LE POUVOIR Qu’est-ce que le pouvoir ?
Le Larousse nous donne la définition suivante du pouvoir : « Ascendant de quelqu’un ou de quelque chose sur quelqu’un ; droit pour quelqu’un de faire telle chose par son statut ; autorité, puissance de droit ou de fait. » Quant à l’autorité, le Larousse la définit de la façon suivante : « Pouvoir de décider ou de commander, d’imposer sa volonté à autrui; crédit, influence, pouvoir dont jouit quelqu’un ou un groupe dans le domaine de la connaissance ou d’une activité quelconque, du fait de sa valeur, de son expérience, de sa position dans la société, etc. » Nous constatons que pour le Larousse, le pouvoir et l’autorité sont des synonymes puisqu’un terme renvoie à l’autre. Dans son essai « Gouverne et liberté : Foucault et la question du pouvoir », Laforest interprète la réflexion de Foucault sur le pouvoir à travers plusieurs de ses ouvrages. L’exercice du pouvoir équivaudrait pour lui à une tentative de gouverne de la conduite d’autrui, à une orientation des actions d’un sujet ou d’un groupe vers la structuration du champ d’action des autres. Le pouvoir est un phénomène relationnel, subi ou exercé, très profondément ancré dans le corps social. L’exercice du pouvoir se caractérise par l’affrontement permanent entre les relations de pouvoir et l’insoumission de la liberté de chacun.
Pour lui, il est impossible de concevoir une réalité sociale ou politique sans relation de pouvoir, toutefois, cela ne signifie pas que nous devions accepter toutes les formes de l’exercice du pouvoir (Laforest, 1989). Dans un contexte organisationnel, Mintzberg définit le pouvoir comme la capacité à produire ou modifier les résultats ou les effets organisationnels. Avoir du pouvoir revient à être capable de faire exécuter ce que l’on souhaite, à obtenir des résultats et à modifier le comportement des autres. Il considère le pouvoir et l’influence comme étant des synonymes et l’autorité comme étant un sous-ensemble du pouvoir. L’autorité est le pouvoir formel, celui lié à une fonction ou à une hiérarchie (Mintzberg, 1986). Ce que nous retenons de ces définitions est que le pouvoir est un exercice relationnel, subi ou exercé, dans un rapport de force (positif ou négatif) pour modifier les comportements de personnes libres en vue d’atteindre un but ou un résultat précis. Le pouvoir est indispensable dans la société et dans les organisations, mais c’est la façon d’exercer celui-ci qui est modelée à une réalité sociale spécifique.
L’ÉTHIQUE
Droit définit l’éthique comme « la meilleure manière d’habiter le monde en se souciant de l’autre ». Par une réflexion collective, il s’agit d’inventer la « cohabitation » de plusieurs systèmes de valeurs en prenant pour prémisse de départ que tous veulent le « bien » (Droit, 2009). Malherbe, quant à lui, croit que : « L’éthique est un travail [un acte personnel] auquel on peut consentir [accepter ou refuser] qui s’effectue les uns avec les autres [intersubjectivité critique] pour réduire l’inévitable écart [tensions] entre les pratiques effectives et les balises affichées [la réalité et l’idéal] autant que faire se peut [changer ce qu’il est en notre pouvoir de changer]. » (Malherbe, 2007) De par le pouvoir qu’ils possèdent sur les autres et sur les choses, les gestionnaires décideurs sont particulièrement interpellés par cette vision de l’éthique puisque ce sont principalement eux qui détiennent le pouvoir d’agir. La charte de compétence de l’Ordre des administrateurs agréés du Québec mentionne parmi ses différentes compétences, le souci d’exercer une réflexion éthique dans sa pratique. Plus particulièrement : « L’administrateur agréé se doit d’être un « praticien réflexif » : un professionnel qui sait poser les bonnes questions et oser sortir du confort engendré par le conformisme ambiant, comme professionnel et comme citoyen responsable. Il doit avoir conscience que l’impact de ses actions et de ses gestes ne se répercute plus uniquement sur son client, mais sur les parties prenantes.
Aussi, il doit discerner favorablement certaines valeurs traditionnelles garantes de la survie des sociétés, et se faire le promoteur de nouvelles valeurs dans la prise de décision répondant aux défis sans précédent qui confrontent la communauté mondiale. » (ADMAQ, 2017) Pour l’Ordre des administrateurs agréés (ADMA), l’éthique dans l’exercice du pouvoir est donc un processus autoréflexif fortement recommandé qui entraine des prises de conscience quant à l’impact de ses décisions et de ses actions sur « autrui ». Pour l’ADMA, l’éthique concerne aussi les valeurs. D’abord, les valeurs traditionnelles garantes de la survie des sociétés, mais aussi de nouvelles valeurs qui visent à faire face aux nouveaux défis de la gestion. Il s’agit de sortir du conformisme des paradigmes de gestion conventionnels et faire preuve de créativité pour réinventer le leadership, la culture et les structures organisationnelles en vue de promouvoir de nouvelles valeurs dans la prise de décision. Être un praticien réflexif ou réfléchir aux conséquences de ses choix sur les autres permet au gestionnaire d’autoréguler ses décisions et ses actions sur une éthique plus réfléchie, plus profonde, plus intégrée. Boisvert illustre l’autorégulation par une représentation qu’il appelle le continuum éthique. Le continuum éthique de Boisvert présenté à la figure 1 illustre différents modes de régulation des comportements du plus autonome (flèche de gauche) au plus hétéronome (flèche de droite).
L’IDENTITÉ ÉTHIQUE (ÉTHIQUE INTERNE)
Dans l’existentialisme est un humanisme, Sartre écrit : « En me choisissant, je choisis l’homme ». Par cette affirmation, Sartre voulait dire que par ses choix et ses comportements, chaque personne choisit ce qu’est l’humanité, ce que c’est qu’être humain. L’éthique c’est un peu le guide que nous choisissons pour nous définir nous-mêmes (éthique de l’intérieur vers l’extérieur) en tant qu’être humain participant au grand projet de définir l’humanité. Qu’entendons-nous par identité éthique ou éthique de l’intérieur ? Pour comprendre, nous avons emprunté à Ken Wilber sa vision intégrale de l’expérience humaine. (Wilber, Ken, 1997) Wilber représente l’expérience humaine par quatre (4) quadrants. Les quadrants (1) et (2) représentent l’expérience individuelle et les quadrants (3) et (4) l’expérience collective. D’autre part, les quadrants (1) et (3) concernent la dimension interne de l’expérience. La dimension interne englobe tout ce qui se passe à l’intérieur de la personne et ce qui n’est pas visible aux yeux des autres. Wilber l’appelle le « Je » et le « Nous ». On ne peut connaitre cette dimension chez l’autre qu’à travers le langage. Il faut que la personne nous dise ce qu’elle ressent et ce qu’elle pense pour que cela devienne réel pour nous.
Les quadrants (2) et (4) concernent la dimension externe, celle qui se voit, celle qui s’analyse, celle que l’on peut mettre sous le microscope. C’est la raison pour laquelle Wilber les appelle les « Cela ». (Wilber, 1997) Comme l’exercice du pouvoir et l’éthique font partie de l’expérience humaine, nous pensons pouvoir emprunter la même logique pour définir l’aspect interne et externe de l’expérience du pouvoir dans une perspective éthique (figure 3). Dans ce cas, le quadrant (1) représente les éléments constituant la dimension interne individuelle de l’éthique tels que : la conscience personnelle, les croyances et les valeurs personnelles, les sentiments et les émotions. Le quadrant (2), quant à lui, représente la dimension externe individuelle de l’éthique, comme : les comportements, les manifestations physiques et la déontologie. En ce qui concerne le quadrant (3), il illustre la dimension interne du « Nous » collectif, soit : la culture, la religion (en tant que croyance collective), les moeurs et les valeurs partagées collectivement. Finalement, le quadrant (4) concerne la dimension extérieure et collective comme : les lois, l’économie, les systèmes, les réseaux, les institutions, les organisations, les associations professionnelles, les religions (en tant qu’institution).
LA CUEILLETTE DES DONNÉES
Comme il est d’usage dans la MTA, nous avons opté pour un échantillon théorique. L’échantillon ne comprend pas un nombre de personnes fixe dès de départ. En effet, il ne se définit pas par un nombre de personnes à interviewer, mais il est plutôt constitué d’un nombre « d’événements » recueillis et pertinents pour le développement de la recherche. Ainsi, il était impossible de savoir, dès le départ, le nombre exact de personnes qui devraient être interviewées avant d’atteindre la saturation, c’est-à-dire le moment où les outils de cueillette n’apporteraient plus de nouvelles données pertinentes. Aussi, cette forme d’échantillonnage nous offrait la liberté de faire évoluer les outils de collecte selon les besoins de la recherche (Paillé, 1994) (Paillé, 2012). Étant donné que nous souhaitions une participation volontaire et considérant le caractère personnel de la recherche, nous avons opté pour un échantillon par choix raisonné, c’est-à-dire qu’à partir de la liste de départ, nous sélectionnions les participants selon les orientations et les besoins de la recherche (Fortin, 2006). Les participants potentiels ont été contactés par courriel ou par téléphone à partir d’une liste de gestionnaires-décideurs qui répondaient aux critères suivants : En effet, nous souhaitions des gestionnaires-décideurs qui avaient une certaine expérience du pouvoir de façon à avoir déjà amorcé une réflexion sur l’exercice du pouvoir.
Aussi, afin d’enrichir le plus possible notre collecte de données, nous avons pensé qu’il était nécessaire de recueillir les points de vue féminins et masculins au cas où l’expérience vécue des hommes et des femmes dans l’exercice du pouvoir présenterait des différences. Pour la même raison, nous avons aussi souhaité diversifier les groupes d’âge et les types d’organisation. Finalement, pour des raisons d’ordre pratique, nous avons circonscrit le territoire de recherche à la Ville de Saguenay. Au départ, une première vague d’invitation a été lancée comprenant des participants potentiels diversifiés respectant les critères de notre échantillon. Certains candidats ont accepté tandis que d’autres ont refusé. C’est ainsi que nous avons procédé à une deuxième vague d’invitation correspondant au profil des candidats qui avaient refusé notre invitation afin d’équilibrer notre échantillon en fonction de nos critères. Comme la participation à la recherche était volontaire, seuls des candidats intéressés à notre recherche ont accepté notre invitation. Notre échantillon comporte le biais de ne comprendre que des gestionnaires-décideurs sensibles ou du moins intéressés par une éthique dans l’exercice du pouvoir. En effet, nous supposons que, entre autres raisons, les candidats invités inconfortables ou peu intéressés par notre recherche sur l’exercice du pouvoir dans une perspective éthique ont refusé notre invitation. Toutefois, comme les participants savaient qu’ils venaient parler d’éthique dans l’exercice du pouvoir, il est possible qu’ils aient cherché à se mettre en valeur et à taire leurs motivations profondes et peu louables. C’est un élément que le lecteur doit garder à l’esprit en prenant connaissance des résultats de recherche. Pour valider la correspondance des participants au profil recherché, nous avons fait remplir un court questionnaire à chaque participant avant son entrevue (annexe 1). Ces questionnaires ont été compilés et ont permis d’établir le profil général des participants à la recherche. Les différentes caractéristiques de notre groupe de participants sont présentées dans les pages qui suivent.
RÉSUMÉ |