Stratégies de conception d’une prothèse vasculaire idéale

Affections vasculaires

L’athérosclérose est la cause dominante de la majorité des maladies cardiovasculaires, auxquelles sont sujettes les artères. Cette pathologie est définie comme un remaniement de l’intima accompagné de modifications de la media. Ceci s’opère par la formation de plaques d’athérome, correspondant à une accumulation d’éléments biologiques, tels que des lipides, du sang, du tissu fibreux et des dépôts calcaires, et pouvant se solidifier au fil des années. Ces dépôts augmentent l’épaisseur de l’intima et entraînent un rétrécissement de la lumière des artères, appelé sténose (Toussaint, 2003). Le passage de la circulation sanguine est alors obstrué et se traduit par une diminution du débit et de l’apport en oxygène aux tissus.8 Ultimement, cela peut mener à une ischémie3 des tissus causée par l’obstruction complète d’une artère, soit par la formation d’un thrombus, ou caillot sanguin, au niveau des plaques d’athérome, soit par la rupture de la plaque et sa migration en aval dans l’arbre artériel. Les conséquences peuvent être particulièrement graves. Au niveau du cœur, l’occlusion d’une artère coronaire entraîne un infarctus du myocarde, communément appelé crise cardiaque, et se révèle mortel dans 10 % des cas.

Dans le cas de l’occlusion d’une artère cérébrale, engendrée par le détachement d’une plaque carotidienne ayant migré dans le cerveau, cela va causer un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique. Concernant les autres vaisseaux dits périphériques, les maladies artérielles sont généralement associées aux membres inférieurs. Les patients atteints d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs, dont les lésions sont localisées pour 70 % aux niveaux fémoro-poplité et tibial (Tondreau, 2015), peuvent développer une claudication intermittente pouvant progresser vers des ulcères de la jambe et une gangrène dans le cas d’ischémie critique (Andreassian et al., 1994; Norgren et al., 2007). Dans ce dernier cas, environ 25 % des patients vont nécessiter une amputation (Conte & Vale, 2018). À l’échelle mondiale, 85 % des décès liés aux maladies cardiovasculaires ont été provoqués en 2016 par une crise cardiaque ou un AVC (World Health Organization, 2019). Particulièrement aux États-Unis, les maladies cardiovasculaires ont représenté en 2014 environ 4,8 millions d’hospitalisations, attribuées pour 21 % aux maladies coronariennes, 19 % aux AVC et 2 % aux maladies artérielles périphériques (en chiffres, respectivement : 1 021 000, 880 000 et 115 000). Des coûts considérables de 351,2 milliards de dollars sont afférés au traitement de ces maladies. Par exemple, cela représente des coûts moyens de 168 500 $ associés à chaque chirurgie de revascularisation coronarienne, dont 371 000 ont été réalisées en 2014 (Benjamin et al., 2019). Améliorer la qualité et l’efficacité des traitements actuels reste ainsi au cœur des préoccupations afin de limiter les récidives coûteuses et risquées.

Stratégies de traitement

Dans le traitement des sténoses artérielles, plusieurs techniques sont disponibles afin de rétablir le flux sanguin vers les tissus lorsque la médication n’est pas suffisante. Le choix du traitement s’effectue selon le stade d’évolution et la gravité de la pathologie (Figure 1.2). Différentes approches existent : les techniques curatives endovasculaires (angioplastie, stent) et les techniques réparatrices de pontage. L’angioplastie (Figure 1.2B) est souvent réalisée dans les premiers stades de formation d’une plaque d’athérome. La procédure consiste à faire dilater un ballonnet gonflable au niveau du rétrécissement artériel, permettant le rétablissement d’un calibre artériel correct. Dans 30 à 50 % des cas, une nouvelle sténose (resténose) se développe dans les mois suivant l’angioplastie et une nouvelle intervention de revascularisation est nécessaire pour 20 à 30 % des patients (Byrne et al., 2017; Moussavian, Casterella, & Teirstein, 2001). La technique a alors été améliorée par le déploiement d’une endoprothèse non couverte (Figure 1.2C). Appelée stent, il s’agit d’un dispositif métallique en acier inoxydable ou en alliage, chargé de maintenir ouverte la lumière de l’artère. Certains stents sont couverts d’une substance pharmaco-active qui est libérée localement afin de limiter les risques de resténose. Dans un certain nombre de cas cependant, l’obstruction du vaisseau est trop importante pour permettre la pose d’un stent et un pontage vasculaire (Figure 1.2D) est recommandé. Cette technique chirurgicale fréquente consiste à contourner l’artère obstruée, soit à dévier le flux sanguin en amont de la sténose vers une autre artère au moyen d’un conduit biologique ou synthétique. Bien que beaucoup plus invasif, le pontage demeure parfois la solution de choix afin de revasculariser efficacement le cœur ou les vaisseaux périphériques, notamment lorsque la zone obstruée est large ou complexe (Byrne et al., 2017). Les premiers pontages ont été réalisés grâce à des vaisseaux autologues, le plus souvent la veine saphène ou l’artère mammaire. Ils sont encore couramment employés aujourd’hui (Chlupác et al., 2009; Hillis et al., 2011). Cependant, les vaisseaux autologues ne sont pas toujours disponibles, dans un état pathologique ou d’une taille inadéquate (Kottke‐Marchant & Larsen, 2006) : environ 30 % des patients ne disposent pas de vaisseaux adéquats pour une greffe autologue (Carrabba & Madeddu, 2018). De plus, les taux de réussite des conduits restent limités : 10 à 15 % des greffes veineuses s’obstruent dans l’année suivant la chirurgie, jusqu’à 50 % après 10 ans d’implantation. Ces résultats sont améliorés avec des greffes artérielles mais démontrent encore 15 % d’échec après 10 ans (Goldman et al., 2004; Harskamp, Lopes, Baisden, De Winter, & Alexander, 2013). Une nouvelle intervention de revascularisation est souvent nécessaire mais est restreinte par la disponibilité des vaisseaux des patients.

Perméabilité des conduits implantés

Le paramètre de perméabilité (patency) est employé pour qualifier le succès ou l’échec d’un conduit implanté : une prothèse est considérée perméable si elle conserve au moins 50 % de son diamètre originel (Lehnert, Møller, Damgaard, Gerds, & Steinbrüchel, 2015; Rutherford et al., 1997). En effet, une nouvelle sténose peut se développer à l’intérieur de la prothèse après l’implantation, les causes étant détaillées à la section suivante. La définition de l’échec des greffons peut cependant différer d’une étude à l’autre. Lors d’une resténose, il est généralement considéré que le conduit est occlus au moins partiellement, avec un rétrécissement du diamètre original de plus de 50 % (Bussières, Tremblay, & Lacasse, 2018; Buxton et al., 2009). Les conduits synthétiques démontrent des résultats à long terme satisfaisants pour le remplacement de vaisseaux de large diamètre (∅ > 8 mm), tels que les pontages aorto-iliaques avec des taux de succès de 90 %. Pour les artères de calibre moyen (6-8 mm), les résultats s’équivalent entre l’emploi de greffon autologue ou synthétique (Chlupác et al., 2009). Cependant, les prothèses connaissent un faible taux de succès pour le remplacement d’artères de petits calibres (∅ < 6 mm) pour lesquelles les autogreffes sont préférées (Greenwald & Berry, 2000), comme il est possible de l’observer sur la figure ci-dessous.

Mécanismes

Dans les premiers mois suivant l’implantation, l’échec des prothèses est principalement dû à la thrombose (van Lith & Ameer, 2011), qui consiste en la formation d’un caillot sanguin, dit thrombus. Celui-ci est le produit final de la cascade de coagulation. Ce processus complexe est déclenché à plusieurs niveaux suite à l’implantation d’une prothèse. Au niveau des anastomoses4, l’acte chirurgical va endommager l’endothélium des vaisseaux natifs par la suturation de la prothèse. L’exposition des protéines sous-jacentes initie alors la voie extrinsèque de la cascade de coagulation, à laquelle s’ajoute la réaction inflammatoire (van Lith & Ameer, 2011). À la restauration du flux sanguin lors de la chirurgie, la surface luminale de l’implant se recouvre de protéines plasmatiques non spécifiques, suivi par un processus d’adsorption et désorption entre les protéines selon leur degré d’affinité avec le matériau (effet Vroman). L’adsorption de protéines, telles que celles du complément5, participe à l’activation du système du complément et des processus inflammatoires (Anderson, Rodriguez, & Chang, 2008). Le fibrinogène adsorbé à la surface du biomatériau contribue à la coagulation, avec l’adhésion et l’activation des plaquettes. Substitué progressivement par du kininogène de haut poids moléculaire, la voie intrinsèque de la cascade de coagulation se déclenche également (Gorbet & Sefton, 2004). Ultimement, cela va mener à la formation d’un thrombus puis à l’obstruction de la lumière de la prothèse (Gorbet & Sefton, 2004; van Lith & Ameer, 2011). De plus, des perturbations hémodynamiques au niveau des anastomoses ou des turbulences locales du flux sanguin liées à la forme des prothèses (gaufrage ou cosselage) peuvent induire une agrégation plaquettaire et contribuer à la coagulation (Gorbet & Sefton, 2004).

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 REVUE DE LITTÉRATURE
1.1 Contexte clinique
1.1.1 Structure et pathologies artérielles
1.1.1.1 Structure d’une artère saine
1.1.1.2 Affections vasculaires
1.1.2 Stratégies de traitement
1.1.3 Prothèses vasculaires synthétiques
1.1.4 Perméabilité des conduits implantés
1.1.5 Causes d’échec des prothèses vasculaires
1.1.5.1 Thrombose
1.1.5.2 Hyperplasie néointimale
1.1.5.3 Défi des prothèses de petit diamètre
1.2 Cahier des charges d’une prothèse vasculaire
1.2.1 Considérations mécaniques et physiques
1.2.1.1 Comportement mécanique de la paroi artérielle
1.2.1.2 Compliance
1.2.1.3 Pression à la rupture
1.2.1.4 Étanchéité à l’implantation
1.2.2 Éviter la thrombose
1.2.2.1 Mécanismes d’endothélialisation in vivo
1.2.2.2 Stratégies d’endothélialisation
1.2.2.3 Considérations architecturales
1.3 Stratégies de conception d’une prothèse vasculaire idéale
1.3.1 Prothèses en polyuréthane
1.3.2 Analyse des travaux sur les implants vasculaires
1.3.3 Travaux majeurs en étude clinique
1.3.3.1 Approches en génie tissulaire
1.3.3.2 Matrices électrofilées
1.3.4 Électrofilage de prothèses vasculaires
1.3.4.1 Avantages de l’électrofilage
1.3.4.2 Type de matériau
1.3.4.3 Prothèses multicouches
1.3.5 Facteurs influençant la conception et la sélection du matériau
1.4 Fabrication de fibres par électrofilage
1.4.1 Principe
1.4.2 Paramètres de fabrication
1.4.2.1 Diamètre des fibres électrofilées
1.4.2.2 Morphologie des structures
1.5 Stratégies à la base du projet
CHAPITRE 2 HYPOTHÈSES ET OBJECTIFS DE RECHERCHE
2.1 Cadre du projet
2.2 Objectifs et hypothèses spécifiques
2.2.1 Premier objectif
2.2.2 Second objectif
2.2.3 Troisième objectif
CHAPITRE 3 TOWARDS COMPLIANT SMALL-DIAMETER VASCULAR GRAFTS: PREDICTIVE ANALYTICAL MODEL AND EXPERIMENT
3.1 Mise en contexte
3.2 Abstract
3.3 Introduction
3.4 Materials and Methods
3.4.1 Analytical model
3.4.2 Fabrication of tubular scaffolds
3.4.2.1 Materials
3.4.2.2 Electrospinning
3.4.3 Materials characterization
3.4.3.1 Scaffolds morphology
3.4.3.2 Samples dimensions
3.4.3.3 Tensile tests
3.4.4 Vascular grafts characterization
3.4.4.1 Compliance
3.4.4.2 Water permeability
3.4.4.3 Burst pressure
3.5 Results
3.5.1 Calculations from the analytical model
3.5.2 Materials characterization
3.5.2.1 Morphology
3.5.2.2 Tensile properties
3.5.3 Vascular grafts characterization
3.5.3.1 Compliance
3.5.3.2 Burst pressure
3.5.3.3 Permeability
3.6 Discussion
3.7 Conclusion
CHAPITRE 4 DESIGN AND IN VIVO TESTING OF A COMPLIANT AND BIOACTIVE ELECTROSPUN POLYURETHANE VASCULAR PROSTHESIS
4.1 Mise en contexte
4.2 Abstract
4.3 Introduction
4.4 Materials and Methods
4.4.1 Grafts production
4.4.1.1 Materials
4.4.1.2 Electrospinning
4.4.1.3 Bioactive coating (Plasma-polymerization and Chondroitin-Sulfate Coating
4.4.1.4 Grafts preparation for in vivo tests
4.4.2 In vitro characterization
4.4.2.1 Composition, morphology and permeability
4.4.2.2 Mechanical characterization
4.4.2.3 Ageing
4.4.3 In vivo implantation
4.4.3.1 Study design
4.4.3.2 Animal selection and care
4.4.3.3 Surgical protocol
4.4.3.4 Ultrasonographic follow-up
4.4.3.5 Animal sacrifice and graft analyses
4.4.3.6 Study termination
4.4.4 Statistical analysis
4.5 Results
4.5.1 In vitro characterization
4.5.2 In vivo operative outcomes and animal management
4.5.3 Ultrasonographic baseline and follow-up data
4.5.4 Macroscopic analyses and histological examinations
4.6 Discussion
4.7 Conclusion
CHAPITRE 5 DETERMINATION OF THE ADHESION BETWEEN ELECTROSPUN MATS THROUGH PEEL TESTS
5.1 Mise en contexte
5.2 Abstract
5.3 Introduction
5.4 Materials and Methods
5.4.1 Materials and specimen fabrication
5.4.2 Scaffold morphology and dimensions
5.4.3 Peel test
5.4.4 Differential scanning calorimetry
5.4.5 Statistical analysis
5.5 Results
5.5.1 Mats characterization
5.5.2 Adhesive strength
5.6 Discussion
5.7 Conclusion
CHAPITRE 6 DISCUSSION GÉNÉRALE
6.1 Conception d’une structure tubulaire compliante par électrofilage
6.2 Vérification de l’implantabilité de la prothèse développée
6.3 Implantation in vivo : évaluation de la perméabilité et de l’endothélialisation
de la prothèse avec revêtement bioactif
6.4 Cohésion des structures électrofilées
6.5 Contributions originales du projet
6.6 Perspectives d’avenir des prothèses électrofilées
CONCLUSION
ANNEXE I PROTHÈSES VASCULAIRES ÉLECTROFILÉES DANS LA LITTÉRATURE
ANNEXE II ÉTUDE PRÉLIMINAIRE DES TYPES DE STÉRILISATION DES PROTHÈSES ÉLECTROFILÉES
ANNEXE III RETOURNEMENT DE LA PROTHÈSE ÉLECTROFILÉE
ANNEXE IV ÉTUDE DU GREFFAGE CS SUR PU/PCL
LISTE DE RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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