Les liens racinaires chez le pin gris

Les arbres ont toujours été considérés conune des entités discrètes et la compétition pour la lumière, 1 ‘eau et les nutriments est vue conune la plus importante force régissant la dynamique des peuplements forestiers. L’idée commune est que la seule maniére dont des arbres peuvent agir sur leurs congénères est de manière indirecte, en modifiant leur environnement commun. Il est reconnu que grâce à 1 ‘exsudation racinaire, aux mycorhizes, à la mort et à la perte d’organes (sénescence foliaire et racinaire, catastrophes naturelles, abandon des fruits et du pollen … ), les arbres peuvent modifier la composition du sol et permettre des transferts intra- et interspécifiques (Woods et Brock 1964). Il a cependant été découvert que les arbres pouvaient partager leur système racinaire et que de cette manière les arbres reliés pouvaient agir directement les uns sur les autres. Les exemples d’arbres reliés par leurs racines sont de plus en plus fréquents (Barie et al. 2008; Fraser et al. 2005, 2006, 2007; Külla et Lôhmus 1999). Les espèces conune le peuplier faux-tremble (Populw; tremuloides Michx) qui ont des mécanismes de régénération par drageonnement créent des peuplements où tous les arbres sont interconnectés (Jelinkova et al. 2009).

Lorsque des racines se rencontrent, il est possible qu’elles fusionnent et forment des « greffes racinaires ». Le fait que les racines continuent leur croissance radiale va engendrer une pression mécanique au point de contact. La croissance secondaire est stimulée autour de ce point de pression et une callosité se forme petit à petit (Bormann et Graham 1959). Cette pression peut causer des blessures et l’écorce peut finir par se rompre permettant ainsi que les cambiums des 2 racines (ou plus) soient en contact et fusionnent (Eis 1972). Selon Eis ( 1972) 1 ‘écorce se briserait au bout de la 2″m’ saison pour des racines de taille normale et au bout de 4 ans pour de plus grosses racines. Ainsi, l’établissement d’une continuité vasculaire est un mécanisme lent et complexe. Des greffes racma1res ont été observées chez plus de 150 espèces (Bormann 1966). Les greffes inter-spécifiques sont rares mais les greffes intra-arbre (autogreffes) et inter-arbres (greffes intra-spécifiques) sont particulièrement communes dans les espèces de pins de la zone tempérée comme : Pinus resinosa Ait., Pinus strobus L., et Pinus radiata D. Don (Arrnson et Van den Driessche 1959; Bormann 1966; Dosen et Iyer 1979; Horton 1969; Stone et Stone 1975; Wood et Bachelard 1970), mais généralement plus rares chez Pinus taeda L., Pinus elliotti Engelm. et Pinus contorta Douglas ex London (Fraser et al. 2005, 2006; Miller et Woods 1965; Parsons 1992; Schultz et Woods 1967). À ce jour, aucune étude n’avait relevé la présence de greffes racinaires chez le pin gris.

Facteurs favorisant les greffes

Du fait du faible nombre d’études dans le domaine, il est difficile de savorr exactement quels sont les facteurs régissant la formation de greffes racinaires. La présence de greffes pourrait être simplement due au hasard de rencontre des racines. Dans ce cas, tous les facteurs favorisant la densité racinaire ou les contacts seraient des facteurs influençant positivement la fréquence des greffes. Dans les sols secs, le ratio racine/tige est plus élevé mais les racines sont plus fines et dispersées dans un large volume (pour augmenter leurs chances de capture d’eau) ainsi les contacts racinaires y sont probablement plus rares, et les greffes devraient 1’être aussi. Si le sol est peu profond ou pierreux, les racines auraient une plus forte probabilité de rencontre, favorisant ainsi la formation de greffes (Adams 1940; Arrnson et V an den Driessche 1959; Bormann et Graham 1959; Eis 1972; Kozlowski et Cooley 1961; Kozlowski et al. 1991; Reynolds et Bloomberg 1982; Schultz et Woods 1967). Les sols sableux et pierreux sont plus abrasifs que les sols argileux; les frottements des racines les unes contre les autres engendrés par le balancement des arbres au vent devraient fragiliser l’écorce et favoriser sa rupture (Cook et Welch 1957; Kozlowski et Cooley 1961; LaRue 1934). De cette manière, les cambiums seraient plus aisément mis en contact et la fusion facilitée. Cependant, les processus d’établissement de la continuité vasculaire sont très délicats et la moindre perturbation pourrait également détruire ce travail (Graham et Bormann 1966; Kozlowski et Cooley 1961).

Si la formation de greffes est simplement due au hasard, il est cependant difficile d’expliquer pourquoi certaines espèces comme le pin rouge forment beaucoup de greffes (Horton 1969) alors que d’autres comme le mélèze laricin (Larix laricina), le frène noir (Fraxinus nigra) et le cerisier tardif (Prunus serotina) en forment peu ou pas (LaRue 1934). Comme les greffes interspécifiques sont rares, il semblerait aussi nécessaire que les arbres soient proches génétiquement pour pouvoir se greffer (Loehle et Jones 1990). D’ailleurs, le pin rouge est une essence réputée pour son uniformité génétique (Boys et al. 2005; Stone 1974). Eis (1972) a trouvé qu’à l’intérieur d’un groupe de 3 arbres ayant beaucoup de contact au niveau racinaire, seulement 2 de ces arbres était greffés ensemble alors que ni l’un ni l’autre n’était greffé au 3’èm’. On peut alors supposer que les 2 arbres greffés étaient plus proches génétiquement que le 3″m’. Il pourrait aussi exister des facteurs physiologiques favorisant (ou empêchant) la formation de greffes. En effet, certaines essences forestières comme le noyer noir d’Amérique (Juglans nigra) et le clavalier d’Amérique (Xanthoxylum americanum) ne formeraient pas de greffes car elles produiraient un inhibiteur chimique dans le sol qui ferait en sorte que les racines n’entreraient jamais en contact (Reinartz et Popp 1987).

Signification écologique des greffes

La signification écologique des greffes racmarres n’est pas encore connue. Dans beaucoup de cas, la théorie du hasard semble très probable mais il est possible que la formation de greffes soit un trait bénéfique pour les arbres afin d’être plus en adéquation avec leur milieu; cela augmenterait leurs chances de survie (Loehle et Jones 1990). D’un point de vue évolutif, cela constituerait un avantage pour la survie de l’espèce. En effet, dans les sites sujets au chablis, la formation de greffes racinaires contribuerait à la stabilité mécanique du peuplement en augmentant la résistance au vent (Basnet et al. 1993; Graham et Bormann 1966). Armsom et Van den Driessche (1959) ainsi que Dosen et Iyer (1979) ont trouvé que les peuplements éclaircis de pin rouge présentaient plus de greffes que les non-éclaircis, ce qui suggère que les greffes se formeraient en réponse à un stress mécanique par le vent.

Il n’existe pas de consensus sur le fait que les greffes aient une influence ou non sur la croissance ou la survie des arbres. Les recherches indiquent que les arbres greffés entre eux sont capables de partager des ressources conune des composés antibiotiques, de l’auxine, des hydrates de carbone, des herbicides, des minéraux, des spores de champignons et de 1 ‘eau (Bormann 1966; Fraser et al. 2006; Kuntz et Riker 1956; Stone et Stone 1975). Ainsi, il est probable que les greffes influencent la croissance des arbres connectés. Via ces liens, les arbres entretiendraient des relations de coopération ; les arbres greffés ne seraient donc pas strictement en compétition les uns avec les autres. Dans certains écosystèmes, il a été démontré que les mécanismes de facilitation entre les plantes importaient plus que les forces compétitrices (Fajardo et Mclntire 2007). Les arbres greffés réagiraient plus conune un groupe ou un super-arbre que conune des individus à part entiére (Bormann 1966). Une étude comparant la croissance radiale de sapin Douglas (Pseudotsuga Menziesii) greffés avec celle d’arbres non greffés (Walters 1963) n’a cependant pas trouvé d’influence des greffes racinaires sur la croissance individuelle des arbres. En revanche, il a été démontré que les peuplements d’arbres greffés avaient tendance à homogénéiser leur taille (Walters 1963). Il est donc probable que les arbres greffés font partie d’une « communauté » et qu’ils ne sont pas seulement en compétition pour les ressources.

Les greffes racinaires et l’aménagement sylvicole 

En sylviculture, des méthodes conune 1 ‘éclaircie et 1 ‘élagage sont beaucoup pratiquées pour augmenter le rendement et la productivité d’un peuplement. Le principe de ces techniques est qu’en éliminant les arbres (ou les tiges) les moins vigoureux, les individus restant auront de meilleures conditions environnementales (moins de compétition) et qu’ainsi ils pousseront au maximum de leur potentiel. Le problérne est que les résultats obtenus ne sont pas toujours ceux escomptés (Cayford et al. 1967; Day et Rudolph 1972; DeBell et al. 2002; Gingras et Favreau 1998; Harrington et Reukema 1983; Staebler 1956; Vincent et al. 2009). Le fait que les arbres fassent des greffes pourrait expliquer les incohérences obtenues. Conune les arbres inter-reliés sont capables de partager des ressources, si l’on coupe un individu greffé à un autre, la souche et le systérne racinaire de 1 ‘arbre coupé pourraient survivre si l’autre arbre fournit l’énergie nécessaire au maintien des cellules vivantes (Fraser et al. 2007). Bormann (1961) a trouvé entre 3 et 44% de souches vivantes dans des peuplements de pin blanc coupés 10 ans auparavant (Bormann 1961). Stone (1974) a reporté que des pins rouges annelés pouvaient survivre jusqu’à au moins 18 ans grâce aux transferts via les greffes racinaires d’arbres intacts. Ainsi les cas de survie de souches vivantes ne sont pas anecdotiques  et l’influence des greffes racinaires semble de plus en plus évidente (Atwood et al. 2009). Mais le fait de fournir des substances et/ou de l’eau sans rien recevoir en contre partie ne sera pas profitable pour le donneur, car il aura moins de ressources pour ses propres besoins (Eis 1972). Il verra probablement sa croissance diminuer voire stagner.

Table des matières

CHAPITRE I INTRODUCTION
1.1 Généralités
1.2 Facteurs favorisant les greffes
1.3 Signification écologique des greffes
1.4 Les greffes racinaires et l’aménagement sylvicole
1.5 Objectifs et structure de la thèse
CHAPITRE II FREQUENCY OF ROOT GRAFTING IN NATURALL Y AND ARTIFICIALLY REGENERATED STANDS OF PINUS BANKSIANA: INFLUENCE OF SITES CHARACTERISTICS
2.1 Abstract
2.2 Introduction
2.3 Methods and material
2.3.1 Study sites
2.3.2 Laboratory work
2.3.3 Statistical analysis
2.4 Results
2.5 Discussion
CHAPITRE III MOLECULAR ANAL YSIS OF NATURAL ROOT GRAFTING IN JACK PINE (PINUS BANKSIANA)
3.1 Abstract
3.2 Introduction
3.3 Methods and rnaterials
3.3.1 Study area
3.3.2 Field sarnpling
3.3.3 Genetic analysis
3.3.4 Data analysis
Microsatellite diversity and genetic analysis
Individual genetic analysis
3.4 Results
3.4.1 Genetic diversity of Pinus banksiana stands
3.4.2 Individual by individual genetic analysis
3.5 Discussion
CHAPITRE IV DOES NATURAL ROOT GRAFTING AFFECT GROWTH OF JACK PINE (PINUS BANKSIANA)?
4.1 Abstract
4.2 Introduction
4.2.1 Field and laboratory work
4.2.2 Statistical analysis
4.3 Results
4.3.1 Natural stands
4.3.1 Plantations
4.4 Discussion
CHAPITRE V EFFECT OF NATURAL ROOT GRAFTING ON GROWTH RESPONSE OF JACK PINE (PJNUS BANKSIANA) AFTER COMMERCIAL THINNING
5.1 Abstract
5.2 Introduction
5.3 Methods and material
5.3.1 Study sites
5.3.2 Field work
5.3.3 Laboratory work
5.3.4 Statistical analysis
5.4 Results
5.5 Discusssion
CHAPITRE VI DISCUSSION

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