Les enzymes et leurs applications
La structure unique des enzymes leur permet une spécificité d’action unique avec les autres molécules. De ce fait, les enzymes agissent à titre de catalyseurs biologiques, permettant l’accélération de l’ atteinte de l’équilibre d’une réaction chimique, en diminuant l’énergie d’activation. Comme les enzymes ont la capacité de former ou de briser les liaisons chimiques, il n’est pas surprenant que les industries tentent de plus en plus de les inclure dans leurs procédés industriels. Depuis les années 2000, le marché mondial des enzymes industrielles ne cesse de croitre. Étant estimé à 3 milliards de dollars US en 2009, il devrait dépasser les 6 milliards d’ ici la fin de 2017 (Charnock et McCleary, 2005). L’utilisation des enzymes industrielles est reconnue pour ses avantages. En plus de diminuer le coût des matières premières et d’être rentable, la substitution des produits chimiques par les enzymes introduit une dimension écologique aux procédés industriels. L’ utilisation des enzymes donne lieu à des procédés moins dommageables pour l’environnement en comparaison avec les procédés chimiques classiques. Ces molécules naturelles sont complètement dégradées dans l’environnement et leur utilisation a un impact important sur la réduction de consommation d’énergie des diverses industries. Plusieurs enzymes bactériennes (cellulases, xylanases, lipases/carboxylesterase) sont utilisées en industrie (Tableau 1.2) (Charnock et McCleary, 2005; Kirk, Borchet et Fuglsang, 2002). Grâce à leur capacité à hydrolyser les liens esters, les carboxylestérases trouvent des applications importantes en biotechnologie, que ce soit dans le textile, l’ alimentation, la pharmaceutique, en cosmétique et dans le secteur des pâtes et papiers. Par exemple, les lipases peuvent être utilisées dans la composition des détergents à lessive afin de dissoudre les graisses. Présentement, la plupart des détergents contiennent des produits néfastes pour l’environnement (phosphates, sulfates) et leur utilisation contribue à l’augmentation du problème des algues bleues, par exemple (Bajpai et Tyagi, 2007). En utilisant les lipases, on peut contrôler la quantité de produits chimiques relâcher dans l’environnement et nettoyer nos vêtements de manière efficace et environnementale.
Les enzymes lipolytiques
Les enzymes lipolytiques (estérases et lipases) sont omniprésentes dans la nature (plantes, animaux, microorganismes) et sont reconnues pour leurs nombreuses utilisations dans les applications industrielles. Ces enzymes, qui catalysent les réactions d’ hydrolyse et d’ estérification, sont impliquées dans les voies métaboliques des lipides. Ces enzymes appartiennent à la famille des a/P hydrolases, de par leur structure formée de feuillets centraux entourés d’hélices (Figure 1.4) (Ollis et al. , 1992). Leur site actif est composé d’une triade catalytique d’acides aminés très conservés dans l’évolution (Ser-Asp/GluHis). Les enzymes lipolytiques ont fait l’objet de plusieurs études dans les dernières années et sont toujours d’ actualité (Charbonneau, Meddeb-Mouelhi et Beauregard, 2010; Shao, Xu et Yan, 2014). Ces enzymes ont initialement été classifiées en huit familles en fonction de motifs d’acides aminés conservés et de leurs propriétés biologiques par Arpigny et Jaeger (1999), classification qui ne cesse de s’ accroître (Charbonneau et Beauregard, 2013). Ce classement enzymatique permet maintenant de faire des prédictions au niveau de facteurs structuraux lors de l’ identification de nouvelles enzymes lipolytiques.
D’un autre côté, ces enzymes ont aussi été classifiées en 38 familles homologues, comprenant 16 super familles, en fonction de leur séquence, de leur structure et de leur fonction par Fisher et Pleiss (2003). Les carboxylestérases (E.C.3.1.1.1) et les lipases (E.C.3.1.1.3) catalysent l’hydrolyse et la synthèse des liens esters des molécules sur des substrats à longueur de chaînes variables (Figure 1.5). Leur spécificité est donc plus souple que chez la plupart des enzymes. Les estérases sont actives sur des substrats à courtes chaînes « 10 carbones), contrairement aux lipases qui sont plutôt actives sur les substrats à longues chaînes (> 10 carbones) (Charbonneau et Beauregard 2013). Une autre caractéristique qui différencie les lipases des estérases est la présence d’un couvercle chez les lipases couvrant le site actif (Figure 1.6). Comme leurs substrats sont moins solubles (longues chaînes aliphatiques) que ceux des estérases (courtes chaînes), les réactions catalysées par les lipases se produisent à l’aide d’un système d’activation inter-faciale, qui se fait à l’interface lipide-eau, là où entre en jeu le couvercle de l’enzyme. Lorsque la lipase s’approche d’une surface lipidique, le couvercle s’ouvre de manière à laisser pénétrer le substrat dans la cavité du site actif. Les carboxylestérases n’usent pas d’un tel mécanisme et n’ont pas à être activées.
Stabilité des enzymes à haute température
De nos jours, les facteurs impliqués dans la stabilité conformationelle des enzymes sont bien connus (Figure 1.8). L’ effet hydrophobe constitue le facteur le plus déterminant pour le repliement tertiaire. Lors du repliement, les acides aminés non polaires (Val, Leu, Ile, Met et Phe) sont généralement regroupés au centre de l’enzyme, formant un coeur hydrophobe, de manière à minimiser les contacts entre ceux-ci et l’environnement aqueux dans lequel se trouve l’enzyme (Tableau 1.3). Les acides aminés polaires (Arg, His, Lys, Asp et Glu) sont normalement exposés à la surface, faisant contact avec le milieu aqueux. Les résidus polaires non-chargés (Ser, Thr, Asn, GIn et Tyr) sont aussi dispersés à la surface. Les interactions électrostatiques de type forces de van der Waals, les ponts hydrogène ainsi que les ponts ioniques (souvent appelés ponts salins) ne contribuent que très peu à la stabilité conformationelle à température physiologique (des ponts hydrogènes se forment avec le solvant même lorsque l’enzyme est dépliée). Outre ces derniers, on discerne les ponts disulfures (formés entre deux cystéines lors de l’oxydation des groupements thiols) qui contribuent à la stabilité de la structure tertiaire (Voet, Voet et Pratt, 2008).
Les ponts salins sont des interactions ioniques fonnés entre deux résidus ionisables de charges opposées. Pour qu’une interaction se produise, les résidus doivent se trouver assez prêts l’un de l’autre « 4Â) et ils doivent se trouver dans une orientation favorable. La fonnation de ponts salins est aussi dépendante du pH de l’environnement. Pour qu’un pont puisse se fonner, il faut que les deux résidus (l’un acide et l’autre basique) soient ionisés au pH en question. Par exemple, pour qu’un pont salin puisse se fonner entre un glutamate et une lysine, on doit se trouver dans des conditions de pH variant entre 3.7 et 10.2 tandis qu’un pont salin entre un aspartate et une histidine peut se fonner entre pH 4.1 et 6.1 (Figure 1.9). Plusieurs études ont permis de reconnaître que les enzymes thennostables sont caractérisées par une présence accrue de ponts salins à leur surface. Ces ponts salins sont beaucoup plus stabilisants à haute température, où l’eau devient moins polaire. En plus de trouver beaucoup plus de ponts salins, ceux-ci sont organisés sous fonne de réseaux dans les protéines stables à haute température (Kumar, Tsai et Nusinov, 2000; Vetriani et al., 1998; Knochel et al., 2002). En comparant les structures 3D d’enzymes mésophiles avec leurs homologues thennophiles, les experts ont pu clairement démontrer le rôle de ces facteurs structuraux clés (les ponts salins) dans la stabilité thermique des enzymes.
Agrégation des enzymes
L’ensemble des forces qui stabilisent les structures des enzymes les rendent aussi susceptibles à une dénaturation et à leur agrégation. L’ agrégation est un phénomène où les enzymes se collent les unes aux autres de manière à former un complexe insoluble dans le milieu aqueux. Les enzymes sont sensibles aux conditions dans lesquelles elles se trouvent. La chaleur peut entraîner la fusion de l’enzyme et une variation de pH peut désorganiser les interactions ioniques nécessaires à la stabilité conformationelle. Par exemple, lorsque le pH du milieu est près du pl (pH où la protéine est globalement neutre), les protéines vont avoir tendance à s’ agréger. Leur repliement tridimensionnel ainsi que leur activité peuvent être modifiés en fonction des conditions environnantes. L’agrégation des protéines est un problème de taille dans plusieurs domaines reliés à la biotechnologie. Au niveau de la mise en marché de vaccins et traitements thérapeutiques, la présence d’ agrégats de protéines est un problème majeur considérant le risque important d’un agrégat face à des réactions immunitaires (Roberts, 2014). 15 Certains processus d’agrégation sont aussi impliqués dans de nombreuses maladies. Par exemple, les protéines formant des structures amyloïdes dans la maladie de l’Alzheimer (Fink, 1998; Tsolis et al., 2012).
Les enzymes qui s’agrègent ne sont plus fonctionnelles, ce qui diminue la rentabilité d’un processus industriel où elles sont impliquées. Il est donc impératif de trouver des moyens pour contrôler ces processus d’ agrégation. Que ce soit pour le développement de drogues thérapeutiques ou d’enzymes industrielles, la compréhension des différents mécanismes de dénaturation et d’agrégation permettra de mieux comprendre et prévenir l’agrégation des enzymes. Au niveau des applications industrielles, le contrôle de ces propriétés physiques permettra de mettre au point des enzymes résistantes pour les applications désirées et de diminuer le temps et les coûts reliés à leur utilisation. À ce jour, les processus par lesquelles les enzymes s’agrègent restent hypothétiques. Des études récentes ont démontré que l’agrégation serait tributaire de trois phénomènes particuliers, en plus de la concentration en protéines : les conditions environnementales de l’ échantillon, la structure tertiaire adoptée par l’enzyme et la séquence en acides aminés (Roberts, 2014). L’agrégation irréversible des enzymes peut se manifester lorsque plusieurs unités se retrouvent dans une conformation non-native. La modification de la structure tertiaire peut être causée par un phénomène extérieur causant une distorsion de la structure tertiaire, par exemple, lorsque les enzymes sont soumises à des conditions extrêmes de température. La distorsion de la structure tertiaire entraîne l’exposition de certaines séquences peptidiques cibles, les « aggregation-prone sequences », qui sont responsables de causer l’agrégation. On dit de ces « hot spots » qu’ ils sont souvent des séries d’acides aminés hydrophobes, ou faiblement chargés et qui sont sujets à former des feuillets bêta ou des hélices alpha avec les brins à proximité (Tsolis et al. , 2012).
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