L’écologie est une science qui étudie les interactions entre les organismes vivants et leur environnement (Bowen and Sniff 1999). Cette discipline s’intéresse au comportement des individus au sein d’une population, à la reproduction, à la recherche de nourriture, à la protection contre les prédateurs ainsi qu ‘ à la distribution des individus, des espèces et des populations. L’alimentation est un facteur déterminant pour la survie des espèces et est habituellement étroitement liée à la répartition saisonnière et à l’abondance des individus (Bowen and Sniff 1999). La quantité et le type de nourriture consommé par les mammifères marins ne sont pas très bien connus chez plusieurs espèces, particulièrement les cétacés et les espèces plus hauturières. En plus, la diète varie souvent avec l’âge (Kurle and Worthy 200 l , Lawson and Hobson 2000), le sexe (Sinisalo et al. 2008, Tucker et al. 2007), la région (Angerbjom et al. 1994), la période de l’année (Lawson and Hobson 2000) amSI que l’abondance et la disponibilité des proies (de Stephanis et al 2008, Lee et al. 2005).
L’utilisation des marqueurs chimiques
De nombreuses approches permettent d’ étudier la diète des mammifères marins. Toutefois, la majorité de ces méthodes se basent sur des observations indirectes puisqu ‘ il n’ est pas facile d’observer directement l’alimentation des mammifères marins et souvent difficiles d’approche. En effet, ces animaux sont présents dans des régions difficile d’accès et passent la majeure partie de leur temps sous l’eau (Bowen and Sniff 1999). L’analyse de contenus stomacaux et des fèces permettent d’obtenir de l’information sur la diète récente de l’organisme (Dehn et al. 2007, Hammill et al. 2005, Holst et al. 2001). Elles reposent sur l’identification des structures dures telles que le squelette et les otolites des poissons ainsi que les becs des céphalopodes (Bowen 2000). Toutefois, l’identification des proies consommées et leur proportion dans la diète, se base seulement sur les structures dures qui sont retrouvées dans le système digestif puisque les structures molles sont plus rapidement digérées et difficilement disponibles. Les structures qui se digèrent plus lentement amènent un biais puisqu’elles seront surestimées par rapport à celles qui se digèrent plus facilement (Bowen 2000). En plus, certaines parties des otolites peuvent être brisées et peuvent empêchées l’identification de l’organisme. Il faut aussi porter attention aux contenus analysés selon qu’ils proviennent d’un animal échoué ou mort puisque la composition de la diète pourrait représenter celle d’un animal moribond ou blessé et non d’ un animal en santé (Barros and Clarke 2002). Enfin, compte tenu de la digestion relativement rapide chez les mammifères marins, les contenus digestifs sont souvent biaisés vers une alimentation à proximité du lieu d’échantillonnage.
Depuis quelques décennies, de nouvelles approches ont été développées afin d’améliorer les connaissances actuelles sur l’alimentation des mammifères marins. Ce sont, entre autres, l’analyse des acides gras et des rapports de certains isotopes stables. Ces techniques mesurent la quantité de certains éléments dans l’organisme et donnent de l’information sur la nourriture assimilée pendant une période de temps beaucoup plus longue qu’avec les méthodes traditionnelles (Kelly 2000, Lesage et al. 2001, Tieszen et al. 1983). Les acides gras représentent un large groupe de molécules lipidiques retrouvés en très grandes quantités dans tous les organismes. L’analyse de ces acides gras dans l’animal permet d’estimer la diète du prédateur et d’étudier les interactions trophiques et la structure des écosystèmes (Budge et al. 2006, Iverson et al. 2004). En effet, les acides gras sont entreposés en grandes quantités dans les tissus de l’animal dans leur forme originale (Tollit et al. 2010). Les acides gras sont donc transférés de la proie vers le prédateur avec peu ou pas de modifications. L’analyse des acides gras permet d’avoir une idée de la composition de la diète à différentes échelles spatiales et temporelles (Iverson et al. 1997, Smith et al. 1996, Smith et al. 1997). La présence de certains acides gras plus rarissimes dans les tissus du prédateur permet d’avoir des informations sur la consommation de proies ou de taxa précis (Tollit et al. 2010). Finalement, l’utilisation des acides gras permet aussi d’estimer la diète au niveau quantitatif avec des modèles statistiques comme le QF ASA (Budge et al. 2006, Iverson et al. 2004). Le QF ASA se base sur le principe que les proies ont des signatures en acide gras caractéristiques et que ces signatures sont intégrées dans le prédateur de façon prévisible. L’estimation de la diète peut donc se faire puisque le modèle statistique compare les signatures en acides gras de toutes les proies potentielles avec celles du prédateur (Iverson et al. 2004). Cependant, cette procédure nécessite la connaissance du métabolisme de déposition des acides gras en plus de celle de la composition en acide gras de toutes les proies potentiellement importantes du prédateur qui doivent couvrir l’étendue spatiale et temporelle du prédateur.
L’analyse des isotopes stables
Les signatures isotopiques du carbone ( δ¹³ C) et de l’azote (δ¹⁵ N) peuvent fournir de l’information sur la diète de l’animal (Dennard et al. 2009, Hammill et al. 2005, Lesage et al. 2001), sur la position trophique du prédateur (Lesage et al. 2001, Post 2002, RuizCooley et al. 2004), sur l’utilisation de l’habitat (Post 2002) ainsi que sur les patrons de migration (Schell et al 1989, Schell et al. 1998). Les rapports des isotopes stables reflètent la nourriture consommée et assimilée sur une période de temps assez longue (semaines, mois, années) en comparaison à l’analyse des contenus stomacaux qui reflète la nourriture consommée sur une plus courte période de temps Gours) (Kelly 2000, Tieszen et al. 1983). Chaque tissu intègre la signature isotopique sur des périodes de temps différentes selon le taux de renouvellement des protéines du tissu (Hobson and Clark 1992, Rubenstein and Hobson 2004, Tieszen et al. 1983). La peau et les muscles intègrent l’ information sur une période de 2 à 3 mois suivant l’échantillonnage tandis que le foie intègre l’information sur une période de quelques jours (Hicks et al. 1985, St. Aubin et al. 1990, Tieszen et al. 1983).
Plus précisément, le rapport des isotopes de l’azote permet de déterminer la position trophique du prédateur puisqu’un enrichissement prédictible en ¹⁵N est observé à chaque niveau trophique (DeNiro and Epstein 1981, Post 2002). Les tissus du prédateur sont généralement enrichis de 3 à 5%0 par rapport à ceux de ses proies. Cette différence de rapport des isotopes de l’ azote entre le prédateur et ses proies s’explique par le fait qu’il y a une proportion plus importante de ¹⁴N que de ¹⁵N dans les déchets azotés des consommateurs. Cependant, cet enrichissement varie selon les taxa, la diète et les tissus utilisés (Caut et al. 2009). Le rapport isotopique du carbone est généralement utilisé afin de déterminer la source de carbone et l’habitat utilisé (Post 2002). En effet, l’enrichissement trophique est généralement plus faible dans le cas du carbone, soit de l’ordre de 1%0, faisant ainsi un traceur plus adéquat des sources de carbone. Cette différence de rapport des isotopes du carbone entre les sources s’explique par le fait qu’il existe une différence dans la fixation des isotopes du carbone par les plantes terrestres en C₃, C₄, et la végétation marine en C₃. Le δ¹³C permet de déterminer si l’animal s’alimente plus au niveau benthique que pélagique, près des côtes ou plus au large, ou s’ il dépend de ressources aquatique d’ eau douce ou d’ eau salée. En effet, le rapport isotopique du carbone est plus faible dans la chaîne alimentaire benthique que pélagique puisqu’il y a un enrichissement en ¹³C des producteurs primaires en présence de faibles quantités de nutriments (France 1995). Le rapport isotopique du carbone est également plus faible dans la chaîne alimentaire côtière qu’hauturière puisque les conditions de l’eau, par exemple une quantité moindre de CO₂ retrouvée plus près des côtes, le taux de croissance des producteurs primaires ainsi que les valeurs de δ¹³C dans les sources de carbone inorganique dissous diffèrent (Post 2002). La différence entre le rapport isotopique du carbone entre l’eau douce et l’eau salée s’explique par les différences sources de carbone fixées dans les chaînes alimentaires. Effectivement, la chaîne marine, appauvrit en ¹³C, fixe le carbone provenant des bicarbonates tandis que la chaîne aquatique fixe le carbone du CO₂ (Bearhop et al. 1999, Peterson and Fry 1987).
CHAPITRE 1 – INTRODUCTION GÉNÉRALE |