Face à une crise économique, un secteur agricole en mutation et une société en quête de nouvelles valeurs et de liens, plusieurs alternatives au modèle agroalimentaire dominant se développent, notamment les circuits courts alimentaires, rapprochant producteurs et consommateurs. Au sein de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) Unité Mixte de Recherche (UMR) Innovation et dans le cadre du projet de recherche en partenariat pour et sur le développement régional (PSDR) « Coxinel » lancé en 2008, un stage de fin d’étude de 6 mois a été effectué. Il est réalisé à l’INRA en collaboration avec des partenaires professionnels du projet. Ce stage a pour objectifs d’identifier et d’analyser la position et les perspectives des organisations de producteurs de fruits et légumes du Languedoc-Roussillon par rapport aux circuits courts, en vue de proposer des pistes d’action. Pour le projet Coxinel, il s’agit à la fois de rendre compte des innovations associées aux circuits courts et des complémentarités possibles entre circuits courts et circuits longs puisque ces organisations combinent souvent les deux. Lors d’un séminaire associant chercheurs et partenaires en août 2010 et abordant ce thème, un agriculteur présent déclarait qu’en s’engageant dans les circuits courts, « les producteurs souhaitent sortir d’un système trop lourd, des circuits longs, des coopératives, pour retrouver leur liberté ». Ce même agriculteur déclarait pourtant qu’il est « usant » d’assumer trois métiers différents seul. A travers ce mémoire, nous voulons montrer que l’implication des coopératives dans les circuits courts peut à la fois répondre aux projets des agriculteurs et changer l’image souvent associée à la coopération, à condition peut-être de mieux valoriser et partager les démarches au sein du secteur coopératif. Après une brève présentation du contexte de ce stage, nous exposerons notre démarche de travail. Nous proposerons ensuite une analyse des différents groupements en fonction des caractéristiques et des freins et motivations qu’ils mettent en avant par rapport aux circuits courts. Puis une analyse de leurs circuits courts en fonction des types et des produits sera réalisée. Une critique de la méthode et des choix effectués sera proposée. Enfin, une discussion ouvrant sur des propositions d’action sera développée.
Une filière fruits et légumes en crise dans une région en forte croissance démographique
Une production importante sans débouché rémunérateur garanti
La région Languedoc-Roussillon (LR) est structurée autour des productions agricoles adaptées à ses spécificités agro-climatiques méditerranéennes. La Superficie Agricole Utile (SAU) se caractérise par la prédominance de la viticulture (257 000 ha en 2007 ; Chambre Régionale LR, 2010). 34% de la SAU est dédiée aux grandes cultures, 3% aux cultures fruitières et 2% aux cultures maraîchères. Tout de même deuxième filière régionale après la viticulture, les fruits et légumes (F&L) représentent près de 5 000 exploitations et 20 000 emplois avec un chiffre d’affaires annuel qui avoisine les 800 millions d’euros en région (Région Languedoc-Roussillon, 2009). En 2009, 602 313 tonnes de F&L ont été produites sur la région (Agreste, 2010). La filière F&L en Languedoc-Roussillon se distingue par des productions variées. Les pêches et les nectarines (47 % de la production nationale), les abricots (29 % de la production nationale), ainsi que les pommes sont les principales productions fruitières de la région. En ce qui concerne les productions légumières et maraîchères, ce sont les tomates, salades et melons qui dominent, suivis des artichauts, des pommes de terre primeurs et des asperges (Région Languedoc-Roussillon, 2009). Ces productions se concentrent sur quelques grands bassins (cf. Figure1) Plus précisément, le Languedoc-Roussillon est pourvu de différents terroirs fruitiers et légumiers :
– Le Haut Languedoc avec ses cerisiers dans les vallées de l’Orb et du Jaur.
– Les Cévennes gardoises qui conservent une activité arboricole avec une production de châtaignes, de pommes (dont les Reinettes du Vigan, réputées au delà de la région), d’olives et une activité viticole. Le maraîchage est aussi représenté puisque les Cévennes se sont imposées comme acteur – Dans le Gard, à proximité du Pont du Gard, la région de Remoulins est réputée pour ses cerises.
– La plaine de Castelnaudary a une culture maraîchère qui approvisionne les marchés en asperges, tomates et melons.
– Les vallées de la Tech et de la Têt en Catalogne ont une forte tradition arboricole. La région de Céret est spécialisée dans la cerise tandis que la vallée de la Têt, de Prades à Ille-sur-Têt, se consacre à la production de pêches et de nectarines.
– Les plaines du Roussillon et de la Salanque sont d’importantes zones maraîchères (artichaut, salades, tomate, concombre) et arboricole (abricot).
– Au cœur du delta du Rhône, Saint-Gilles, capitale des Costières, est située au centre d’une vaste plaine quadrillée de canaux et de vergers. En été, est produite une grande quantité d’abricots, de pêches et nectarines. On trouve aussi ici une importante production d’asperges.
– A Aigues-Mortes, on trouve une production traditionnelle d’asperges des sables et de pommes de terre primeurs.
– Dans le Biterrois, la crise viticole a entraîné la reconversion de certains viticulteurs dans une activité maraîchère avec une production de melons et d’asperges. Sur ce terroir, on trouve également les oignons doux de Lézignan (les cèbes), à proximité de Pézenas.
Cette filière est organisée autour d’agriculteurs dont la moitié gèrent leur activité individuellement et l’autre est regroupée au sein d’Organisations de Producteurs (OP). 64% des fruits en et 46 % des légumes en volume étaient livrés ou déclarées à une OP en 2007 (DRAAF Languedoc Roussillon, 2010). Le nombre total d’OP en 2008 s’élève en Languedoc à 31 (France Agrimer, 2008). Cette filière F&L s’inscrit, d’une part, dans une perspective de libéralisation commerciale internationale, avec la création d’une zone de libre-échange euroméditerranéenne, mais aussi de partenariat économique, avec le projet d’Union pour la Méditerranée. Ce dernier est inspiré par l’expérience de l’Union Européenne en matière de modernisation, d’organisation et de régulation des filières et des marchés à travers le dispositif de l’Organisation Commune des Marchés de produits agricoles, dans une approche adaptée au nouveau contexte créé par la Politique Agricole Commune et la géopolitique euro-méditerranéenne (Rastoin, 2008). D’autre part, dans cette région à l’urbanisation croissante, le foncier agricole est soumis à forte spéculation. Enfin le coût de la main d’œuvre est très élevé comparé aux pays voisins. Liée aux évolutions des marchés nationaux, à l’ouverture internationale ainsi qu’aux contraintes spécifiques de la production régionale, la filière F&L connaît une période de crise depuis quelques années ; des arbres sont arrachés, des coopératives ferment et des terres sont laissées à l’abandon. 19,4% des surfaces légumières et 20% des surfaces fruitières ont été arrachées de 2000 à 2009 (Agreste, 2009). L’agriculture traverse « la crise économique la plus grave de ces trente dernières années », a déclaré le 31 août 2009 le ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, évoquant en particulier les difficultés du secteur laitier et de la filière F&L. (le Nouvel Observateur, 2009). Parce que la filière F&L représente de nombreux intérêts économiques, sociaux et environnementaux, la Région souhaite pourtant développer cette filière et conforter son positionnement dans l’EuroMéditerranée, véritable « Jardin de l’Europe » (Région LanguedocRoussillon, 2009).
Face à ces producteurs, quelle est la demande régionale ?
Au 1er janvier 2007, le nombre d’habitants du Languedoc-Roussillon était estimé à 2 548 000 (INSEE, 2008b). Au niveau national, en 2009, chaque ménage consommait en moyenne 169,2kg de F&L frais incluant la quatrième gamme, hors pomme de terre (CTIFL, 2009). Or en 2005, les ménages se composaient en moyenne de 2,25 personnes et ce chiffre n’aurait pas beaucoup évolué d’après experts (INSEE, 2008a). On peut alors estimer la consommation régionale de F&L ainsi : 1 132 444 ménages consommeraient environ 192 000 tonnes. Ce chiffre ne tient toutefois pas compte des touristes. La quantité de F&L consommée en Languedoc-Roussillon est donc sûrement plus élevée, mais le chiffre estimé ici prend en compte les kilos de F&L que l’on ne produit pas sur la région comme les bananes ou les oranges. L’offre régionale reste donc sans aucun doute supérieure à la demande de ses consommateurs.
Plusieurs types d’intermédiaires interviennent dans la relation entre le producteur et le consommateur : les Grandes et Moyennes Surfaces (GMS), les épiceries, la restauration collective, la restauration privée, les marchés, les grossistes et les semi-grossistes. De l’avis de nombreux experts, une forte proportion des F&L proposés en Languedoc-Roussillon sont importés d’autres régions ou pays. Ceci est dû à l’organisation de l’offre locale en filière longue et centralisée, traditionnellement tournée vers l’expédition dans d’autres régions ou pays. Cette importance des importations rejoint une tendance nationale : en 2004, 61% de la demande française des fruits frais et 39% de la demande de légumes frais étaient couverts par des importations (Amiot-Carlin, 2007). Le prix plus élevé des produits français en raison de charges importantes et le manque d’organisation des circuits courts sont aussi des facteurs expliquant l’importance de la consommation de produits issus d’autres régions ou pays, d’Espagne en particulier. En effet, en 2010, il faut déjà en moyenne 1,04€ pour manger « les 5 fruits et légumes » par jour.
Toutefois, comme nous le détaillerons plus loin, les consommateurs sont de plus en plus sensibles à la qualité et à l’origine des produits, en particulier en matière de F&L où la demande de produits sains et locaux augmente (Credoc, 2009) : il y a donc a priori des possibilités pour les offreurs de vendre davantage en région sur un volume donné en faisant jouer la complémentarité entre circuits longs et circuits courts. De plus, en 2004, une personne en France buvait 23 litres de jus de fruits et consommait 33kg de légumes surgelés ou en conserve et 7kg de fruits transformés. Il y a donc aussi pour les OP la possibilité de mettre en place de la transformation, si ce n’est déjà le cas et de vendre les produits transformés en circuits courts (Amiot-Carlin, 2007).
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