Question de la validité diagnostique du TDAH
Bien que le TDAH ait été reconnu comme trouble mental en 1986 avec son inclusion dans le DSM-II, déjà au cours des 18e et 1ge siècles, divers auteurs, comme par exemple Alexander Crichton, Heinrich Hoffmann et George Frederic Still, avaient commencé à différencier le trouble comportemental caractérisé par les symptômes d’inattention et d’hyperactivité d’autres troubles mentaux de l’enfance (Lange, Reichl, Lange, Tucha, & Tucha, 2010). On peut mentionner ici que les termes utilisés pour désigner le TDAH ainsi que ses critères diagnostiques ont quand même changé à travers les différentes versions du DSM. En effet, dans le DSM-II, il été désigné par le trouble « réaction hyperkinétique de l’enfance» (hyperkinetic reaction of childhood), dans le DSM-III, il été connu sous le nom « trouble déficit d’attention avec ou sans hyperactivité » (attention deficit disorder: with & without hyperactivity), mais depuis le DSM-Ill-Rjusqu’au DSM-5, il a conservé à peu près la même appellation, soit le « trouble déficit de l’attention avec hyperactivité » (attention dejicit hyperactivity disorder) (Lange et al., 2010).
Selon le DSM-5 (American Psychiatric Association, 2015), le TDAH est un trouble neurodéveloppemental, c’est-à-dire se développant initialement durant l’enfance, se caractérisant principalement par des problèmes d’attention et d’hyperactivité/impulsivité et occasionnant des impacts fonctionnels dans au moins deux milieux de vie chez les personnes atteintes (American Psychiatric Association, 2015). Le trouble peut se diviser en trois catégories selon le nombre et la nature de symptômes que présentent les personnes atteintes, soit (1) la présentation combinée (c’est-à-dire la présence des symptômes d’inattention et d’hyperactivité à des mêmes degrés d’intensité); (2) la présentation inattentive prédominante; ou (3) la présentation hyperactivité/impulsivité prédominante (voir l’Appendice pour plus de détails sur le trouble). Étant donné que la plus grande majorité des articles scientifiques consultés dans le cadre du présent travail ont utilisé les critères diagnostiques du DSM -IV -TR (le DSM -IV révisé), il est important ici de souligner qu’il n’y a pas de grands changements au niveau des principaux critères diagnostiques entre cette version et la version actuelle du DSM, c’est-à-dire le DSM-5 (American Psychiatric Association, 2015). En effet, le même nombre de symptômes caractéristiques du TDAH contenus dans la version précédente, soit les 18 symptômes, a été repris dans la version actuelle du DSM (American Psychiatric Association, 2015).
Cependant, il est important de noter quelques modifications minimes dans la version actuelle, qui vont sans doute faciliter davantage le processus de diagnostic du TDAH, surtout chez les adolescents et les adultes. Entre autres (1) un grand nombre de symptômes doit avoir été présent avant l’âge de 12 ans plutôt qu’à 7 ans (le critère B); (2) chez les personnes âgées de 17 ans et plus, le nombre de symptômes qui doivent être présents pour qu’un diagnostic soit posé a été diminué à 5 comparativement à 6 en dessous de cet âge; (3) plusieurs symptômes doivent être présents dans deux environnements ou plus, plutôt que certains symptômes (le critère C); (4) la subdivision du trouble en trois « sous-types» a été remplacée par les trois spécificateurs qui les correspondent; et enfin (5) un diagnostic concomitant de trouble du spectre de l’autisme peut actuellement être donné en combinaison à celui du TDAH (American Psychiatrie Association, 2015). Vu que les articles disponibles jusqu’à ce jour portant sur la relation entre la culture et le TDAH ne rapportent pas de données pertinentes sur les différentes présentations du TDAH (Miller, Nigg, & Miller, 2009), tous les points qui seront abordés dans le présent essai vont donc concerner toutes les trois catégories de présentation du TDAH.
Question de variabilité des taux de prévalence du TDAH
Le taux de prévalence du TDAH moyen selon le DSM-5 est d’environ 5 %. Une revue de la littérature scientifique montre pourtant des taux de prévalence du TDAH qui diffèrent grandement d’une région géographique à l’autre, ou même à l’intérieur d’une même région géographique. Par exemple, selon la plus récente revue systématique sur la prévalence du TDAH à travers le monde faite par Polanczyk et ses collaborateurs en 2007, on note des taux de prévalence du TDAH relativement faibles dans la région du MoyenOrient (environ 3 %, avec 4 études) et en Asie (4 %, avec 15 études). Ces taux sont relativement moyens en Océanie (environs 5 %, avec 6 études) et en Europe (5 %, avec 32 études) alors que l’on trouve des taux relativement élevés en Amérique du Nord (environ 6 %, avec 32 études) et en Afrique (environ 8 %, avec 4 études) et des taux très élevés en Amérique du Sud (environ 12 %, avec 9 études) (Polanczyk et al., 2007). Plusieurs facteurs expliquent ces variations. Tout d’abord, il y a des différences à l’égard des procédés méthodologiques utilisés d’une étude à l’autre (Faraone, Sergeant, Gillberg, & Biederman, 2003). Des procédés méthodologiques sont en effet plus complexes, car ils peuvent inclure la définition du TDAH, les critères diagnostiques utilisés (p. ex. en Amérique du Nord, ce sont les critères du Manuel diagnostique et sta.tistique des troubles mentaux, le DSM alors qu’en Europe, ce sont ceux de la classification internationale des maladies, la CIM), le niveau d’expertise des chercheurs ainsi que leur rigueur lors de l’application de ces critères (Faraone et al., 2003).
À titre d’exemple, certaines études auraient omis de demander si des problèmes de comportement associés au TDAH se manifestaient dans plus qu’un milieu de vie ou de noter la présence des impacts fonctionnels associés à ce trouble chez des personnes atteintes (Faraone et al., 2003), des éléments pourtant essentiels afin de pouvoir poser le diagnostic du TDAH selon le DSM. Une autre explication des différences quant aux taux de prévalence est liée au choix de la population d’étude. D’abord, le taux de prévalence du TDAH serait plus important au sein de certaines populations avec des antécédents médicaux par rapport à la population sans antécédents médicaux (Faraone et al., 2003). De plus, il peut y avoir des différences associées aux caractéristiques socioculturelles des répondants (Bussing, Koro-Ljungberg, Gary, Mason, & Garvan, 2005; Bussing, Schoenberg, & Perwien, 1998; Faraone et al., 2003; Hillemeier, Foster, Heinrichs, & Heier, 2007) auprès desquels les chercheurs demandent d’attester ou non la présence de différents critères diagnostiques du TDAH. Entre autres, on peut noter leur degré de connaissance et de familiarité avec les systèmes de classement des troubles mentaux, y compris les troubles neurodéveloppementaux (p. ex. le DSM) et leurs attitudes, pratiques et croyances culturelles envers les problèmes mentaux.
D’après plusieurs auteurs, la population générale identifierait davantage des comportements associés au TDAH par rapport aux personnes appartenant aux groupes culturels minoritaires. De plus, il se peut que les professionnels, qui jouent le rôle de répondants en raison de leurs caractéristiques socioculturelles, identifient mal les cas du TDAH chez les personnes issues de groupes culturels minoritaires et sont susceptibles de rapporter de faux positifs (Calhoun, 1975; Epstein, March, Conners, & Jackson, 1998) ou des faux négatifs (Evans, 2004). Il est toutefois fort intéressant de constater à travers la revue de la littérature scientifique que des études faites en utilisant les différents critères diagnostiques ou procédés méthodologiques arrivent souvent à des conclusions différentes, et cela, même si les études portent sur la même population d’ étude, vivant dans une même localité. Par contre, l’utilisation rigoureuse des mêmes critères diagnostiques ainsi que des procédés méthodologiques amène aux résultats très comparables même si les études ont été faites auprès des populations d’étude distinctes et ne vivant pas dans les mêmes régions géographiques (Buitelaar et al., 2006).
Connaissances et modèles explicatifs du TDAH
Plusieurs études ont démontré que les personnes appartenant aux groupes culturels minoritaires, comparées à la population générale, détiennent moins d’information au sujet du TDAH, c’est-à-dire sur ses causes, son évolution à travers le temps ainsi que sur ses traitements (Bussing, Schoenberg, & Perwien, 1998; Bussing, Schoenberg, Rogers, Zima, & Angus, 1998; Davison & Ford, 2001 ; McLeod, Fertes, Jensen, Pescosolido, & Martin, 2007). En effet, certaines parmi elles ne connaissent pas du tout ce qu’est le TDAH ou détiendraient plusieurs informations erronées par rapport à l’ avancée de la recherche scientifique sur le TDAH. À titre d’exemple, comparées à la population générale, plus de personnes appartenant aux groupes culturels minoritaires penseraient que (1) le TDAH peut être causé par de mauvaises habiletés parentales; ou (2) parce qu’on mange du sucre (59 % des minorités contre 30 % dans la population majoritaire) (Bussing, Gary, Mills, & Garvan, 2003; Bussing, Schoenberg et al., 1998); (3) que le TDAH n’est pas une problématique à long terme; (4) que la famille peut (elle-même) corriger certe problématique comme tant d’autres problèmes comportementaux; ou (5) que le traitement par les psycho stimulants pourrait mener à des problèmes d’abus ou de dépendance aux drogues (Bussing, Schoenberg et al., 1998; Miller et al., 2009).
D’autres études ont trouvé que les personnes appartenant aux groupes culturels minoritaires utilisent rarement des termes médicaux tels que le TDAH en présence des difficultés typiques associées par rapport à la population générale (Bussing, Schoenberg et al., 1998; Bussing, Zima et al., 2003). Le problème de manque d’information pertinente ne se limite pas au TDAH, mais concerne les autres maladies, tant physiques que mentales, tel que relevé par une étude sur les connaissances au sujet de la santé faite aux États-Unis en 2003 par Andrulis et Brach (2007). Ces auteurs ont notamment montré qu’un grand nombre des personnes appartenant aux groupes culturels minoritaires ne possèdent pas un niveau de connaissance jugé suffisant sur la santé; ce qui correspond à environ la moitié des participants à leur étude, comparé à seulement un quart des participants issus de la population générale. Ce manque d’information au sujet du TDAH et d’ autres sujets touchant la santé en général pourrait être expliqué en partie par le nombre de consultations très limité fait par ce groupe de la population auprès des professionnels de la santé et par l’absence de connectivité entre ce groupe et divers systèmes publics (Bussing et al., 2005). En plus du manque d’ information liée au TDAH (et à la santé en général), les membres de groupes culturels minoritaires, surtout les nouveaux immigrants, pourraient ne pas posséder de connaissances suffisantes sur le fonctionnement du système de santé physique et mentale (Arcia, Fernândez, laquez, Castillo, & Ruiz, 2004).
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