Le concept de « toucher thérapeutique » ou « therapeutic touch »
Comme mentionné précédemment, le concept du toucher thérapeutique sera présenté en référence à l’analyse du concept par Campbell (2005), sur la base de la méthode d’analyse de concept de Rodgers (1989), ce qui permettra de présenter les différents aspects du toucher thérapeutique dans différents contextes. Campbell (2005) fait notamment référence à la signification que revêt le toucher thérapeutique pour les infirmières. Cependant, les différentes notions abordées sont transférables à toute personne prodiguant des soins et donc également aux parents de nouveau-nés prématurés. Selon Campbell, le toucher est un acte inévitable en soins infirmiers. L’auteure fait notamment référence à Nightingale, selon qui « les soins infirmiers optimisent le processus de soins de la nature en prodiguant au patient le meilleur environnement possible afin que la nature puisse agir au mieux sur le patient » (1860, cité dans Campbell, 2005, p. 288).
Le besoin de confort, de présence, de vérité, le besoin d’être rassuré, soutenu et touché font partie intégrante des besoins fondamentaux de l’être humain et sont donc essentiels en soins infirmiers. Le toucher thérapeutique représente donc un outil que l’infirmière a depuis toujours utilisé sous différentes formes et dont elle a besoin pour soigner les patients (Campbell, 2005, p. 288). Comme mentionné précédemment, le concept du toucher thérapeutique ou « therapeutic touch » peut avoir différentes significations. Selon Campbell (2005), en soins infirmiers, il est courant de distinguer deux formes de toucher : « le toucher utile », qui correspond aux tâches nécessaires que l’infirmière doit prodiguer au patient, comme par exemple les soins d’hygiène ou l’habillage et « le toucher nonutile » (p. 293). Pour chacune de ces formes de toucher, plusieurs appellations sont également possibles. Ainsi, Campbell (2005) nomme entre autres le « toucher non-procédural » (Mitchell et al., 1985), le « toucher affectif » (Lane, 1989), ou encore le « toucher massage » (Boissonade, 2004) (p. 293). Le fait de se sentir touché comme par exemple par de la musique, par de l’art ou par un contact visuel, etc renferme une autre définition du concept. La dimension que va prendre le toucher varie donc en fonction de l’environnement, de la situation et de la signification donnée par l’infirmière ou par la personne qui l’utilise (Campbell, 2005, p. 293). Pour ce travail centré sur les techniques de massage, le lien principal avec ce concept de toucher thérapeutique sera donc en rapport avec le « toucher utile » et le « toucher massage ».
Le lien entre le toucher thérapeutique et la communication non-verbale, le fait de ressentir que quelqu’un prend soin de soi, d’être réconforté et soutenu sont des éléments qui, selon le même auteur, émergent régulièrement de la littérature au sujet du toucher thérapeutique. À travers cette communication non verbale, le toucher thérapeutique permet également à l’infirmière de créer une relation avec le patient empreinte de vérité et de réconfort (Campbell, 2005, pp. 293-294). Par exemple, selon la même source, le fait de prendre dans ses bras un enfant qui pleure le réconforte, lui témoigne de l’amour, et lui démontre l’intention de prendre soin de lui. Tous ces phénomènes procurent à l’enfant un sentiment de sécurité. Afin de définir le concept de toucher thérapeutique, l’auteur a identifié 3 thèmes, qui composent les attributs principaux du concept: « le toucher thérapeutique comme confort », « le toucher thérapeutique comme communication » et « le toucher thérapeutique comme technique ». Le toucher thérapeutique comme communication Selon Gleeson et Timmins, « en soins infirmiers, le toucher peut être considéré comme étant le plus important des comportements non-verbaux » (2004, cité dans Campbell, 2005, p. 294). Cette forme de communication est très souvent mentionnée dans la littérature infirmière et notamment auprès des personnes âgées atteintes de démence.
En effet, ces personnes n’ont souvent plus la capacité de communiquer. Le toucher peut donc apparaître comme une forme de suppléance pour pallier à cette difficulté. En ce sens, le toucher thérapeutique peut également comprendre un contact visuel empreint d’empathie et de douceur (Campbell, 2005, p. 294). Comme mentionné précédemment, les nouveau-nés prématurés sont souvent moins alertes, regardent moins leurs parents et sont moins réceptifs. Ces caractéristiques mettent souvent les parents en difficulté pour saisir les signaux émis et pour y répondre de manière appropriée. Le massage utilisé en tant que « toucher thérapeutique comme communication » pourrait donc suppléer ce besoin et ainsi permettre aux parents et à leur nouveau-né de mieux se comprendre et de se connaître. Les interactions seraient donc favorisées et le lien d’attachement consolidé en conséquence.
Getting to Know You: Mothers’ Experiences of Kangaroo Care (Roller, 2005) Cette étude phénoménologique descriptive avait pour but de comprendre l’expérience des mères qui ont utilisé le KC pour leur enfant prématuré alors qu’il était encore à l’hôpital. La phénoménologie descriptive décrit une expérience mais en aussi révèle le sens, ou les sens, donné(s) par un individu. L’étude présentée correspond à la partie qualitative d’un autre essai contrôlé-randomisé. La grandeur de l’échantillon est basée sur la saturation des données qui a été atteinte à la 9ème entrevue. Un entretien supplémentaire a ensuite été entrepris pour valider et clarifier les résultats obtenus. Ainsi, 10 mères d’enfants prématurés ayant pratiqué le KC ont été interrogées, dont 7 dont les bébés ont dû être transférés dans le service de soins intensifs de néonatologie. On parle de KC lorsque la mère tient son nourrisson verticalement, peau-à-peau entre ses seins, sous ses habits, le nourrisson portant seulement une couche et éventuellement un bonnet. Les critères d’inclusion à l’étude étaient que : 1) l’âge des répondantes (mères) soit plus élevé que 16 ans, 2) la langue parlée soit l’anglais, 3) l’AG du nourrisson soit de 32 à 37 SA, 4) le poids du nourrisson se situe entre 1500g et 3000g, 5) le score AGPAR à 1 minute de vie soit inférieur à 6 et celui à 5 minutes inférieur à 7. Parmi les 10 mères ayant participé à l’étude on trouve 6 afro-américaines, 3 euro-américaines et 1 asiatique, 3 femmes mariées et 7 célibataires, 9 primipares et 1 multipare, 2 sont arrivées au 8ème niveau, 4 ont terminé le lycée, 2 ont fait 1 an ½ de « college » (université) et 2 ont des diplômes d’éducation supérieure. Elles ont toutes commencé à pratiquer le KC dans les premières 24h suivant la naissance.
Les données ont été recueillies lors d’entretiens semi-structurés de 15 à 90 minutes, en face-à-face, au domicile de la dyade, après la sortie de l’hôpital, entre la 1ère et la 4ème semaine post-partum. La question posée aux mères était « Comment était-ce pour vous de fournir un soin kangourou à votre nourrisson prématuré pendant que vous étiez à l’hôpital ? ». Par la suite, les entretiens ont été retranscrits puis analysés à l’aide des notes du chercheur ayant réalisé l’entretien pour transcrire les réponses non-verbales des participantes. L’analyse de l’ensemble des données s’est ensuite faite en 7 étapes, selon la méthode de Colazzi (1978). Tout d’abord, une lecture des transcriptions des descriptions orales des participantes à été effectuée pour faire ressortir leurs sentiments. Les descriptions importantes ainsi que les déclarations qui se rapportaient directement au phénomène à l’étude ont été extraites. Puis les chercheurs ont formulé “les significations” qui en ressortaient en utilisant la transformation linguistique et les ont regroupé en fonction des thèmes dominants (interruption, caractère désagréable, réconfort, KC) pour permettre une compréhension de la structure essentielle du phénomène. Celle-ci a ensuite été développée en regard des thèmes extraits. La structure essentielle du phénomène a ensuite été développée en éléments essentiels (empêchée de connaître et apprendre à connaître). Pour finir, dans le but de valider les résultats obtenus, les thèmes dominants ainsi que la compréhension de la structure essentielle du phénomène ont été présentés aux participantes.
Ainsi, l’analyse des données a permis d’extraire 2 éléments essentiels de l’expérience du KC : « empêchée de connaître » et « apprendre à connaître ». Concernant l’élément « empêchée de connaître », les chercheurs ont identifié 2 composantes essentielles. La première concerne l’obstacle à la rencontre mère-nourrisson et la deuxième s’intéresse au caractère désagréable de l’équipement de l’unité de soins intensifs. L’entrave à la rencontre mèrenourrisson repose sur la difficulté pour les mères de voir, porter et toucher leur nouveau-né tout de suite après la naissance (« j’ai juste tendu mon bras vers lui et touché ses petits doigts… puis il était parti »), de le porter dans leurs bras au sein de l’unité, et pour certaines mères de ne pas pouvoir aller le voir dans le service de soins intensifs (en raison d’une césarienne par exemple). Le caractère désagréable de l’équipement a été rapporté par 4 des 7 mères dont les nouveau-nés ont été transférés dans le NICU. Les mères trouvaient l’équipement gênant, entre autres les moniteurs qui faisaient du bruit et qui étaient trop sensibles, les fils (de perfusion et de monitoring) qui les inquiétaient et étaient perçus comme une barrière (« à chaque fois que le prenais, l’emmêlement de fils me rendait tellement nerveuse »). Pour l’élément « apprendre à connaître », les chercheurs ont extrait 2 thèmes principaux : le premier concernait le réconfort et le deuxième, le KC. Les mères ont puisé du réconfort auprès de certaines informations concrètes délivrées par le personnel de santé, les rapports positifs avec le personnel médical, et les photos du bébé (« [les infirmières] rapportaient des photos [du NICU]… Je me suis sentie beaucoup mieux… Elles disaient qu’elle s’en tirait bien »).
Selon les femmes de l’étude, le KC était une expérience chaleureuse, calmante (pour les bébés comme pour elles-mêmes), positive et favorisant le lien (« c’était une bonne manière de se connaître l’un l’autre »). Une des mères a ainsi dévoilé que cette stratégie lui permettait de partager du temps avec son bébé et qu’elle lui permettait une connaissance mutuelle avec ce dernier. Deux femmes se sont senties tendues et inconfortables pendant leur première expérience de KC, mais ce sentiment a diminué avec l’expérience. La majorité des mères a continué le peau à peau à leur retour à domicile, et 6 pères sur 10 ont aussi fait du KC avec leur nourrisson. Ainsi cette étude révèle que le KC est aussi bénéfique pour les mères, en améliorant entre autres l’émergence de leur identité maternelle. L’auteure relève toutefois plusieurs limites à l’étude. Tout d’abord, elle se demande si les résultats portant sur l’élément « apprendre à connaître » peuvent être transférables auprès des parents qui n’ont pas pratiqué le peau-à-peau. Elle mentionne aussi une limite concernant l’ethnicité des femmes interrogées (une majorité de noires américaines), et sur le fait que les femmes qui ne parlent pas anglais n’aient pas été incluses à l’étude (les femmes ne maitrisant pas anglais n’ont sans doute pas accès aux informations de la même manière). De plus, les femmes ne pouvant exprimer leurs ressentis verbalement n’ont pas été retenues pour l’étude. Pour finir, l’auteure soulève la question de la transférabilité des résultats à cette population. D’autres limites peuvent également être mentionnées. Tout d’abord, l’étude a été réalisée aux États- Unis, ce qui questionne la transférabilité des résultats à une population suisse. De plus, les mères incluses ont toutes commencé le KC dans les premières 24h, voire dans l’heure suivant la naissance, ce qui n’est pas toujours possible : comment les femmes n’ayant pu porter leur bébé pendant plusieurs jours ressentent-elles le KC ? Enfin, en quoi les résultats seraient-ils différents si l’enfant était porté habillé ou emmailloté ?
Introduction |