien trop fastidieux et chronophage pour l’élève de relever tout ce qui compose ces images. Malgré cette précaution, bon nombre de thèmes n’ont que trop été laissés de côté lors de l’analyse. Les élèves ont surtout porté leur attention sur les personnages qui composaient ces images (6/8 groupes ont décrit la totalité des personnages), sur les constructions (7/8) et la partie supérieure de l’image (7/8). En revanche on retrouve peu de descriptions des éléments naturels (4/8), des animaux (3/8) et du matériel (2/8). Si les descriptions pouvaient paraître complètes, elles n’étaient que peu précises. Seules les couleurs sont détaillées (6/8), la taille et les positions des éléments ne figuraient que rarement dans leurs descriptions. En ce qui concerne la connotation, les élèves se sont également beaucoup concentrés sur l’identification des personnages (7/8) ainsi que sur les actions de ces derniers (7/8). Alors que beaucoup avaient décrit les constructions, peu ont finalement réussi à les interpréter (5/8). Si l’on affine l’analyse, on peut s’apercevoir que ce sont les groupes qui ont choisi l’image de septembre qui ont connoté le bâtiment.
Le château les inspirait plus que la ferme visible dans le mois de février. La partie supérieure de l’image n’a, semble-t-il, pas poser de problème car les 8 groupes ont réussi à l’interpréter. Par contre, les élèves ont laissé trois grands thèmes de côté : les décors, les animaux et le matériel (2/8 pour les deux premiers et 1/8 pour le matériel). A la lumière de ces informations, l’enseignant doit se poser quelques questions. On a constaté que la plupart des groupes n’a donc pas « vu » un certains nombres d’objets demandés. D’où les questions suivantes : en ai-je trop demandé à ces élèves ? Ces images contenaient-elles trop d’éléments à analyser ? Ces images étaient-elles adaptées à leur niveau, alors qu’elles me semblaient à la base accessibles, voire même faciles ? Comme je l’ai signalé plus haut, le problème venait peut-être de la date de cette évaluation. En fin d’année scolaire, période sans enjeu pour eux, les élèves ont peut-être mis moins d’application que si cela avait été une évaluation réelle. La démotivation est peut-être une réponse mais je pense aussi que l’on peut aiguiller les élèves dans leur analyse. S’ils avaient eu accès dès le départ à la grille d’évaluation à laquelle leur travail allait être soumis et ainsi avaient eu connaissance des grands thèmes de l’image, peut-être auraient-ils pu « ratisser plus large » et avoir une vision plus globale des documents. Lorsque l’image est complexe, non pas dans sa difficulté, mais de par la quantité de son contenu, il peut être préférable de fournir en amont les critères d’évaluation de leur analyse. Manquer des éléments de l’image, c’est un risque de manquer une partie du message de l’image ce qui risque d’entraîner des difficultés pour en saisir le sens.
1. Introduction |