La définition des médias socionumériques
Définir ce que sont les médias socionumériques dans un contexte où ils évoluent rapidement peut être un défi de taille. Carr et Hayes (2015) ont tenté de réaliser ce défi en élaborant une définition qui restera, selon eux, actuelle et fonctionnelle durant vingt ans. Ils expliquent que les médias socionumériques sont généralement basés sur Internet. Ceci donne l’opportunité aux utilisateurs et aux utilisatrices d’ interagir avec d’autres gens en temps réel ou non, ce qui veut dire que même si une personne est hors ligne, il est possible de communiquer avec elle. Le site du média socionumérique et les profils des utilisateurs et utilisatrices restent ainsi accessibles. Le ou la destinataire verra le message et pourra y répondre, ou y réagir, au moment choisi, lorsqu ‘ il ou elle se connectera sur Internet. Ces échanges se déroulent avec de petits ou de larges auditoires et permettent d’ interagir. Ces interactions apportent des bénéfices ou créent un sentiment de satisfaction chez les utilisateurs et les utilisatrices. Ceux-ci entrent dans un cycle sans fin (Dean, 2010) où ce sentiment sera sans cesse recherché, notamment en aimant des publications, en les commentant, en suivant d’autres personnes (ou en se faisant suivre par de nouveaux publics) ou en suscitant des réactions chez ces dernières.
Pour cette raison, Dean (2010) nomme les médias socionumériques des réseaux affectifs3. Les médias socionumériques donnent la possibilité de créer un profil personnel public ou semi-public. Celui-ci s’ insère dans un système où les abonné.e.s sont connectés entre eux, ce que Burns (2017) nomme les réseaux sociaux4 • Les abonné.e.s peuvent naviguer et observer ces réseaux sociaux qui sont créés par les connexions (boyd5 et Ellison, 2007). Cela signifie que les utilisateurs et les utilisatrices des médias socionumériques se créent un réseau social et peuvent explorer les profils des personnes qui le composent. De plus, ils et elles peuvent partager du contenu à ce réseau social à propos de leur vie ordinaire par des textes, des photos ou des vidéos. Certains et certaines membres de ce réseau sont parfois à des kilomètres de distance et répondent ou non à ces publications (Burns, 2017). Cela correspond à ce que Carr et Hayes (2015) nomment masspersonal communication, c’est-à-dire que les médias socionumériques sont des outils de communication de masse d’informations personnelles. Cette communication peut se dérouler d’individu à individu, d’individu à auditoire, d’auditoire à individu ou d’auditoire à auditoire. li est difficile d’illustrer l’auditoire d’un utilisateur, d’une utilisatrice ou d’une publication, particulièrement sur Facebook et Twitter, dans la mesure où celui-ci peut être sans limites. Marwick et boyd, (2010) affirment que chaque utilisateur et chaque utilisatrice construit un auditoire imaginé6 pour cette raison. Ne sachant pas si leur auditoire est un large public, quelques personnes, ou peut-être même inexistant, l’auteur ou l’autrice du message le construit ou l’ imagine. Pour reprendre le concept des réseaux affectifs, les auditoires imaginés donnent un sentiment de communauté, ce que Dean (2010) nomme une communauté sans communauté.
acebook est le média socionumérique le plus utilisé mondialement (Burns, 2017). Qualman (2015) illustre cette idée en expliquant que « [p]utting the scale of Facebook alone into perspective, Facebook users total more than the population of any country, including China and India » (Qualman, 2015, cité dans Burns, 2017, p. 3). Facebook est créé en 2004 pour le corps étudiant de Harvard, puis popularisé pour le public général en 2006. En 2016, il fait encore partie des applications mobiles les plus téléchargées mondialement, avec entre autres Snapchat, Instagram et Y ouTube. Facebook a développé un modèle d’affaires où les revenus sont tirés de la publicité afin de conserver la gratuité de la plateforme. Il est possible d’y suivre les fils d’ actualité d’organisations ou d’ autres personnes, mais aussi de suivre l’ actualité médiatique. Avec ce média socionumérique, les membres peuvent donner un accès à leur vie privée en temps réel par la fonction « en direct », en publiant une vidéo en direct à propos d’un événement de la vie quotidienne. Quant aux organisations, elles peuvent par exemple faire de la promotion ou partager des moments lors de spectacles. De manière plus privée, les utilisateurs et les utilisatrices de Facebook ont la possibilité de discuter entre eux vis Messenger. Le plus grand avantage de cette application est que les personnes n’ayant pas de compte Facebook peuvent aussi l’ utiliser (Burns, 2017). Enfin, l’ Internet et l’ utilisation des technologies qui y sont liées (comme les médias socionumériques) créent une nouvelle sphère publique où les rôles de la société dans l’arène politique changent (Papacharissi, 2002). Latzko-Toth, Pastinelli et Gallant (2017) expliquent « que plusieurs mouvements sociaux ont pu prendre leur essor en s’appropriant les médias sociaux» (p. 47). C’est pourquoi nous observerons les rôles des médias socionumériques dans la création ou l’ expansion de mouvements sociaux ou de groupes d’ intérêt dans la prochaine section.
Le rôle des médias socionumériques dans l’expansion des mouvements sociaux et des groupes d’intérêt Pour les personnes ayant accès à Internet, les médias socionumériques sont des ressources importantes pour la participation politique. Ces ressources ne garantissent par contre en rien cette participation (Papacharissi, 2002). Des milliers de personnes étant joignables par les médias socionumériques, les activistes ne dépendent plus des médias de masse traditionnels (Poell et Van Dijck, 2015). Par exemple, Facebook est utilisé par certains mouvements sociaux dans la planification de manifestations, comme celles contre le G20 à Toronto (Poell, 2014). Latzko-Toth et ses collaboratrices (2017) ont identifié deux fonctionnalités utilisées sur Facebook lors des manifestations étudiantes de 2012 au Québec : le fil d’ information et la coordination. Or, Internet étant fragmenté, les médias socionumériques rassemblent les personnes ayant des idées semblables. Les groupes d’intérêt, en se focalisant sur certaines idéologies, attirent des gens qui partagent les mêmes idées, ce qui segmente les publics (Papacharissi, 2002). C’ est ce que Poell et Van Dijck (2015) nomment la polarisation. Pour se faire une place dans cet univers, les groupes ont recours à différentes stratégies d’utilisation des technologies de l’ information, selon leurs valeurs et les parties prenantes avec lesquelles ils sont en conflits (Agarwal, Barthel, Rost, Borning, Bennett et Johnson, 2014). Cette polarisation amène les personnes ayant des idées communes à se rejoindre. Ainsi, les groupes d’ intérêt n’ont plus à se présenter par l’ intermédiaire des médias traditionnels, ne dépendent plus d’eux et contrôlent leur façon de se présenter. Le cadrage n’ étant plus modifié par un regard extérieur (les médias), les groupes d’ intérêt n’ont plus de compromis à faire dans les messages qu’ ils lancent aux différents publics (Poeil et Van Dijck, 2015). Cela facilite la communication activiste (Poeil, 2014).
Plusieurs mouvements sociaux ou groupes d’ intérêt ont ainsi vu le jour et ont su prendre de l’expansion en utilisant les médias socionumériques pour leurs communications activistes. Notamment, les protestations sur les médias socionumériques durant le sommet du G20 en 2010 à Toronto ont été étudiées par Poeil (2014). Il a entre autres démontré que chaque média a des fonctions différentes pour les mouvements sociaux. Par exemple, Twitter a été utilisé pour suivre l’actualité en temps réel; YouTube pour héberger des vidéos auxquelles les autres médias socionumériques renvoyaient à l’aide d’ hyperliens; Facebook pour planifier et organiser les protestations à l’ aide de groupes créés des mois à l’avance. En bref, les médias socionumériques accélèrent les communications activistes (Poell, 2014). Dans un autre ordre d’ idées, la page Facebook égyptienne Kullena Khaled Said, créée lors du printemps arabe, a été étudiée par Poeil, Abdulla, Rieder, Woltering et Zack (2015). Ceux-ci ont expliqué la différence entre, d’ une part, les leadeuses et les leadeurs de mouvements sociaux traditionnels et, d’ autre part, les leadeuses et les 1eadeurs connectés7 . Les premiers ont tendance à utiliser les médias de masse traditionnels pour propager leurs messages. Généralement des célébrités, les leadeuses et les leadeurs traditionnels font partie d’une organisation officielle.
Pour mobiliser les troupes qui les suivent sous une identité collective, ils proclament et commandent les actions à faire. Pour ce qui est des leadeuses et des leadeurs connectés, à l’ opposé, ils ont tendance à rester anonymes et sont critiqués s’ ils deviennent des personnages publics. Leur leadeurship se manifeste aussi différemment. En effet, ils utilisent les médias socionumériques pour inviter les gens à poser des actions, mais ils y participent aussi. Leur manière de promouvoir leur mouvement se fait sous forme d’image de marque et de marketing. Internet offre ainsi l’ opportunité aux leadeuses et leadeurs de rejoindre un plus grand nombre de personnes, sans passer par les médias traditionnels. Par ces nouveaux moyens, de nouvelles générations d’activistes ont cherché à s’ éloigner des médias de masse et de l’ information spectacle, et de se présenter comme un mouvement sans leadeurship, le but étant de démontrer que le mouvement est par et pour le peuple. Ces mouvements qui opèrent en ligne peuvent se transposer hors ligne. Par exemple, un enregistrement vidéo publié en 2009 contre le président du Guatemala a entraîné la création de plusieurs pages et groupes Facebook dans le but de militer contre le politicien. Harlow (2011) a étudié deux de ces pages. Plusieurs personnes suivant ces pages ont uni leurs forces et ont transféré le mouvement hors ligne, dans la vie réelle. Pour cette autrice, les possibilités d’interactions sur Facebook (aimer ou commenter des publications) créent une identité commune qui motive les militants et les militantes à se mobiliser hors ligne. Ce sont 50000 personnes qui ont ainsi participé à la première manifestation contre le président du Guatemala en 2009. Pour les organisateurs et les organisatrices des manifestations, sans Facebook le mouvement n’aurait pas eu la même ampleur. Leurs actions en ligne avaient pour but de motiver les autres à s’impliquer hors ligne, un peu comme les leadeuses et les leadeurs connectés vus précédemment.
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