Prévalence du sadomasochisme
En occident, la prévalence du sadomasochisme est estimée entre 1.3 % et 14 % (Hunt, 1974; Janus & Janus, 1993; Richters, De visser, Rissel, Grulich & Smith, 2008; Richters et al., 2014). Celle-ci varie selon les études et dépend de la formulation de l’énoncé de recherche (pratiquez-vous, avez-vous déjà pratiqué, avez-vous un intérêt pour) et de l’intervalle temporel utilisé (au cours de la dernière année, à vie ou sans précision). De façon générale, une prévalence plus grande est associée à un énoncé de recherche faisant référence à des comportements présents et passés (avez-vous déjà pratiqué) et à un intervalle temporel plus long. Certaines études suggèrent cependant que la prévalence pourrait être plus élevée. Par exemple, Dawson, Bannerman et Lalumière (2016), dans une étude sur les intérêts paraphiliques, dévoilent que 19% des hommes et 10% des femmes rapportent être sexuellement excités par des activités liées au sadisme et que 15% des hommes et 17% des femmes rapportent être sexuellement excités par des activités liées au masochisme. En ce qui a trait à la prévalence du sadomasochisme dans les pays non occidentaux, aucune donnée n’apparait disponible.
Développement des pratiques sadomasochistes
Au cours des dernières années, le nombre d’études portant sur le sadomasochisme a plus que doublé, passant d’une dizaine d’études entre 1970 et 2000 à plus d’une cinquantaine au cours des deux dernières décennies seulement. Cependant, parmi les études réalisées, quelques-unes seulement se sont intéressées aux facteurs pouvant conduire au développement de pratiques sadomasochistes (p.ex., Breslow, Evans, & Langley, 1986; Dawson & al., 2016; Nordling, Sandnabba, & Santtila, 2000; Powls, 2006; Richters et al., 2008; Sandnabba, Santtila, Alison, & Nordling, 2002; Santtila, Sandnabba, Alison, & Nordling, 2002; Seto, Lalumière, Harris, & Chivers, 2012; Steiner, 2004; Weille, 2002; Wismeijer & Van Assen, 2013). L’un des facteurs fréquemment invoqués dans la littérature concerne la présence de traumas dans l’enfance.
Sadomasochisme et traumas dans l’enfance
Plusieurs auteurs ont suggéré que les pratiques sadomasochistes seraient liées à la présence d’événements traumatiques dans l’enfance (p.ex., Bach, 2002; Blum, 1991, 2012; Brothers, 1997; Coen, 1988; Gabbard, 2005; Glenn, 1984; Grossman, 1991; Juterbock, 2012; Loewenstein, 1957; Silverstein, 1994; Southern, 2002; Stoller, 1989, 1991; Weille, 2002) dont, plus particulièrement, des interventions chirurgicales, des maladies ou des blessures majeures (p.ex., Bach, 2002; Blum, 1991; Glenn, 1984; Stoller, 1989, 1991), de la négligence (p. ex., Blum, 1991; Coen, 1988; Southern, 2002), des agressions ainsi que des abus (p.ex., Blum, 1991, 2012; Gabbard, 2005; Grossman, 1991; Juterbock, 2012; Loewenstein, 1957; Nordling et al., 2000; Southern, 2002). Outre quelques cas cliniques anecdotiques (p.ex., Blum, 1991; Brothers, 1997; Glenn, 1984; Grossman, 1991; Loewenstein, 1957; Southern, 2002; Stoller, 1991; Weille, 2002), sept études empiriques ont évalué la présence d’événements traumatiques auprès des personnes sadomasochistes. Ces études ont évalué la prévalence des agressions physiques, sexuelles et émotionnelles, principalement passées (Bienvenu & Jacques, 1999; Breslow et al., 1986; Gosselin & Wilson,1980; Holt, 2015; Nordling et al., 2000; Powls, 2006; Richters et al., 2008). Dans leur étude américaine, Breslow et al. (1986) ont entre autres demandé à leurs participants s’ils avaient le sentiment d’avoir été agressé sexuellement ou émotionnellement durant leur enfance. Leur échantillon était composé de 272 hommes adultes hétérosexuels, bisexuels et homosexuels pratiquant le sadomasochisme. Les hommes ont été recrutés via des annonces dans des revues spécialisées, des petites annonces dans des journaux, des clubs et boutiques sadomasochistes. Les résultats révèlent que 5% des hommes avaient le sentiment d’avoir été victime d’agression sexuelle dans leur enfance alors que 27 % avaient le sentiment d’avoir été victime d’agression émotionnelle durant la même période.
Dans leur étude britannique sur les variations sexuelles, Gosselin et Wilson (1980) ont notamment évalué les expériences de punition corporelle dans l’enfance chez un échantillon de 133 hommes sadomasochistes et 50 hommes non-sadomasochistes. Les hommes ont été recrutés respectivement parmi les membres d’une organisation sadomasochiste et notamment les voyageurs en attente à l’aéroport. Les auteurs de cette étude concluent qu’il n’y a pas de différences entre les deux groupes. Malheureusement, les analyses réalisées permettant d’arriver à une telle conclusion, s’il y en a, ne sont pas mentionnées.
Dans leur étude canadienne sur les modèles de développement et de pratique dans la culture BDSM, Bienvenu et Jacques (1999) se sont aussi intéressés au sentiment d’avoir été agressé durant l’enfance/jeunesse et à l’âge adulte. Leur échantillon était composé d’environ 565 femmes et 487 hommes adultes pratiquant le sadomasochisme et ayant été recrutés sur internet. Les résultats de leur étude révèlent que 34.7 % des femmes et 16.8 % des hommes avaient le sentiment d’avoir été agressés physiquement durant leur enfance, que 44.4 % des femmes et 16.8 % des hommes avaient le sentiment d’avoir été agressés sexuellement durant leur enfance et que 53.6 % des femmes et 32 % des hommes avaient le sentiment d’avoir été agressés émotionnellement durant leur enfance. Les résultats révèlent aussi que 28.1 % des femmes ainsi que 6 % des hommes avaient le sentiment d’avoir été agressés sexuellement à l’âge adulte. Les résultats démontrent, qui plus est, qu’un nombre significativement plus élevé de femmes que d’hommes rapportait avoir le sentiment d’avoir été agressé, et ce, toute forme d’abus confondus.
Dans son étude ethnographique américaine, Holt (2015) s’est aussi intéressée aux antécédents d’agressions au début de l’âge adulte et au cours de l’enfance. Son échantillon était composé de 22 sadomasochistes ayant été recrutés via des événements dédiés à la communauté BDSM, les réseaux sociaux et l’intermédiaire d’un pair. Dans le cadre d’entrevues, 31.8% des participants ont révélé avoir des antécédents d’agressions au début de l’âge adulte ou au cours de leur enfance. Selon Holt (2015), ces résultats correspondraient au pourcentage estimé d’antécédents d’agressions dans la population générale. Cependant, les données permettant d’arriver à de telles conclusions ainsi que la nature des agressions évoquées (p.ex., sexuelle, physique) ne sont pas présentées.
Dans leur étude finlandaise, Nordling et al. (2000) ont notamment évalué la prévalence des agressions sexuelles dans l’enfance de 164 hommes et 22 femmes adultes ayant des comportements sadomasochistes et ayant été recrutés dans des clubs sadomasochistes, dont un réservé essentiellement aux hommes homosexuels. Les résultats de leur étude montrent que 7.9 % des hommes et 22.7 % des femmes ayant des pratiques sadomasochistes ont rapporté avoir été agressés sexuellement. Les auteurs mentionnent que ces prévalences sont plus élevées que la prévalence fournie par les données nationales obtenues auprès de la population adolescente recrutée dans 409 classes différentes (1-3 % hommes et 6-8 % femmes; Sariola & Uutela, 1994, 1996). Les résultats révèlent aussi que les femmes ayant des pratiques sadomasochistes (pôle sadique et masochiste confondus) rapportaient un taux significativement plus élevé d’agressions sexuelles que les hommes dans la même situation. Les auteurs mentionnent cependant que les hommes et les femmes victimes d’agressions seraient tout aussi susceptibles d’avoir vécu des expériences fréquentes. Les résultats révèlent que pour deux participants les agressions seraient survenues à 1 reprise, pour dix entre 2 et 10 reprises, et finalement pour cinq, à plus de 10 reprises.
Dans son étude britannique sur les hypothèses formulées par les théories traditionnelles sur le sadomasochisme, Powls (2006) s’est entre autres intéressé aux antécédents d’agressions infantiles en incluant aussi un groupe de comparaison composé de non-sadomasochistes. Son échantillon était composé de 489 sadomasochistes recrutés via internet et de 909 non-sadomasochistes recrutés parmi les étudiants d’une université. Les résultats de son étude révèlent qu’une proportion significativement plus importante de sadomasochistes (44.2 %) que de non-sadomasochistes (20.2 %) rapportait des agressions dans leur enfance. Cette différence significative s’étendrait aux agressions physiques (22.2 % vs 6.5 %), émotionnelles (38.7 % vs 15.9 %) et sexuelles (18.4 % vs 5.6 %). Les résultats de Powls révèlent notamment que les agressions émotionnelles et sexuelles sont des prédicteurs significatifs de l’appartenance au groupe sadomasochiste. Dans leur étude nationale sur la sexualité des Australiens, Richters et al. (2008) se sont notamment intéressés à la prévalence des expériences de coercition sexuelle chez un échantillon composé de 19 307 personnes âgées entre 16 et 59 ans recrutées via téléphone. Chez les personnes actives sexuellement, environ 1.8% (2.2% des hommes et 1.3% des femmes) ont déclaré avoir eu des comportements BDSM au cours des 12 mois précédant l’étude. Les résultats de leur étude démontrent que la prévalence d’expérience de coercition sexuelle avant l’âge de 16 ans chez les personnes ayant eu des comportements BDSM au cours de l’année précédant l’étude (13.6 % femmes et 5.2 % hommes) ne différait pas significativement de celle des personnes n’ayant pas rapporté de comportements BDSM (13.3 % femmes et 2.6% hommes). Les résultats démontrent aussi que la prévalence d’expérience de coercition sexuelle au cours d’une vie n’était pas significativement différente entre les personnes ayant eu des comportements BDSM (29.4 % femmes, 8 % hommes) et les personnes n’en ayant pas eu (21.6 % femmes et 5.2 % hommes).
Introduction |