Les définitions lexicographiques
Pour le substantif harcèlement, le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) renvoie au verbe harceler puisqu’il en est l’action. Le verbe harceler est défini comme le fait de 2. Harceler qqn a) Fatiguer quelqu’un par des demandes, des questions, des prières, des sollicitations, des attentions réitérées. Il faut se rendre à l’entrée de l’adjectif sexuel pour qu’il soit question de la locution harcèlement sexuel. Cette dernière s’y trouve côte à côte avec celle de l’asservissement sexuel et toutes deux font référence au «[fJait d’être, pour la femme, dominée par l’homme7 , en butte à ses assiduités importunes, sur le plan des rapports physiques ». Ces deux locutions sont accompagnées de la marque « [d]ans le lang[age] des féministes », rarement rencontrée dans les dictionnaires. Dans Le Grand Robert de la langue française (GRlf) , à l’entrée harcèlement, plusieurs types de harcèlement sont définis, dont le harcèlement sexuel: 2 Le fait de harceler (psychologiquement). – (Calque de l’ang!. sexual harassment). Harcèlement sexuel : fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité ou d’user de pression pour obtenir un acte de nature sexuelle (délit). – Harcèlement de rue : fait d’aborder qqn avec insistance ou de le harceler verbalement dans un espace public. – (1998). Harcèlement moral : conduite abusive (humiliations, menaces … ) exercée de manière insidieuse et répétée par une personne sur une autre, pour la déstabiliser (au travail, dans un couple … ). « Le Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien », ouvrage de M.F. Hirigoyen (1998). Harcèlement moral comme cause de divorce.
Harcèlement moral au travaiL Harcèlement professionneL Il en va de même pour les dictionnaires Usito et Larousse qui ont des sous-entrées pour harcèlement sexuel et harcèlement psychologique ou harcèlement moral: – harcèlement sexuel : comportement à connotation sexuelle, se manifestant par des paroles, des actes ou des gestes, répétés, hostiles ou non désirés, en vue d’obtenir des faveurs sexuelles ou afin de ridiculiser les caractéristiques sexuelles d’une personne ou de l’humilier, en portant atteinte à sa dignité ou à son intégrité physique ou psychologique.Q/ C harcèlement psychologique ou FIE harcèlement moral : conduite vexatoire et répétée, se manifestant, entre autres, par des paroles, des gestes ou des actes, répétés, hostiles ou non désirés, visant à porter atteinte à la dignité ou à l’ intégrité physique ou psychologique d’une autre personne (subordonné, collègue, etc.). (Usito) Action de harceler : Attaques de harcèlement. Harcèlement moral, agissements malveillants et répétés à l’égard d’un subordonné ou d’un collègue, en vue de dégrader ses conditions de travail et de le déstabiliser. Harcèlement sexuel, fait d’abuser de l’autorité conférée par des fonctions de travail pour tenter d’obtenir une faveur sexuelle par contrainte, ordre ou pression. (Larousse) En comparant ces différentes définitions, il est possible de faire certains recoupements en ce qUI concerne les traits définitoires du harcèlement qu’elles contiennent Le TLFi,
Le GRlf et Usito s’entendent sur le caractère répétitif du harcèlement, alors que le Larousse fournit ce caractère pour le harcèlement moral, mais est muet à ce sujet pour le harcèlement sexuel. La définition fournie par le Larousse se distingue également de celles des autres ouvrages de référence puisqu’elle inscrit le harcèlement sexuel dans un contexte de travail tout en y ajoutant un aspect hiérarchique en précisant qu’il s’agit d’un abus d’ autorité. Le caractère hiérarchique est aussi présent dans les définitions d’Usito et du TLFi. Dans la définition du GRlf, il est aussi question du contexte professionnel, mais simplement en tant que contexte possible parmi d’autres (<< Harcèlement moral au travail. Harcèlement professionnel. »). Toutes les définitions font également état du caractère non désiré du harcèlement sexuel en ayant recours à différentes formulations (<< non désirés », «imposer », «par contrainte, ordre ou pression»). Il est aussi question de l’atteinte à la dignité de la personne harcelée dans les définitions du GRlf et d’Usito. Nous considérons l’atteinte à la dignité comme une manifestation du caractère vexatoires. Certaines précisions se dégagent aussi des différentes défmitions, que ce soit quant aux termes utilisés pour nommer les actes qualifiés de harcèlement sexuel, aux caractéristiques de la victime ou encore aux objectifs prêtés au harceleur, sans qu’il ne s’agisse à proprement parler de traits définitoires
Les études en sciences sociales
Les chercheurs en sciences sociales s’ intéressent autant au phénomène du harcèlement sexuel qu’à ses conséquences sur les victimes ou encore à la façon dont les situations harcelantes sont perçues par différents groupes. Chahraoui (2015) s’intéresse aux conséquences psychologiques du harcèlement sexuel sur la victime comme les traumatismes entraînant la destruction de la personne et une désorganisation tant de la personnalité que de la pensée, alors que MacKinnon (1979) étudie les répercussions sur la situation financière, légale, économique et psychologique de la victime. Dans son ouvrage phare en matière de harcèlement, la psychiatre Marie-France Hirigoyen (2003) brosse un portrait du harcèlement moral à travers des exemples cliniques dans les sphères du travail, de la famille et du couple. Parmi les différents types de harcèlement moral, le harcèlement sexuel est dépeint comme celui dont il est le plus souvent question tant dans les médias que dans les milieux de travail. Hirigoyen dresse une liste des différents types de harcèlement sexuel: harcèlement de genre, comportement séducteur, chantage sexuel, attention sexuelle non désirée, imposition sexuelle et assaut sexuel. En contexte de travail, il est possible de distinguer deux formes principales de harcèlement sexuel: le harcèlement quid pro quo – aussi qualifié de harcèlement donnant-donnant ou de chantage au travail- et le «harcèlement résultant du milieu de travail hostile» (décision Dhawan, p. 179 ) Le harcèlement quid pro quo survient lorsqu’une personne est sexuellement sollicitée soit contre la promesse d’une récompense, soit sous la menace de conséquences négatives (Dillon, Adair et Brase, 2015 ; Frazier, Cochran et OIson, 1995).
Le regard juridique
La clarté des définitions juridiques contenues dans des lois ou des politiques institutionnelles revêt une grande importance. À cet égard, dans sa revue des luttes féministes ayant mené à la reconnaissance législative du harcèlement sexuel, Le Magueresse évoque que « [l]’efficacité d’une loi dépend, d’une part, de la qualité de sa rédaction [ .. . ] et, d’autre part, de sa réception par les acteurs et actrices de la chaîne pénale (du dépôt de plainte au jugement) }) (Le Magueresse, 2014, p. 128). Le cas de l’abrogation, en 2012, de l’article 222-33 du Code pénal français 10 par le Conseil constitutionnel sous prétexte qu’ il « n’ était pas suffisamment « précis pour que l’on sache ce que l’on peut faire ou ne pas faire » }) (Le Magueresse, 2014, p. 132) le montre bien. Cette abrogation a eu pour effet d’annuler les procédures en cours qui évoquaient cet article, allant ainsi à l’encontre des droits fondamentaux des plaignants (Le Magueresse, 2014). Si la revue de Le Magueresse (2014) permet de cerner l’ importance de l’adoption d’une définition complète et précise à l’intérieur des textes de loi en général, elle porte plus spécifiquement sur la législation française.
Or, il importe de faire une distinction entre la France et le Canada sur le plan juridique. D’une part, parce que dans le premier cas, il s’agit d’une juridiction de droit civil alors que, dans le second, il s’agit d’une juridiction mixte où, bien que la province du Québec soit de tradition civiliste en matière de droit privé, la common law s’applique en droit pénal dans l’ensemble du pays. D’autre part, parce que le harcèlement sexuel est un délit sanctionné au Code pénal français (Le Magueresse, 2014), alors qu’en droit canadien, il est cantonné au droit du travail (Lippel et Demers, 2000). Pour notre part, nous nous en tiendrons au harcèlement en droit canadien, sur lequel portent plusieurs travaux. Ainsi, Santerre (2013) s’est intéressée au fouillis jurisprudentiel entourant le concept de harcèlement criminel, sans se pencher précisément sur le harcèlement sexuel.
Drapeau (1991) brosse pour sa part un portrait des différentes définitions du harcèlement sexuel présentes dans la jurisprudence et les législations canadiennes, à la suite de quoi il propose la définition synthèse suivante: toute conduite à connotation sexuelle, non désirée, tant verbale que physique, généralement répétée, de nature à causer un effet défavorable sur le milieu de travail ou d’études de la victime, à entraîner des conséquences préjudiciables en matière d’emploi ou d ‘études ou à porter atteinte à l’intégrité physique ou psychologique de la personne ou à sa dignité (Drapeau, 1991 , p. 86-87). Or, le droit n’est pas statique et d’autres définitions sont apparues dans le paysage juridique québécois depuis la synthèse de Drapeau. Le premier changement majeur est l’ajout des articles 81 .18 et suivants de la Loi sur les normes du travaille 1 cr juin 200411 , portant sur le harcèlement psychologiquel 2 , qui inclut le harcèlement sexuel. Plusieurs auteurs se sont alors penchés sur l’application de l’article 8l.18, et donc sur le harcèlement psychologique (Bourgault, 2006; Cliche et al., 2005 ; Lippel, 2005). La Loi sur les normes du travail a de nouveau été modifiée en juin 2018, avec l’ajout d’une précision à l’article 8l.18, concernant le harcèlement sexuel13 : « Pour plus de précision, le harcèlement psychologique comprend une telle conduite lorsqu’elle se manifeste par de telles paroles, de tels actes ou de tels gestes à caractère sexuel 14 . »
En 2015, les Forces années canadiennes (FAC) ont commandé un examen de la situation des inconduites sexuelles au sein de leur organisation (Deschamps, 2015). L’examinatrice arrive à la conclusion que la définition contenue dans la politique interne des F AC est trop restrictive, ce qui empêche la qualification d’actes qui seraient considérés comme étant du harcèlement sexuel à l’extérieur des F AC. Selon la politique des F AC faisant l’objet de l’examen, il faut que les cinq critères ci-dessous soient remplis avant que l’on puisse conclure au harcèlement : 1) le comportement doit être inopportun ; 2) le comportement doit être adressé à une ou plusieurs personnes ; 3) le comportement doit être injurieux pour une ou plusieurs personnes ; 4) l’accusé devait savoir ou aurait raisonnablement dû savoir que le comportement pouvait offenser ou causer préjudice ; 5) le comportement doit avoir eu lieu en milieu de travail. (Deschamps, 2015, p. 36) Cette définition est plus restrictive que celle prévue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Janzen c. Platy Enterprises Ltd. dans la mesure où elle comporte un plus grand nombre de critères 15. Qui plus est, le seuil des critères prévus y est également plus élevé. Cette définition trop restreinte alimente la perception selon laquelle les F AC ne se préoccupent pas des situations d’inconduites sexuelles
Résumé |