Le domaine du pronostic connait une forte croissance et un intérêt de plus en plus fort depuis déjà plusieurs années (Venkatasubramanian, 2005). L’attention portée à ce domaine s’est d’autant plus accrue avec l’arrivée des objets connectés (internet of things (IoT)) dans le milieu industriel. Encore plus récemment, avec le déploiement de la technologie de télécommunication 5G, le nombre d’applications de suivi en temps réel devrait faire bondir les opportunités en pronostic.
Historiquement, le pronostic était déjà très répandu dans les domaines de l’industrie tels que : l’aéronautique, la médecine, l’électronique ou encore l’énergie; des secteurs d’activité régis à la fois par de fortes contraintes réglementaires de sûreté, et des intérêts économiques importants. Pour rappel, le pronostic (en industrie) consiste à prédire l’état de dégradation futur d’un composant ou d’un système et donc d’en déduire sa durée de vie résiduelle (le délai avant qu’il ne soit défaillant) (Lebold & Thurston, 2001; Muller, Suhner & Iung, 2008). Le besoin d’une telle démarche est justifié par la mise en œuvre de politiques de maintenance ou de processus décisionnels qui sont basés sur la prise en compte de l’état actuel et passé d’un composant, de l’environnement dans lequel il évolue, et éventuellement des conditions futures d’opération de celui-ci. Par l’adoption de cette approche, les industriels montrent leur volonté de se défaire le plus possible des approches de maintenance classiques comme la systématique (planifiée).
C’est d’ailleurs dans cette optique que s’inscrit le présent projet de recherche, initié par deux grands acteurs de l’énergie : Hydro-Québec (QC, Canada) et Electricité De France (France). En particulier, ces derniers s’intéressent à la prévision de dégradation des roues de turbines hydroélectriques. En effet, ces composants font partie d’installations stratégiques, en particulier au Québec dont l’électricité est à 99% (60% à l’échelle du Canada) d’origine hydroélectrique (contre environ 11% pour la France) (ACH, 2015). Avec des puissances installées respectives de 78 000 MW (ACH, 2016) et 25 000 MW (EDF, 2019), le Canada et la France possèdent un parc de machines hydrauliques conséquent dont la maintenance représente un enjeu économique fort.
En effet, la relative flexibilité d’opération des centrales hydroélectriques, offerte notamment par les réservoirs d’eau de grandes capacités (encore plus vrai pour le Canada), leur permet de lisser la production d’électricité non constante des autres installations. Une pression de plus en plus forte est exercée sur le parc de machines hydroélectriques, due notamment à l’augmentation des parts d’énergies renouvelables de type solaire et éolien et à un marché de l’énergie de plus en plus concurrentiel (en France, la production d’électricité d’appoint est assurée par les centrales hydrauliques notamment, en raison du fonctionnement en base des installations nucléaires d’où provient 70% de l’énergie totale produite). Ceci résulte en des sollicitations plus fréquentes des groupes turbine/alternateur (nombre de démarrages et arrêts en augmentation) et en une utilisation en dehors des plages nominales de fonctionnement menant à une dégradation prématurée des équipements, notamment causée par la cavitation érosive.
Dans ce contexte, les projets THAUR (Turbines Hydrauliques Adaptées à leur Utilisation Réelle) et AMPH (Asset Management pour l’Hydraulique) ont vu le jour au sein de l’Institut de Recherche d’Hydro Québec (IREQ) et EDF R&D respectivement, afin de pallier les problèmes de maintenance et de limiter les indisponibilités des machines. Parmi les nombreux objectifs de ces deux projets, on peut citer les suivants :
– Réduire la durée des arrêts de groupe turbine/alternateur,
– Réduire le coût lié aux opérations de réfection des machines,
– Réduire les temps de réfection et ainsi les pertes d’exploitation.
Érosion par cavitation
Les dommages engendrés par la cavitation sont largement constatés dans de nombreux domaines de l’ingénierie (d’Agostino & Salvetti, 2008; Jian, Petkovšek, Houlin, Širok & Dular, 2015; Kumar & Saini, 2010). Les experts en cavitation s’accordent à dire que deux mécanismes de dégradation entrent en jeu : le premier consiste en la formation d’un micro-jet violent lors de l’implosion de la bulle de vapeur. Ce micro-jet, avec une vitesse évaluée jusqu’à 100 m/s (Franc, Riondet, Karimi & Chahine, 2012), entraîne très localement à la surface du matériau une contrainte élevée résultant en la formation de trous (cette contrainte excédant la contrainte à la rupture du matériau). Le deuxième repose sur l’onde de choc de large amplitude générée lors de l’implosion de la bulle (d’Agostino & Salvetti, 2008).
Bien qu’intensément étudiée (Crum, 1995; Jian et al., 2015; Plastre et al., 2019), l’érosion par cavitation dans les turbines à réaction, comme les Francis, semble inévitable selon Kumar & Saini (2010). Un constat similaire est dressé par Peters, Lantermann & el Moctar (2018) à propos des hélices de bateaux, plus largement répandues. En effet, bien que conçues pour fonctionner sans faire apparaître de cavitation, les turbines sont de plus en plus exploitées en dehors des régions d’opération nominales . De ce fait, même si certaines études s’intéressent à changer la géométrie des roues de turbines afin de les adapter à leur utilisation réelle (Celebioglu et al., 2017; Yao, Xiao, Wang & Yang, 2015), la plupart cherchent à prédire les zones de manifestation de la cavitation et éventuellement leur intensité (Krumenacker, Fortes-Patella & Archer, 2014). Cependant, le phénomène, complexe, est à l’interface entre des écoulements instables et le comportement du matériau exposé. Cette combinaison rend difficiles les études en mécanique des fluides même pour des profils hydrodynamiques simples. Par ailleurs, les études récentes sur le sujet montrent encore des difficultés à prédire quantitativement l’intensité de la cavitation érosive (Biluš, Hočevar, Dular & Lešnik, 2020; Gohil & Saini, 2015), alors que qualitativement les résultats semblent prometteurs.
Ainsi, malgré la relative maturité des modèles en mécanique des fluides et des capacités de puissance de calcul accrues, la prédiction de l’érosion par cavitation à l’aide de modèles physiques n’est pas aboutie. Pour ces raisons, nous proposons d’étudier les modèles probabilistes basés sur les données de dégradation mesurées.
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