Historique
Les origines de la pleine conscience remontent aux théories bouddhistes orientales où elle était cultivée par la pratique de la méditation (Padilla, 2010). À l’origine, la méditation par la pleine conscience est un processus cognitif par lequel l’individu identifie ses pensées et modifie la relation qu’il entretient avec elles (Padilla, 2010). Bien que la naissance du concept et la pratique par la méditation remontent au Bouddhisme, Bruce, Manber, Shapiro et Constantino (2010) soutiennent que le processus psychologique impliqué dans la pleine conscience est applicable dans de nombreux domaines et n’est plus limité aux théories orientales. Selon Magid (2002), la pleine conscience viserait la diminution de la réactivité de l’individu face au moment présent et donc une plus grande acceptation de ce qui lui arrive. La méditation par la pleine conscience permettrait à celui qui la pratique de maintenir son esprit dans un état conscient et attentif sur des périodes de temps de plus en plus longues (Kabat-Zinn, 2003; Shapiro, Astin, Carlson, & Freedman, 2006). Elle permettrait également de diminuer la souffrance ressentie et d’augmenter le niveau de bien-être d’un individu (Magid, 2002). Ces implications ont provoqué un intérêt certain dans le champ de la science, comme le soulignent Shankland et André (2014).
Depuis une trentaine d’années, plusieurs disciplines scientifiques, dont la médecine, la psychologie, la psychiatrie et les neurosciences, s’intéressent à la pleine conscience et à ses impacts à court, moyen et long terme. Toujours selon Shankland et André, le mode de vie actuellement encouragé dans les sociétés occidentales est caractérisé par une croissance importante de sollicitations et d’agitation, ce qui augmente le niveau de stress des individus qui composent ces sociétés. La pleine conscience irait à l’encontre de ce mode de vie et permettrait à l’individu de reprendre son souffle en s’arrêtant et en observant ce qui se passe en lui et autour de lui (Shankland & André, 2014). Dans le domaine de la psychologie, plusieurs formes de psychothérapies basées sur la pleine conscience ont été développées, entre autres par les tenants de l’approche cognitivo-comportementale (Padilla, 2010). Le Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR ; Kabat-Zinn, 1990), le Mindfulness-Based Cognitive Therapy (MBCT ; Segal, Williams, & Teasdale, 2002), le Mindfulness Based Relapse Prevention (MBRP ; Bowen, Chawla, & Marlatt, 2010) et l’Acceptance and Commitment Training (ACT; Flaxman, Bond, & Livheim, 2013) sont autant de traitements thérapeutiques visant l’entraînement d’une attention centrée sur le moment présent et dénuée de jugement (Shankland & André, 2014).
Définition de la pleine conscience
De nombreux auteurs ont tenté de définir le concept de pleine conscience en lui apportant des clarifications et des précisions. Aucune des définitions actuellement disponibles ne fait cependant consensus au sein de la communauté scientifique. Plusieurs écoles de pensée bouddhistes acceptent la définition selon laquelle la pleine conscience serait « la conscience lucide du moment présent » (Bodhi, 2011). Une définition de Kabat-Zinn (2003) souvent citée, stipule que la pleine conscience est la « conscience qui émerge en dirigeant son attention sur le but [de l’expérience], dans le moment présent et sans jugement de valeur, ainsi que sur le déroulement de chaque moment de l’expérience » [Traduction libre] (p. 145). Bruce et al. (2010) se sont basés sur les écrits de plusieurs auteurs (Shapiro et al., 2006; Shapiro, 1992; Siegel, 2007; Sullivan, 1953) pour fournir une définition qui s’applique au psychologue en contexte thérapeutique.
Cette définition met l’accent sur trois éléments centraux de la pleine conscience: l’attention, l’attitude et l’intention. Le premier élément, soit la capacité à centrer son attention sur le moment présent, requiert chez l’individu de cesser tout processus interprétatif de ce qui se passe en lui pour simplement y être attentif (Shapiro et al., 2006). Chez le psychologue, cette habileté consisterait à centrer son attention dans le moment présent, à la fois sur ses expériences corporelles et psychiques, sur son patient ainsi que sur la relation qui se joue entre son patient et lui (Bruce et al., 2010). Le second concept compris dans la définition de la pleine conscience soit l’attitude, implique que le psychologue pleinement conscient ne se contenterait pas d’être attentif, mais qu’il serait en mesure de se montrer curieux, ouvert et acceptant envers ce qui se produit au sein du processus thérapeutique (Bruce et al., 2010). Pour atteindre cet état qui, selon Bruce et al., se complexifie devant certains sentiments et émotions du patient comme la colère, la jalousie, la haine, le deuil et la douleur, le psychologue devrait parvenir à établir une connexion avec la vulnérabilité de son patient.
Pour cela, il devrait d’abord pouvoir faire preuve de curiosité, d’ouverture et d’acceptation face à sa propre expérience, avant d’adopter ces attitudes face à son patient. Il abordera aussi l’alliance thérapeutique avec ces attitudes, peu importe le stade de cette alliance ou les difficultés qu’elle comporte (Bruce et al., 2010). Enfin, le dernier élément influençant la capacité de pleine conscience du psychologue serait l’intention qui le pousse à la pratiquer. Shapiro (1992) a en fait démontré que les individus pratiquant la méditation par la pleine conscience tendaient à atteindre l’expérience qu’ils visaient en s’adonnant à cette pratique, que ce soit une meilleure auto-régulation, une meilleure connaissance de soi ou une manière de se libérer de certaines contraintes personnelles. Ainsi, l’intention du psychologue qui accompagne la pratique de la pleine conscience lui permet d’être conscient de la démarche, d’y consentir d’une façon éclairée et qui fait du sens pour lui (Bruce et al., 2010). La pleine conscience devient ainsi une modalité thérapeutique pour le psychologue qui l’utilise pour atteindre un but, comme augmenter sa disponibilité affective. Les habiletés impliquées dans la pleine conscience (p. ex. : centration de l’attention, curiosité, acceptation) ont une présence et une intensité variables et ne sont pas acquises et stables comme des concepts théoriques ou des techniques (Bruce et al., 2010). Le psychologue a des intentions globales en ce qui concerne sa profession, ainsi que des intentions propres à chaque suivi, chaque séance et chaque patient (Bruce et al., 2010). L’expérience qu’il tente d’atteindre en développant un état de pleine conscience peut donc varier d’un contexte à l’autre (p. ex., préciser le contre-transfert qu’il vit, décoder le comportement non-verbal du patient, prêter attention au choix des mots de ce dernier, etc.). En prenant conscience de son intention, soit du type d’expérience qu’il tente d’atteindre par la pleine conscience, il parviendra à mieux cerner les fluctuations de son attention (Bruce et al., 2010).
Études portant sur la pleine conscience et ses effets sur la population générale De nombreuses recherches ont porté sur la pleine conscience et plusieurs de ses bienfaits ont été démontrés. En 2015, une méta-analyse a été menée en Angleterre sur 29 études (n=2668) portant sur le MBSR (Khoury, Sharma, Rush, & Fournier). Les chercheurs ont évalué l’impact du traitement sur la réduction du stress, de la dépression, de l’anxiété et de la détresse. Une diminution de cette symptomatologie a été observée, impliquant une taille d’effet modérée et un maintien des résultats sur une période de 19 semaines en moyenne. Une amélioration de la qualité de vie des individus en santé a également été rapportée suite au traitement. Une autre méta-analyse (Khoury, Lecomte et al., 2013) incluant 209 études (n=12145) sur la Mindfulness-Based Therapy (MBT) a été réalisée. Les résultats ont suggéré que la MBT est un traitement efficace pour une variété de problèmes psychologiques, spécialement pour réduire l’anxiété, la dépression et le stress. Les effets étaient maintenus sur une période de six mois en moyenne. Khoury (2016) a en effet soutenu que des milliers d’études ont porté sur l’efficacité des thérapies basées sur la pleine conscience auprès de populations cliniques et non-cliniques, et qu’une soixantaine de méta-analyses a recensé ces études. Selon lui, les écrits scientifiques disponibles permettraient avec une quasi-certitude de conclure sur l’efficacité des traitements thérapeutiques basés sur la pleine conscience (Khoury, Lecomte et al., 2013).
Études portant sur la pleine conscience et ses effets sur les professionnels de la santé De façon plus spécifique, en plus d’être corrélée positivement avec de nombreux indicateurs de bien-être (Baer et al., 2004; Brown & Ryan, 2003), il a été démontré que la pleine conscience peut avoir des impacts bénéfiques importants chez les professionnels de la santé. Les résultats de Beddoe et Murphy (2004) indiquent que la pleine conscience diminue le stress et favorise une plus grande empathie chez les étudiants en sciences infirmières. De façon générale, la pleine conscience permettrait à l’étudiant d’améliorer son autorégulation émotionnelle en favorisant son attention, sa flexibilité cognitive, la modulation de ses réactions et son contrôle exécutif (Richer et Lachance, 2016). Selon Shapiro et al. (2006), l’entraînement à la pleine conscience influencerait l’autorégulation émotionnelle du psychologue en lui permettant de gérer différemment ce qu’il vit et de demeurer plus disponible au vécu affectif de son patient. Des études portant sur des formations axées sur la pleine conscience tendent à démontrer que la pratique de ces dernières chez des psychologues prédisait de meilleurs résultats pour leurs patients (Grepmair et al., 2006 ; Grepmair et al., 2007 ; Grepmair et al., 2008). Ainsi, des chercheurs soutiennent que l’augmentation du niveau de pleine conscience chez le psychologue améliore sa capacité d’autorégulation émotionnelle, une caractéristique des psychologues efficaces (Shapiro, Astin, Bishop, & Cordova, 2005). Elle permettrait au psychologue d’ajuster ses interventions en fonction des besoins de son patient et de mieux cerner la dynamique de l’alliance thérapeutique (Baer et al., 2006; Brown & Ryan, 2003; Linehan, 1994). Cantero (2015) a fait une revue de la recherche empirique concernant le programme de pleine conscience MBSR et d’autres techniques pour optimiser la pleine conscience chez des stagiaires en santé mentale. Les quinze études recensées permettent à Cantero d’affirmer que le développement de la pleine conscience chez ces stagiaires pourrait être précieuse pour diminuer leur stress, développer leur capacité à prendre soin d’eux et accroître leur présence avec leurs patients.
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