La culture Mais qu’est-ce qu’une culture ?
Du point de vue anthropologique, E.B. Tylor (1871, cité par Izard, M., 2010, p. 190) a défini la culture en général comme « [un] ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, l’art, les moeurs, le droit, les coutumes, ainsi que toute disposition ou usage acquis par l’homme vivant en société ». Il apparait donc que l’homme acquiert une culture par ses rapports avec les autres et qu’il s’agit bien d’un apprentissage, conscient ou non, et non d’une donnée biologique. Comme le dit C. Lévi-Strauss (cité par Izard, p. 190), « la culture […] est quelque chose dont l’existence est inhérente à la condition humaine collective, elle en est un « attribut distinctif […] ». Devant le nombre de paramètres qui peuvent l’influencer, on voit bien que chaque individu a une culture qui lui est propre. Ainsi même deux individus très proches comme peuvent l’être des jumeaux/jumelles ne peuvent partager exactement la même culture car leurs expériences, même très proches, ne peuvent prétendre être en tout point identique.
Pour autant, les individus partageant des points communs plus ou moins importants et en plus ou moins grands nombres peuvent se prétendre d’une même culture, d’une appartenance à un groupe spécifique. Ainsi un adolescent lambda est à la fois un membre et un représentant de la culture de sa famille, de la culture de son groupe d’âge, du lieu où il vit (quartier, ville, région voire pays), de la culture des loisirs qu’il peut avoir, etc.,… Et c’est cet ensemble de « sous-cultures » qui fait de cet adolescent un individu unique et différent de son voisin ou de son frère. Perregaux (1994, cité par Dasen, 2002) dit à propos de la culture : Ensemble de valeurs, de significations et de comportements acquis et partagés par les membres d’un groupe qui tendent à se transmettre une certaine vision du monde et des relations aux autres. Le terme culture, dans le sens où nous l’employons n’a rien d’une notion figée, statique, déterministe. Quand on dit qu’un enfant provient de telle ou telle culture, donc qu’il devrait avoir tel ou tel comportement, on lui dénie le droit d’avoir fait lui-même une lecture et une interprétation de sa culture. On le fige dans une représentation stéréotypée que nous avons nous-mêmes de sa culture. La culture n’est pas quelque chose d’extérieur à l’individu. Pour permettre la mobilité et de nouvelles créations culturelles et identitaires, nous considérons les termes culture et identité comme des notions plurielles, évolutives (p. 12-13). Pour la CDIP, il importe de respecter cette particularité propre à chacun et elle recommande : […][d’] intégrer tous les enfants de langue étrangère vivant en Suisse dans les écoles publiques en évitant toute discrimination. Elle souligne que l’intégration doit intervenir dans le respect du droit de l’enfant au maintien de la langue et de la culture du pays d’origine (1991, p.1).
Pour Abdallah-Pretceille (2013, p. 9), la culture remplit deux fonctions : la première est ontologique, c’est-à-dire qu’elle permet à l’individu de « se signifier à lui-même et aux autres ». La deuxième est instrumentale, dans le sens où elle facilite par des comportements et des attitudes l’adaptation aux environnements, ce qui correspond plus particulièrement à notre société moderne. Ces deux éléments soulignent bien l’importance de prendre en compte la culture des élèves dans l’enseignement, elle est à la fois un constituant important de l’identité mais aussi une grille de lecture et un guide de la société. Ne pas prendre conscience de cela c’est risquer de ne pas permettre à l’élève de former son identité d’une part et de ne pas avoir les connaissances pour comprendre et appréhender la société dans laquelle il vit. Dans le cadre scolaire, et a fortiori lorsqu’il s’agit d’élèves issus de la migration, ces cultures se retrouvent confrontées entre-elles mais aussi à la culture générale de la société. Cette dernière regroupe « la part de la connaissance qui dépasse les savoirs spécialisés pour développer l’homme lui-même » (Dumazedier, 2000, p. 232).
Elle est légitimée par les élites de la société tel que les intellectuels ou les observateurs critiques et constitue une référence pour tous dans la société et à plus forte raison dans l’école. Cet état de fait peut créer de grandes difficultés chez les élèves, mais aussi les parents, car leurs références et leurs habitudes culturelles ne correspondent pas à celle de la société d’accueil mais surtout à celle de l’école, amenant ainsi des incompréhensions et des difficultés scolaires. Heureusement, comme le dit Dumazedier (2000), la culture générale dans notre société s’est diversifiée et est désormais multiple, permettant à tout un chacun de s’y retrouver et de s’y épanouir. Mais cette multiplicité ne met pas pour autant fin aux risques de discrimination, définit par Amnesty International Suisse comme « un traitement défavorable, qui repose sur une base illégitime et dépourvu de justification objective. ». Sa nature et ses causes en sont plurifactorielles selon Jean-Marie Seca (2003), elles seraient le résultat « tout autant des conséquences des structures institutionnelles ou sociétales que de représentations ou de schèmes cognitifs ». Elle ne serait donc pas qu’une conséquence d’idées reçues mais peut aussi être un élément construit socialement pour diverses raisons. L’école elle-même entretient ou instille chez les élèves un certain nombre de préjugés, notamment par l’image des migrants donnée par les différents manuels scolaires comme le souligne Marie Lavin (2007) :
Pluri culturalité et multiculturalité
A ce stade, il importe de s’intéresser à ce phénomène de coexistence de diverses cultures, tel que l’on peut le trouver dans nos sociétés occidentales et a fortiori dans le cadre scolaire. Pour Jacques Demorgon, les termes pluriculturel et multiculturel : […] signifient seulement l’existence de plusieurs ou de multiples cultures co-présentes dans un même ensemble qui peut aller de tel quartier d’une ville à la planète entière. Ces cultures sont co-présentes mais relativement séparées de diverses façons et pour diverses raisons (2002, p. 29). Cependant, en fonction de la société dans laquelle ce terme est utilisé, se dessine de nombreuses différences dans la perception de la multiculturalité et donc dans les décisions qui en découlent. On trouve deux modèles en particulier : le modèle anglo-saxon et le modèle d’inspiration française dit d’orientation interculturelle (Abdallah-Pretceille, 1999, p. 26-28). Le multiculturalisme anglo-saxon pose comme principe fondateur la possibilité pour tous de vivre selon leurs cultures, même si elles sont très différentes de la société dans laquelle ils vivent. Il en ressort un éclatement de la société avec un risque fort de communautarisme et par ailleurs peu de compréhension entre les différents groupes.
Cela se retrouve très fortement aux Etats-Unis, notamment avec des communautés relativement fermées et surtout centrées sur leur propre intérêt. On est donc relativement loin de l’apprentissage de la vie en commun mais plutôt dans un repli qui peut vite devenir une fermeture à l’autre car basé sur les différences. Au Canada, c’est la citoyenneté multiculturelle qui est mise en avant avec l’idée qu’un individu peut appartenir à deux communautés à la fois, c’est-à-dire la canadienne mais aussi la sienne, tant que les devoirs et obligations de la première prévalent. L’orientation interculturelle se retrouve dans la construction de la France, avec l’idée d’universalité des droits de l’homme et de laïcité. Il s’agit de rassembler les individus sur ce qu’ils ont en commun et de laisser les différences à la sphère privée. Ce point ressort régulièrement en France au sujet des symboles religieux notamment, avec la question du voile pour les jeunes musulmanes ou du crucifix en classe plus rarement. Cependant, cette manière d’occulter volontairement une ou des parties de ce qui fait un individu peut également amener une réaction inverse de survalorisation de la différence, et donc amener une forme de communautarisme également.
Une situation sujette à débat s’est produite en 2009 en Suisse, dans le canton du Valais pour être plus précis, où un enseignant a été licencié sans préavis pour avoir refusé de remettre au mur le crucifix dans sa salle de classe4. Dans ce cas précis, il y avait opposition entre une décision précédente du Tribunal Fédéral, déclarant que la présence d’un crucifix dans une salle de cours constitue une atteinte à la liberté confessionnelle et l’article 3 de la loi cantonale sur l’instruction publique qui donne à l’école la mission de « préparer l’élève à sa tache de personne humaine et de chrétien »5. Si l’enseignant a obtenu gain de cause au sujet de son licenciement jugé excessif6, la question de la présence ou pas d’un crucifix en classe n’a pas été résolue de manière ferme, laissant une certaine marge de manoeuvre aux communes et appelant à la conciliation en cas de différent. Cette histoire rend visible la problématique de la définition ou de la délimitation de ce qui participe à la tradition, à la coutume ou encore aux habitudes de ce qui appartient au privé, comme l’est la religion. Face aux modifications de la société, certains ressentent toute évolution comme une perte de patrimoine culturel voire comme une attaque contre leurs traditions. Il s’agit donc de bien comprendre qu’une société ne peut fonctionner qu’en évoluant, ce qui est inévitable, vers un bien vivre ensemble tenant compte de toutes les composantes de la société et à même de créer une cohésion sociale au bénéfice de tout-un-chacun.
Statut des cultures et des langues
Comment parler de relations entre des cultures diverses sans parler du statut de ses propres cultures ? Impossible, il me semble, tant ce dernier a une incidence sur cette relation. A l’échelle de l’individu, il va s’agir de l’image qu’il se fait de sa propre culture, qu’elle soit d’origine, familiale ou autre, par rapport à l’image de la culture de l’autre ou de la société dans laquelle il vit. En effet, les cultures sont soumises à la valorisation positive ou négative de la part de la société ou de ses individus. Elles sont dépendantes en partie de leurs histoires mais surtout de la manière dont cette histoire est perçue par les autres. John Rex (2006, pp. 47-48) évoque la différence en séparant « l’ethnicité choisie » de « l’ethnicité attribuée », cette dernière n’étant « souvent que l’ethnicité qu’un gouvernement ou ceux qui exercent le pouvoir lui attribuent ». La culture américaine par exemple est considérée comme impérialiste par des gouvernements comme celui de l’Iran alors qu’elle est synonyme d’une certaine liberté pour d’autres. Ceci peut d’ailleurs se montrer à travers des événements internes à la culture en question.
Toute situation interne à un pays peut être perçue et interprétée complétement différemment ailleurs dans le monde. Il importe de préciser qu’une même culture peut être envisagée sous différents statuts en fonction de l’aspect concerné – historique, culturel ou langagier. Ce statut est donc très subjectif et il importe de le dépasser, comme toute simplification réductrice. Je cite les propos du Directeur général de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, qui parle des Etats et de « leur conviction que le dialogue interculturel constitue le meilleur gage pour la paix et de rejeter catégoriquement la thèse de conflits inéluctables de cultures et de civilisations » (2001, cité par de Mecquenem, 2013, p. 536)8. Au même titre que les cultures, les langues ne sont pas des éléments neutres. Elles ont une histoire, elles véhiculent des préjugés, qu’ils soient positifs ou négatifs, et les gens s’en font une représentation qui leur est propre qu’ils en soient locuteurs ou non. Il est évident que les préjugés et donc la représentation de la langue varient en fonction de l’endroit où l’on se trouve et des individus présents. Ainsi l’anglais est vu favorablement dans de nombreux pays car c’est le langage international du commerce, mais aussi à cause de l’impact des produits culturels américains que sont la musique et le cinéma par exemple. Pour autant, aux yeux de certains cette langue peut symboliser l’impérialisme, une forme de domination ou d’attaque contre leur propre langue et leur culture.
1. Introduction |