Disparités des points de vue de la gouvernance et du système politique

Théorie de la convergence

Pour comprendre ce qu’on entend par ‘ théorie de la convergence’ et les déterminants et mécanismes qui sont responsables de la convergence, nous allons présenter les auteurs influents qui s’ inscrivent dans ce courant de pensée. De ce fait, il est 27 incontournable de citer DiMaggio et Powell (1983) et Scott (1995) en se référant à leurs travaux qui s’inscrivent largement dans la théorie néo-institutionnelle. La théorie néo-institutionnelle s’efforce d’expliquer l’influence de l’environnement institutionnel sur les organisations. En d’autres mots, cette théorie met l’accent sur le poids des institutions et leur impact sur les professions, structures et pratiques corporatives, au-delà des forces de marché. Une des oeuvres majeures à mettre l’accent sur la relation ‘entreprise – environnement’ externe en théorie organisationnelle est sans conteste celle de DiMaggio et Powell (1983) sur la nouvelle théorie institutionnelle, en particulier l’isomorphisme institutionnel (Mizruchi & Fein, 1999).

Les défenseurs de cette théorie affirment que le comportement organisationnel résulte, en plus de l’influence des forces sociétales (institutions), d’une influence des organisations entre-elles, et dont l’ensemble agit comme source de pression qui affecte et contraint le comportement des acteurs économiques au sein d’ un milieu donné. Il en découle l’apparition d’un phénomène d’isomorphisme des organisations, c’est-à-dire une homogénéisation des comportements au sein d’un même domaine où les organisations changent et s’adaptent en vue d’atteindre une certaine légitimité et conformité institutionnelle (Lounsbury & Zhao, 2013). Autrement dit, plus précisément, selon DiMaggio et Powell (1983) les entreprises tendent à s’homogénéiser dans leurs formes et pratiques au fil du temps, ce qui les rend de plus en plus similaires les unes aux autres. Ce phénomène est un processus en deux étapes: en premier se produit la structuration des entreprises dans des champs organisationnels comme conséquence de la rationalisation et bureaucratisation des activités qui sont induites par l’État, les professions et la concurrence. Ensuite, il s’ensuit systématiquement un phénomène d’homogénéisation des comportements des acteurs d’ un même champ organisationnel où les entreprises peu à peu changent et adaptent leurs structure, objectifs, culture corporative et mission, devenant isomorphes les unes aux autres.

Les poids de l’État, des milieux professionnels et de la concurrence3 affectent et dictent l’environnement dans lequel évoluent les entreprises qui sont obligées d’y trouver une légitimité institutionnelle et une conformité sociale pour assurer leur intégration. Elles se soumettent ainsi aux règles institutionnelles en réponse aux incitations et sanctions des institutions (DiMaggio et Powell, 1983). La survie des entreprises ne dépend donc pas simplement de leur capacité à intégrer de nouveaux marchés, atteindre leur clientèle cible ou encore se procurer les ressources nécessaires pour leur activité économique, elle dépend aussi inévitablement de leur capacité à se conformer aux système et environnement en répondant aux attentes institutionnelles de légitimité. En somme, la rationalisation des agents économiques est la force motrice vers l’émergence et la structuration de champs organisationnels, qui ensuite poussent les entreprises à suivre des pratiques d’affaires similaires d’un milieu donné. Par champ organisationnel, on entend un groupe particulier d’entreprises qui se distinguent par leurs caractéristiques communes: mêmes fournisseurs ou consommateurs clés, type d’activité ou industrie commune.

Elles ont également des produits et services offerts semblables ou encore des agences régulatrices qui les contrôlent, etc. – chacun formant un domaine reconnu de la vie institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983). Avec le temps, les entreprises convergent ensemble dans des champs organisationnels qui leur correspondent, s’homogénéisant ainsi petit à petit en partageant des pratiques et des formes d’organisations similaires. Les nouveaux arrivants doivent s’adapter au champ de leur activité pour y trouver leur place en se conformant au système préétabli. Cette homogénéisation des entreprises correspond au phénomène d’isomorphisme institutionnel où les entreprises modifient leurs caractéristiques organisationnelles en vue d’une compatibilité avec leur environnement d’évolution et les différentes institutions qui y sont présentes (DiMaggio et Powell, 1983). Karlsson (2008) décrit l’isomorphisme institutionnel comme un processus qui permet aux entreprises de gagner en conformité face aux attentes sociales et aux pratiques prises comme acquises.

Théorie de la divergence

Il n’existe pas qu’un effet de convergence entre les entreprises, notamment dans leur comportement face à l’environnement, comme l’observent aussi Jamali et Neville (20 Il) et Labelle et al. (2015) dans leurs études. Il peut, à l’ inverse, se produire un phénomène opposé, celui de divergence. La thèse de la divergence est construite sur un ensemble d’éléments que sont les particularités nationales; elles forment concrètement l’ identité d’une nation, rendant un pays unique et dissociable des autres. Ces particularités sont le type de capitalisme en place (Matten & Moon, 2008), le système de gouvernance national (Hall & Soskice, 2002), la structure et style politique, la structure sociale, la culture (normes, traditions, valeurs), le niveau d’engagement envers le volontarisme, le système éducatif (Igalens, Déjean & El Akremi, 2008), le rôle des entreprises et des organisations non-gouvernementales, les attentes envers les leaders, et la tradition historique ainsi que le développement de la gouvernance sociétale (Albareda, Lozano & Ysa, 2007; Moon & Habisch, 2003). Ces aspects influencent l’agenda durable des entreprises et affectent leurs approches socio-environnementales (Roome, 2005). Comme le suggèrent Ghorra-Gobin et Azuelos (2015), les phénomènes de mondialisation et globalisation des échanges, bien qu’engendrant des mutations considérables à l’échelle de chaque pays, ne convergent pas vers un modèle capitaliste unique. Au contraire il subsiste une diversification institutionnelle très importante des économies, notamment portée par des types de capitalisme différents. Il existe aussi plusieurs formes d’économie-politiques qui génèrent des différences systématiques dans la stratégie des entreprises (Hall & Soskice, 2002). L’approche d’Hall et Soskice (2002) est une analyse de la variété des capitalismes qui explique comment le type d’économie-politique en place (« coordonnée » versus « de marché ») est affecté par le niveau de soutien institutionnel d’un pays et l’ impact que cela a sur le comportement des entreprises et sur leur approche de la RSE et du DD.

Par exemple, dans une économie de marché dite ‘coordonnée’ les entreprises bénéficient d’un soutien institutionnel important [relations hors marché] en étant impliquées avec les institutions (étatiques, organisations patronales, syndicats) et les réseaux de participation – le tout dans une logique de partage d’information et de collaboration étroite (par opposition à une relation de concurrence). À l’inverse, les économies de marché dites ‘libéraies’ sont concentrées sur des relations concurrentielles [relations de marché] où les entreprises évoluent seules indépendamment des autres, dans des relations d’ hostilité entre elles (Hall & Soskice, 2001). Dans les économies coordonnées, la réputation de l’entreprise est assurée par la connaissance de l’information interne (réseaux internes, collaboration étroite) si bien que les bilans trimestriels et autres informations publiquement disponibles ont moins d’importance dans le degré d’attractivité (en tant que collaboratrice).

À l’inverse, en situation de marché libéral ces informations sont les seules données exploitables par les investisseurs et institutions, ce qui rend l’image publique de l’entreprise essentielle vis-à-vis des marchés financiers et des institutions – l’accès au financement dépendant presque uniquement de l’information financière publique et de la profitabilité actuelle de l’entreprise. (Hall & Soskice, 2001). Enfin, suivant le type de coordination et d’économie-politique qui structurent une nation, chaque pays développe d’autres institutions parallèles avec des pratiques complémentaires dans les sous-sphères en ligne avec son régime (Hall & Soskice, 2001). Par exemple, les formations professionnelles et le système éducatif des économies libérales préparent les travailleurs avec des qualifications générales pour une mobilité maximale et une reconversion plus simple (Hall & Soskice, 2001). Il en va de même en ce qui concerne l’approche à la RSE qui diffère suivant le type de capitalisme, qu’il s’agisse d’un pays libéral ou plus socialiste, expliquent Gond, Kang et Moon (2011), comme nous allons le voir.

Ainsi, pour résumer les auteurs affirment que « la structure institutionnelle [d ‘un pays] conditionne la stratégie des entreprises » (Hall & Soskice, 2002, p. 62). Le comportement et le choix stratégique des entreprises sont influencés par le cadre institutionnel de l’économie-politique en place, avec les institutions qui sont elles-mêmes profondément conditionnées par les facteurs de développement dont la culture et l ‘histoire font partie intégrante (Hall & Soskice, 2002). Pour en revenir à la RSE, certains auteurs – en particulier Matten et Moon (2008) et Gond et al. (2011) – s’intéressent à l’impact qu’ont les diverses institutions d’un pays sur la RSE. Matten et Moon (2008) expliquent que d’un type d’économie de marché à un autre, l’influence des institutions rend les pays différents dans les comportements de leurs entreprises et donc dans leurs pratiques environnementales de RSE. De plus, puisque la stratégie des entreprises est conditionnée par la structure institutionnelle (Hall & Soskice, 2002), il existe une relation avec le type de RSE et l’approche environnementale que les entreprises adoptent. Gond et al. (20 Il) s’intéressent aux différentes formes de relations ‘RSE-gouvemement’ possibles suivant le système de gouvernance national en place et identifient plusieurs configurations6 différentes qui mettent en évidence combien les institutions agissent sur la RSE.

Ces configurations résultent de caractéristiques particulières en termes de niveau de coordination entre l’état et la RSE, l’influence des entreprises (initiatives) et le poids du système législatif. Matten et Moon (2008) relèvent des types de RSE différents d’un type d’économie politique à un autre. Ces différences sont expliquées par la nature du rapport entre l’entreprise et la société, qui dépend du système national d’affaires (national business system) formé par les cadres institutionnels historiques. Les auteurs montrent ainsi la présence d’une RSE plus volontaire, individualisée et autonome dans l’initiative7 au sein des économies libérales – tel qu’observé au Canada. En revanche, dans des économies coordonnées avec un capitalisme plus social, la RSE est dictée par le consensus social8 et reflète les systèmes de normes, valeurs et règles en place. Ce type de RSE est réactif à l’environnement institutionnel de l’organisation (Matten & Moon, 2008, pp. 409-410).

Table des matières

SOMMAIRE
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES ABRÉVIATIONS
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUES MANAGÉRIALE ET SCIENTIFIQUE
1.1. PROBLÉMATIQUE MANAGÉRIALE
1.2. PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE
1.3. QUESTIONS DE RECHERCHE
CHAPITRE 2 REVUE DE LITTÉRATURE
2.1. CADRE THÉORIQUE
2.1 . 1. Approches théoriques
2.1.1.1. Théorie de la convergence
2.1.1.2. Théorie de la divergence
2.1.1.3. Théorie de la crossvergence
2.1.2. L’ALÉNA
2. 1.3. Pertinence de la PME
2. 1.4. Développement durable
2. 1.5. Business case
2.2. HYPOTHÈSES RETENUES
2.2.1. Hypothèses générales
CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
3.1. STRATÉGIE DE RECHERCHE
3.2. CONTEXTE D’ÉTUDE
3.3. UNITÉ D’ANALySE
3.4. FACTEUR DE CONVERGENCE
3.4.1. Les pratiques durables amplifiées sous l’ALÉNA
3.4.2. Renégociation: vers l’ACEUM
3.5. FACTEURS DE DIVERGENCE INFLUENÇANT LES PRA TIQUES
3.5.1. Disparités sous l’angle des dimensions économiques
3.5.1.1. Indice de compétitivité globale
3.5.1.2. Type d’économie de marché
3.5.2. Disparités sous l’angle culture
3.5.3. Disparités des points de vue de la gouvernance et du système politique
3.5.3.1. Indicateurs mondiaux de gouvernance -le WGI
3.5.3.2. Structure politique
3.6. POPULATION CIBLE ET CHOIX REGIONAUX
3.7. COLLECTE DE DONNÉES
3.8. OUTIL DE MESURE
3.8.1. Description de l’outil de mesure
3.8.1.1. Variables indépendantes
3.8.1.2. Variables dépendantes
3.8.1.3. Variables de contrôle
3.8.2. Fidélité des mesures utilisées
3.9. ÉCHANTILLONNAGE
3.10. DESCRIPTION DE L’ÉCHANTILLON
3.11. MÉTHODE D’ ANALYSE STATISTIQUE
3.11.1. Comparaison de moyennes (Tests-T)
3.11.2. Comparaisons des coefficients de corrélation
3.11.3. Hypothèses nulles et altematives
3.11.4. Logiciel SPSS
CHAPITRE 4 PRÉSENTATION DES RÉSULTATS
4. 1. ANALYSE DES COMPARAISONS DE MOYENNES
4.1.1. Comparaison de moyennes au niveau des pratiques environnementales
4.1.2. Comparaison de moyennes au niveau des business cases
4.2. ANALYSE DES COEFFICIENTS DE CORRÉLATION
4.2.1. Analyse des corrélations simples entre les variables de pratiques environnementales et de business case
4.2.2. Transformation Fisher: Analyse des coefficients de corrélation
4.3. VALIDATION DES HYPOTHÈSES
CHAPITRE 5 DISCUSSION
5.1. Interprétation des résultats
5.2. Limites de la recherche
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES

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