Mise en place en mésocosmes
Dans un premier temps, des travaux de préparation des pots ont été effectués, à savoir le nettoyage et l’étiquetage des pots avec codage de chaque pot pour les différencier les uns aux autres. Deux trous ont ensuite été percés à l’aide d’une perceuse électrique sur la base de chaque pot et des bouts de coton sont placés dans les trous pour éviter la stagnation d’eau. Chaque pot contient 1000 g de sol natif tamisé et séché. Trois graines ont été semées à 1 cm de profondeur du sol dans chaque pot. Elles ont été placées de manière à avoir une forme triangulaire. Le sol a alors été humidifié avec 350 ml d’eau de pluie pour le démarrage de l’expérimentation mais par la suite l’eau distillée a servi d’arrosage afin de conserver 80 % de la capacité de rétention en eau de notre type de sol. Ce 350 ml d’eau correspond au volume d’eau à ajouter dans 1 kg de sol pour atteindre les 80 % de la capacité de rétention en eau de ce sol. Trois individus de Pontoscolex corethrurus ont été introduits par pot. Tous les pots ont ensuite été recouverts d’une moustiquaire à maille de 2 mm ligotées par des élastiques pour ne pas laisser les vers s’enfouir avant d’être placé sur la table d’incubation à l’extérieure où l’on a lancé l’expérimentation. Après quelques jours d’incubation, la moustiquaire a été retirée. La manipulation a duré 8 semaines. Tout au long de cette durée, des contrôles journaliers sur l’humidité dans le pot ont été effectués pour maintenir en vie les vers de terre et s’assurer de la bonne croissance des plantes. Certaines mesures comme le taux de germination, les indices de végétations (NDVI et PRI), la hauteur de la plante, le nombre des feuilles par plante, le nombre de turricules à la surface du sol, ont également été effectuées jusqu’au terme de l’expérimentation.
Analyse globale de la réponse des variétés à P. corethrurus Le tableau 3 nous indique le résultat de l’analyse des variances (ANOVA) à deux facteurs (« variétés » et « vers de terre ») de toutes les variables mesurées. Ce tableau affiche aussi l’Eta² désignant le pourcentage du poids de chaque facteur expliqué par la variable correspondante et le P-value montrant leur effet significatif. Le résultat de l’ANOVA dévoile que le facteur « vers de terre » a un pouvoir explicatif sur les variables mesurées plus élevées que le facteur « variété » (Tableau 3). Nous observons également qu’il y a peu d’effet interactif significatif sur ces variables. La variété a un effet très significatif sur les surfaces foliaires (p-value = 3,69e-06), sur la contenance de la feuille sèche (LDMC) (p-value = 4,88e-07), sur la biomasse aérienne (BIOAER) (p-value = 1,92e-06), mais aussi sur la hauteur (p-value = 1,30e-07) et sur le pHKCl (p-value= 0,000814). Elle n’a cependant aucun effet sur le ratio biomasse aérienne / racinaire (p-value= 0,588), sur NDVI (p-value = 0,141), sur la biomasse racinaire (p-value = 0,460), sur le pHEau (p-value= 0,103), et sur l’efficacité de prélèvement de phosphore (EFFP) (p-value = 0,541). La présence de vers de terre a un effet très significatif sur la plupart des variables à l’exception de la surface foliaire spécifique (SLA) (p-value = 0,0606), le ratio biomasse aérienne / racinaire (p-value= 0,545), et l’efficacité de prélèvement de phosphore (p-value = 0,7944). Par ailleurs, l’interaction entre ces deux facteurs n’a d’effet très significatif que sur la contenance de la feuille sèche (LDMC) (p-value = 2,40.e-05). Parmi ces variables mesurées, les résultats montrent donc que seul LDMC réagit très significativement aux deux facteurs considérés et au contraire, le ratio biomasse aérienne / racinaire ne réagit à aucun des facteurs.
Réponse globale des variétés
La figure 4 montre la surface formée (partie colorée dans le radar) par la réponse de chaque variété aux vers de terre en fonction des variables sélectionnées une fois transformées entre 0,1 et 1. Les surfaces des radars sont formées par la valeur des variables mesurées entre 0 à 1. Pour la variété B22, la taille de ce radar est égale à 4,80 (cf annexe 4). Les variables EFFP, biomasse aérienne et ratio biomasse aérienne / racinaire sont les plus expliquées avec une même valeur qui est égale à 1 tandis que la surface foliaire et le NDVI ont une moindre valeur respectivement 0,33 et 0,37 (Figure a). Ensuite vient le radar de la variété F161 avec une taille de 5,06 (cf annexe 4). Presque toutes ses variables ont une valeur moyennement élevée sauf le PRI (0,10) (Figure b). Le radar suivant est celui de la variété F172 qui a une surface de 4,0 (cf annexe 4). Les variables ont généralement une valeur autour du milieu (0,5) dont la plus élevée est celle de la concentration de phosphore aérienne (0,92) si la plus basse est celle de ratio biomasse aérienne / racinaire (0,20) (Figure c). La réponse de la F182 est représentée par le radar suivant avec une taille de 2,92 (cf annexe 4).
Les cinq variables autres que la concentration de phosphore racinaire et EFFP (valeurs basses respectivement 0,10 et 0,13) montrent une valeur assez faible autour de 0,4 (Figure d). Puis arrive la variété N4, représenté par un radar d’une taille de 3,87 (cf annexe 4). Les variables PRI, NDVI et Biomasse aérienne ont une valeur très élevée, autour de 1. Par contre, cette variété admet aussi des variables assez basses notamment EFFP (0,10) et le ratio biomasse aérienne / racinaire (0,10) (Figure e). Enfin, le dernier radar est celui de la variété WAB dont la taille est égale à 1,84 (cf annexe 4). Toutes les variables affichent une valeur moyenne assez basse autour de 0,10 sauf pour le PRI et la concentration de phosphore aérienne qui ont une valeur proche de milieu respectivement égale à 0,52 et 0,66 (Figure f). En résumé, la variété F161 a la plus grande surface, suivie de la variété B22. Ces deux variétés sont celles qui répondent le plus à la présence de vers de terre, elles ont donc une performance écologique importante. Les variétés F172 et N4 ont une surface moyenne par rapport aux autres. Et enfin, les variétés F182 et WAB ont les plus petites surfaces (figure 4). Ces deux dernières ont donc une performance écologique moindre par rapport aux autres.
Survie des vers de terre à la fin de la manipulation
A la fin de l’expérience, nous avons obtenu un taux de survie des vers de terre très élevé et très satisfaisant (100% de survie). Cette survie des vers de terre en fin d’expérience résulte de deux phénomènes principaux : (i) l’adéquation des conditions avec l’exigence écologique de l’espèce et (ii) la suffisance de nourriture pour le maintien de l’activité métabolique des vers de terre. Premièrement, la croissance, la survie et la fécondité des vers de terre dépendent fortement des conditions physico-chimiques qui sont l’humidité et la température du sol (Evans et Guild, 1948). D’après Bachelier (1978), les conditions optimales de température de P.corethrurus se situent entre 20 et 30°C. Mais peu de vers de terre survivent à des températures inférieures à 10°C ou supérieures à 30°C pour les zones tropicales (Lee, 1985). Il est à noter que la reproduction de cette espèce s’effectue favorablement à une température comprise entre 23°C et 27°C (Lavelle et al., 1987). Dans des conditions optimales de température, cette espèce invasive possède un taux de fécondité élevé comparé aux autres espèces natives. Il est capable de produire jusqu’à 118 cocons par adulte par an contre 1 à 43 cocons pour d’autres espèces tropicales (Barois et al., 1999). L’humidité du sol influence également l’activité de ce ver de terre. L’humidité optimale du sol pour la croissance, la survie et la reproduction de P.corethrurus se situent entre 50% et 55% (Lavelle et al., 1987). D’après Lee en 1985 (citée par Pelosi, 2008), les vers de terre sont composés à 80-90 % d’eau lorsqu’ils sont pleinement hydratés et, même s’ils peuvent supporter des pertes en eau, ils restent très sensibles aux faibles teneurs en eau. Ils sont d’ailleurs plus sensibles à la sécheresse qu’à une immersion temporaire (Bachelier, 1963 ; Ramiandrisoa, 2008).
C’est pourquoi les vers de terre se trouvent souvent dans les zones humectées et non dans les zones arides (Bouché, 1984). Lorsque les conditions de température et d’humidité du sol deviennent défavorables, la survie, la fécondité et la croissance de ces vers de terre sont perturbées (Lee, 1985). Pour éviter cette perturbation, les conditions ont été respectées durant l’expérimentation. En effet, l’arrosage des pots a été effectué systématiquement pour garder toujours l’humidité du sol à 80 %. En parallèle, le recouvrement de la table d’expérimentation par les moustiquaires a été installé tous les jours pendant la remonte de température entre 11 et 14 heures afin de stabiliser la température en dessous de 30° C. Les conditions de l’expérimentation ont concordé avec les besoins, en termes de conditions édaphiques, des vers de terre, ce qui a favorisé leur survie. Deuxièmement, la suffisance de nourriture pour les vers de terre augmente leur probabilité de survie. P. corethrurus est un ver endogé géophage, entre polyhumique et mésohumique (Lavelle et al., 1987). Bachelier (1963) a montré que P. corethrurus se nourrit préférentiellement de débris organiques. Or les vers de terre utilisés ont été prélevés sous des arbres dans un environnement relativement riches en ces débris (chutes de litière des arbres). En plus, ils ont été habitués au sol de même type que celui de la manipulation par leur introduction dans un bac plastique contenant ce sol une semaine avant leur mise en pot. Cette pré-incubation a permis aux individus de s’adapter au sol avant leur utilisation dans l’expérience. A cet effet, même si le sol utilisé lors de la manipulation est assez pauvre en matière organique (autour de 2% seulement) notamment en débris, les vers y ont été habitués. De plus, l’expérimentation n’a duré que 8 semaines et la contenance de 1 kg de sol de chaque pot a largement suffit pour l’alimentation de ces vers de terre.
Patron général de la réponse
A propos de la réactivité des plantes aux vers de terre, Brown et al (2004) ont montré que les réponses des plantes à l’action des vers de terre dépendaient des groupes fonctionnels des espèces végétales, étant donné que les plantes ne sont pas limitées par les mêmes ressources et n’ont pas les mêmes stratégies d’allocation des ressources en fonction de ces groupes fonctionnels (Wurst et al., 2005 ; Laossi et al., 2009 ; Ratsiatosika, 2014). Pour ce qui est des différentes variétés de riz, il est très difficile de prévoir leur réponse par rapport aux vers de terre car les variétés ne peuvent pas être classées dans des groupes particuliers.
De plus, la complexité et l’abondance de mécanismes impliqués dans les interactions plante-organismes des sols, notamment les différences entre les génotypes dans la racine dans leurs stratégies d’alimentation, exsudation racinaire, stratégie générale d’allocation des ressources et les régulations physiologiques (Jana et al., 2010), rendent la tâche encore plus difficile. Noguera et al. (2010) en sont venus aux mêmes explications, la connaissance de l’architecture de racine des variétés de riz pourrait probablement expliquer les différentes réponses des variétés aux vers de terre et que la collecte des nouvelles données sur la réponse physiologique des variétés aux vers de terre pourrait être nécessaire pour prédire leur réactivité en termes de production de biomasse. Ici, le point clé est que le schéma de réponse des variétés de riz sont complexes : leur réactivité aux vers de terre est souvent différente avec et sans fertilisation (Noguera, 2009). En tout cas, nos résultats viennent montrer que les variétés réagissent différemment sous l’action des vers de terre. Plus précisément, même si toutes les variétés de riz ont répondu positivement à la présence des vers de terre, l’effet de P. corethrurus n’est néanmoins pas uniforme. Cette différence est prouvée par la réponse des plantes dans le traitement avec vers de terre par rapport au traitement sans vers de terre, exprimée en pourcentage. Par exemple, la variété F161 se dresse comme la variété ayant une augmentation la plus forte de l’ordre de 146% de la surface foliaire alors que la variété WAB ne se développe que de 28% (cf annexe 5).
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