Régionale ou mondiale ? Les enjeux de l’intégration monétaire et financière en Asie
L’intégration monétaire
Malgré l’importance du politique dans les processus d’intégration monétaire, la théorie économique dominante dans ce domaine, la théorie de la zone monétaire optimale, se veut apolitique. Selon ses concepteurs, R. Mundell, (1961) et R. Mc Kinnon (1963), des pays dont les prix et les salaires sont relativement rigides ont intérêt à créer une union monétaire, c’est-à-dire établir une parité fixe entre leur taux de change, si ces pays se sont déjà fortement intégrés par le commerce, les flux de capitaux et de travail; s’ils sont sujets à des chocs macroéconomiques simultanés et de même nature rendant inutile le recours à la dévaluation; si leur gouvernement ont les mêmes préférences entre l’inflation et la croissance, et s’ils ont la volonté de coordonner leur politique macro-économique. Autrement dit lorsque leurs structures économiques et sociales sont déjà proches, adopter une monnaie unique vient parachever leur intégration. Un premier problème est de savoir à partir de quel seuil on considère qu’un critère est rempli. Par exemple, le commerce intra-régional doit il représenter 50% du commerce total ou plus ? A partir de quel seuil considère-ton que la mobilité du capital et du travail est suffisante ? Le deuxième problème est de savoir si tous les critères doivent être respectés ou seulement certains d’entre eux, et dans ce cas lesquels ? La confusion règne et la tentative de certains auteurs (T. Bayoumi et alii, 1999) de la dissiper en construisant un indice reflétant la moyenne des critères ne résout pas le problème ( ). Des travaux théoriques récents contournent en partie le problème en minorant l’importance du respect préalable de ces critères. La théorie de la « zone monétaire optimale endogène » (J. Frankel, A. Rose, 1998) affirme que des pays satisfaisant raisonnablement les conditions préalables ont intérêt à créer une union monétaire, car une monnaie unique stimulera leur intégration future. Les conditions seront alors définitivement remplies. Appliquée à l’UE, cette théorie permet de justifier a posteriori la création de l’euro même si tous les critères de la « zone monétaire optimale » n’étaient pas remplis au préalable par tous les pays parties prenantes. L’intégration monétaire, au besoin à marche forcée, trouve un nouvel argument dans le sens où elle est supposée stimuler la convergence réelle, en l’occurrence celle des économies européennes. Au-delà du problème posé par le respect de ces critères, le problème essentiel est finalement l’utilisation qui en est faite. La théorie de la zone monétaire optimale sert de cheval de Troie pour accentuer la flexibilité des salaires et de l’emploi, accentuer le libre-échange et démanteler les contrôles de capitaux, mener des politiques monétaires restrictives au nom de la lutte contre l’inflation. Autant d’éléments parties intégrantes des politiques d’ajustement structurel et du « consensus de Washington » dont le constat de faillite a pourtant été dressé ( ). Malgré ces critiques, il n’en demeure pas moins que les critères retenus par la théorie de la zone monétaire optimale sont utiles pour juger du degré d’intégration structurelle des économies et méritent à ce titre d’être étudiés.
L’Asie de l’Est est-elle une zone monétaire optimale ?
De nombreux travaux ont cherché à répondre à cette question, mais aucun consensus ne s’est établi, même si une majorité des travaux répond par l’affirmative. La réponse varie selon les critères, la période étudiée, la zone géographique et la méthodologie retenus. Par ailleurs si les critères ne sont pas tous remplis actuellement, la croissance élevée des pays asiatiques et la transformation structurelle rapide qu’elle entraine, permet d’anticiper raisonnablement qu’ils pourraient l’être à moyen terme. Pour résumer ces travaux, on prendra comme fil conducteur l’étude de M. Kawai et T. Motonishi (2005), qui est à la fois récente et la plus exhaustive en ce qu’elle analyse tous les critères, utilise des méthodes différentes, et couvre l’ensemble de l’Asie de l’est, en particulier la Chine, ce que n’avait pas fait la plupart des études précédentes. Sur le plan commercial, le graphique n°1 montre que le degré d’intégration commerciale est très différent selon la zone géographique retenue, même si la tendance générale est orientée à la hausse ( ).
Si l’on se réfère à l’Asie de l’est au sens le plus large du terme, c’est-à-dire « l’Asie de l’est émergente » ( ) dont la Chine, et que l’on y inclut le Japon, l’intégration commerciale apparaît forte et en augmentation rapide. Le commerce intra-régional est passé de 34,7% en 1980 à 54% en 2003, soit un niveau comparable à l’Union Européenne à 15 en 1980 (52,4%), au moment où l’intégration monétaire était déjà bien entamée, et en tout cas supérieur à celui de l’ALENA en 2003 (46%).Sans le Japon, La zone « Asie de l’est émergente », continue de présenter un commerce intra-régional élevé passant de 21,6% en 1980 à 44,1% en 2003, c’est-à-dire presque autant que l’ALENA (NAFTA). Mais par contre, les nouveaux pays industriels (NIEs) ne commercent pas beaucoup entre eux (16,1% en 2003), et l’ASEAN (y compris Singapour) guère plus (24%). Autrement dit, l’intégration commerciale ne justifie l’intégration monétaire que si au moins l’un des deux grands pays de la région (le Japon ou la Chine) en fait partie.
Quel système monétaire asiatique ?
Un dollar est-asiatique ?
Pour R. Mc Kinnon et G. Schnabl (2004), la stabilité des changes peut être obtenue simplement par le retour à « l’étalon du dollar est-asiatique » qui prévalait avant la crise de 1997-98. Analysant les taux de change journaliers sur la période post-crise allant de janvier 1999 à décembre 2003, ils montrent que l’ancrage au dollar américain a été officieusement rétabli par tous les pays sauf l’Indonésie et dans une moindre mesure les Philippines. Ceci, malgré les recommandations du FMI qui prônait la flexibilité des taux de change. L’ancrage n’est plus aussi strict qu’auparavant puisque le poids du yen a augmenté de 6% à 18% pour le won coréen, de 0% à 18% pour la roupie indonésienne, de 14% à 20% pour le dollar de Singapour et de 8% à 18% pour le baht thaïlandais. Mais ces auteurs minimisent ce poids nouveau du yen pour ne retenir que ce qui pour eux demeure l’essentiel : le dollar reste la monnaie d’ancrage dominante. Cet ancrage au dollar est fondé rationnellement par la domination du dollar dans le commerce asiatique ( ) et le caractère embryonnaire du marché des changes à terme et du marché obligataire dans la plupart des pays. En effet, l’ancrage au dollar permet aux importateurs et exportateurs asiatiques de se couvrir contre le risque de change même en l’absence d’un marché obligataire domestique. Les banques étrangères se refusent souvent à vendre des dollars à terme car il leur est impossible de détenir dans l’intervalle des instruments monétaires en monnaie locale (par exemple des obligations domestiques), qui soit n’existent pas pour tous les termes, soit sont très peu liquides. Un importateur coréen devant payer 100 yens dans 60 jours et désireux de se couvrir contre les fluctuations erratiques du yen vis-à-vis du won, peut acheter à terme 100 yens contre le dollar, ce qui n’est pas coûteux car les marchés obligataires japonais et américain sont très liquides et efficaces. Avec un taux de change stable entre le won et le dollar, il achète au comptant les dollars nécessaires avec des wons. En ancrant le won au dollar, le gouvernement coréen fournit aux entreprises coréennes une couverture de change informelle et gratuite. L’ancrage plus ou moins strict au dollar est donc une option sérieuse, qui n’est pas contradictoire avec le renforcement des marchés obligataires nationaux et qui a apporté dans le passé une longue période de stabilité à condition que les autorités se donnent les moyens d’agir contre la spéculation. Dans l’esprit de R. Mc Kinnon et G. Schnabl (op cit) cela signifie adopter des mesures de contrôle partiel des capitaux telles que l’interdiction pour les banques de prendre des positions nettes de change de façon à éviter la répétition de la crise de 1997-98. Cet ancrage au dollar pourrait être conforté par la décision du Japon d’ancrer le Yen sur le dollar pour résoudre les problèmes posés par la forte volatilité du Yen aux pays d’Asie de l’est en général mais aussi au Japon.