Dans la croyance populaire, l’éradication de la pauvreté et de l’exclusion sociale est une lutte perdue d’avance. Bien que nous jugions inacceptable la situation d’une partie de nos concitoyennes et de nos concitoyens, nous acceptons «qu’il y aura toujours des pauvres ». De cette impuissance ressentie découle peut-être ces sentiments mitigés à l’ égard des plus démunis de notre société. D’une part, le contact avec la misère suscite l’empathie, la compassion, voire la pitié, d’autre part, nous portons le jugement que les personnes pauvres sont responsables de leur situation. Jugement qui contribue à leur exclusion. Chacune et chacun, dans leur lutte individuelle pour acquérir et maintenir une place au soleil, préfèrent parfois ignorer ce qu’il ne comprend pas. Ainsi, nous sommes enclins à aider celles et ceux dont les limites à s’intégrer dans notre société compétitive sont évidentes comme, par exemple, les personnes handicapées ou les personnes âgées, mais notre sentiment de solidarité risque de s’effriter à partir du moment où les raisons qui maintiennent certaines personnes dans une situation de dépendance face à l’État ne sont pas évidentes.
Dans la société industrielle, le travail salarié a joué le rôle du « grand intégrateur» (Castel, 1995). Les trois grands acteurs sociaux, l’État, l’entreprise privée et les mouvements syndicaux maintenaient un équilibre des rapports sociaux permettant de partager les richesses de la croissance économique et de protéger les travailleurs et leurs familles de la précarité. Le rôle de l’État-Providence était de corriger les déséquilibres et les inégalités engendrées par le marché économique (Grou lx, 2005: 319). Cette forme de structure sociale n’est pas entièrement révolue. Le travail est encore aujourd’hui un fondement important de la cohésion sociale puisqu’ il permet aux citoyennes et citoyens, par le biais des impôts et des cotisations sociales tirés de leurs salaires, de se donner un système de protections sociales. Par contre, la tendance du marché du travail canadien est d’aller vers une proportion importante d’emplois dans le secteur tertiaire et de travail atypique, ce qui engendre une précarité des revenus de la population et, par le fait même, de l’État. Un regard sur la situation de la pauvreté au Québec et au Canada nous permet de constater que l’État ne semble plus en mesure de corriger les effets indésirables du marché économique sur le partage de la richesse collective. Sans compter la crainte que le vieillissement de la population ne vienne aggraver l’état des finances publiques.
On peut supposer que la pauvreté et l’exclusion sociale, au Québec et au Canada, sont essentiellement causées par des difficultés économiques. Pourtant, « bien que le taux de pauvreté ait diminué de 1996 à 200 1, passant de 18,5 % à 14,4 %, il est tout de même plus élevé (le taux de 2001) que celui de 1989, l’année ayant précédé la dernière récession économique », et ce, malgré dix années consécutives de croissance et de surplus budgétaire au Canada (Conseil national du bien-être social (CNBS, 2004a: 4) (CNBS 2004b)). Les taux de pauvreté sont demeurés relativement stables en 2002 et 2003 (CNBS, 2006 : 3). Au Québec, entre 1976 et 2006, l’économie de la province a progressé de 71 %. La majorité des gains ont bénéficié à L 0 % de la population, soit les personnes les plus riches, alors que la part de l’assiette économique de la tranche de la population représentant 70 % des plus pauvres s’est réduite. Selon l’étude d’Évelyne Couturier et Bertrand Shepper de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), l’écart entre les riches et les pauvres a atteint, en 2006, son plus haut sommet (Couturier et Shepper, 2010: 5-10). Il a été observé que les inégalités sociales s’accentuent au cours des périodes de récession. Effectivement, l’écart des revenus entre les plus riches et les plus pauvres a connu une hausse importante dans la période de pertes d’emploi des années 80 et 90 et elle s’est poursuivie au cours de la croissance économique de la période 1996-2006. Au Québec, comparativement au reste du pays, l’écart entre les riches et les pauvres est moins important grâce à des politiques fiscales et de transfert. De façon générale, on observe tout de même que l’équilibre social permettant à l’ensemble de la population de bénéficier de la croissance de la richesse est menacé. Même quand l’économie se porte bien, l’écart entre les riches et les pauvres s’accroît.
EFFETS DE LA MONDIALISATION DES MARCHÉS ÉCONOMIQUES SUR LA RÉALITÉ SOCIO-ÉCONOMIQUE
Depuis les années quatre-vingt, le mouvement de mondialisation des marchés économiques s’est accentué avec la multiplication d’ententes commerciales internationales. En effet, le Canada est signataire d’ententes bilatérales avec divers pays en plus du fameux Accord de libre-échange nord-américain trilatéral (ALENA) conclu en janvier 1994 par Brian Mulronel. L’élargissement du réseau commercial mondial est toujours un objectif de la stratégie commerciale canadienne et des négociations sont en cours avec plusieurs pays de différentes régions du monde dont les pays d’Amérique, de l’Asie pacifique, de l’Europe et du Moyen-Orient (gouvernement du Canada, 2009 : 6 et 13). En 2009 et 2010, des ententes de libre échange ont été conclues avec la Colombie et le Pérou . L’ouverture des marchés économiques vise l’augmentation des investissements des pays étrangers, des exportations des entreprises canadiennes ainsi que l’intégration de ces dernières dans la multiplication des chaînes de valeurs mondiales. Une chaîne de valeur mondiale comprend l’ensemble des étapes de mise en marché d’un produit, de sa conception à son utilisation finale. Dans un contexte de concurrence mondiale de plus en plus forte, dont font maintenant partie les pays émergents comme la Chine et l’Inde, les entreprises cherchent à rendre chacune des étapes de production la plus efficace possible sur le plan économique. Ainsi, la dispersion des activités de l’entreprise dans différentes régions du monde devient une option intéressante pour les entreprises canadiennes. La politique de libéralisation vise à soutenir la croissance économique et ses effets sont ressentis non seulement sur les types d’économie et d’emploi, mais aussi sur les conditions sociales. Est-ce que l’ensemble des citoyennes et citoyens bénéficient également des effets de la mondialisation des marchés et de la croissance économique? C’est à cette question que répondra la section suivante en observant les effets de la croissance soutenue des années 1990 2000 et les changements dans les politiques sociales québécoises et canadiennes associées à la libéralisation des marchés. Des rapprochements avec les premiers signes de reprise de l’année 2010 seront mis en évidence de manière à prévoir si les mêmes effets risquent de se produire.
La crise des marchés financiers de l’année 2008 a fait reculer l’économie canadienne. On a assisté à des pertes d’emploi importantes, plus particulièrement dans les secteurs de la forêt, de l’automobile, du papier et du bois d’œuvre. De plus, des transferts d’emplois du secteur manufacturier vers des pays où la main d’œuvre est meilleur marché comme le Mexique, la Chine, la Malaisie et la Thaïlande ont été observés . Par contre, au printemps 2010, l’économie canadienne paraissait se sortir relativement bien de la crise comparativement à d’autres pays du G7 selon le ministre des Finances Jim Flaherty en juin 2010 . Effectivement, une reprise économique était alors observée, mais sans être ressentie dans tous les secteurs, notamment celui des biens et de la fabrication qui connaissait alors son plus faible niveau d’emplois. On peut voir qu’une reprise n’implique pas systématiquement des bénéfices pour l’ensemble des travailleuses et des travailleurs. C’est une réalité semblable qui s’est produite au cours de la croissance économique canadierme soutenue dans les années quatre-vingt-dix et deux mille alors que la part du produit intérieur brut (PIB) canadien occupée par les exportations a doublé (Condition féminine Canada, 2001 : 2-3). De façon générale, le secteur des services était en croissance alors que le secteur manufacturier et celui des ressources naturelles étaient en baisse. Les industries des biens échangeables à forte concentration de savoir et offrant des salaires élevés ont davantage profité de la hausse des exportations que celles en exigeant moins. C’est le cas, entre autres, de l’industrie du vêtement. Le Québec fut durement touché puisque, depuis le début des années deux mille, le Canada a connu une baisse de 25 % de la production et de la main-d’œuvre alors que 55 % des emplois canadiens dans cette industrie se trouvent au Québec (Fédération des femmes du Québec (FFQ), 2006 : 12). Plus concrètement, cette situation a entraîné des fermetures d’usine dans la région de la Beauce. À la lumière de ces quelques données, on constate que toutes les catégories de travailleuses et de travailleurs ne bénéficient pas également des effets d’une reprise économique et que, par exemple, le niveau de scolarité et la région où l’on habite influencent l’accès aux bénéfices de la croissance économique.
Les changements qui ont suivi la mondialisation des marchés économiques se sont accompagnés d’une transformation du marché du travail. Globalement, le nombre d’emplois a augmenté dans les années quatre-vingt-dix. Cependant, la proportion du travail salarié fut en baisse alors que le travail autonome s’est accru (Condition féminine Canada, 2001 : 3). Entre octobre 2008 et octobre 2009, le travail autonome a connu une recrudescence touchant particulièrement les femmes . Il est probable qu’il s’agisse de personnes ayant perdu leur emploi suite à la crise financière 2008. Le passage d’un travail rémunéré au travail autonome entraîne bien souvent une détérioration des conditions de travail (Gouvernement du Québec, 2003).
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