L’expérience des parents en lien avec les pleurs de leur enfant
Écouter les récits des parents permet de mieux comprendre leur expérience et leurs besoins en lien avec la naissance d’un enfant. Ces narrations de parents proviennent de données empiriques issues des précédents travaux effectués autour de la période périnatale et d’une précédente recension des écrits (Coulon, 2015; Coulon & Baillod, 2012; Coulon & Congiu-Mertel, 2016).
Les défis de la naissance et de la parentalité sont d’abord présentés en lien avec le devenir parent gratifiant et parfois épuisant (Holden, 2010). Le stress parental est ensuite défini en abordant les sources de stress parental. Les caractéristiques personnelles du parent ou de l’enfant directement, la relation conjugale et les conditions socioéconomiques peuvent avoir une influence.
Les défis de la transition à la naissance
La naissance d’un enfant représente un évènement extraordinaire dans la vie d’un homme et d’une femme, souvent idéalisée dans la société occidentale. Le développement parental relève d’un processus.
Stem (1998) décrit trois étapes dans le processus du développement de l’identité maternelle. La première étape est une phase « préparatoire» qui débute pendant la grossesse à mesure que le corps fabrique le fœtus et que l’esprit se prépare à accueillir sa nouvelle identité de mère. Elle intègre l’expérience de l’accouchement. La deuxième étape est la phase de « la naissance» d’une mère, allant de la naissance du bébé qui joue un rôle important dans la progression de la femme vers l’éveil de son identité psychologique de mère, aux mois qui suivent la naissance. Il Y a trois enfants qui arrivent ensemble au moment de la naissance. L’enfant imaginaire, de ses rêves et de ses fantasmes, et le fœtus invisible mais réel, dont les rythmes particuliers et la personnalité se sont faits de plus en plus évidents au fil des mois, se confondent avec le véritable nouveau-né que l’on peut voir, entendre et enfin tenir tout contre soi. (Brazelton & Cramer, 1991, p. 44)
Au moment de la naissance, certaines familles baignent dans des narrations qui idéalisent la naissance de l’enfant et de la famille. Les narrations de l’entourage familial, social et médical peuvent renforcer le décalage entre le ressenti réel et les représentations de cette nouvelle expérience. Les premiers jours, la mère et le père vont chercher chez l’enfant des signes de ressemblances morphologiques puis comportementales pour inscrire le nouveau-né dans leur filiation permettant ainsi « d’accueillir l’enfant et de lui donner sa place dans l’histoire de la famille» (Cyrulnik, 2001, p. 59).
Le défi d’accueillir l’enfant réel, lui donner sa place et abandonner l’enfant imaginaire survient alors. Cela est d’autant plus difficile que « toutes les mères espèrent que leur bébé assouvira certains de leurs besoins, de leurs ambitions, et de leurs désirs et, inversement, qu’il réparera leurs échecs et leurs déceptions. » (Stem & Bruschweiler-Stern, 1998, p. 76). Il faut d’abord assurer la survie de son bébé. Cette responsabilité fondamentale fait naitre beaucoup de peurs et de questions. La mère est ensuite confrontée au défi de construire un lien intime avec son bébé. La mère « se sent appelée à donner des soins à un bébé qui a faim, doit être nettoyé, crie, et fait connaitre ses besoins» (Lebovici & Stoleru, 1983, p. 143). Un sentiment d’ambivalence ou de haine précoce de la mère pour son bébé, après des angoisses de grossesse pour l’intégrité physique du fœtus, peut naitre (Winnicott, 1969). La troisième étape de Stem concerne le besoin des mères d’être réconfortées, écoutées, encouragées et soutenues par des femmes qui ont de l’expérience.
La naissance modifie la structure et l’organisation dans les relations conjugales et parentales en lien avec l’ajustement des rôles de chacun pour répondre aux besoins de l’ enfant (Minuchin, 1974). Cette transition familiale est une période de vulnérabilité pour les parents, empreinte d’ émotions voire de stress et de changements parfois imprévisibles (Dugnat, 2002; Schulz, Cowan, & Cowan, 2006; Shapiro, Gottman, & Carrere, 2000; Will & Bianchi-Demicheli, 2006). L’étape du cycle de vie familiale avec un enfant avant 2 ans, est la période de la vie la plus exigeante en temps parental et investissement (Lamb, Teti, Bornstein, & Nash, 2002; Mc Goldrick, Preto & Carter, 2015).
La vulnérabilité parentale est associée au facteur « manque de soutien social» (Dennis et al., 2004; Glazier et al., 2004; Liabsuetrakul et al., 2007; Priel & Besser, 2002). La vulnérabilité est un concept qui se développe et se distingue de l’individu (BrodiezDolino, 2015; Martin, 2013). Elle se conçoit dans un cadre relationnel entre un individu et une famille avec leurs caractéristiques respectives, qui fait partie d’un contexte. L’aspect potentiel de la vulnérabilité offre la possibilité de la contrer pour diminuer le risque: « La vulnérabilité est en ce sens intimement liée à l’idée de capacité d’action» (ONED, 2014, p. 129). Elle peut refléter la perte de repères dans un monde fait de bouleversements et de changements et interroge les solidarités (Kaes, 2013, Soulet, 2013, 2014). La vulnérabilité périnatale peut se défmir comme une situation de transition dans laquelle différents facteurs de stress peuvent compromettre ou fragiliser la santé des femmes, des hommes et des familles qui expérimentent la naissance d’un enfant (Lessick, Woodring, Naber, & Halstead, 1992; Rogers, 1997). Elle est en partie liée au contexte environnemental. Les pleurs du bébé représentent un contexte propice à cette vulnérabilité. A six semaines de vie, ils sont parmi les trois évènements critiques ou stressants les plus mentionnés par les familles (de Montigny & Lacharité, 2002; Kurth et al., 2010; Razurel et al., 2010). De Montigny les défmit comme des « moments significatifs pour les parents dans la période postnatale susceptible d’influer sur leur adaptation parentale» (de Montigny & Lacharité, 2002, p. 64). Ces pleurs, qui laissent parfois les familles démunies, que les parents n’arrivent pas à calmer, deviennent très vite une source de préoccupation importante. Ils peuvent générer de l’anxiété et de forts sentiments d’impuissance, de stress et d’incompétence, accompagnés parfois de colère face aux pleurs perçus comme excessifs. Les familles utilisent des mots forts comme « l’horreur» pour évoquer un phénomène dont elles n’avaient que peu entendu parler parfois en termes de « coliques des trois premiers mois reliées au système digestif» (Coulon & Congiu-Mertel, 2016). Les pleurs du nourrisson, décrits comme un stress parental dans la littérature, représentent une des raisons majeures rapportée par les parents pour consulter un professionnel (de Montigny & Lacharité, 2002; Kurth et al., 2010; Razurel, Bruchon-Schweitzer, Dupanloup, Irion, & Epiney, 2011). Les connaissances des parents, sur la manière de composer avec les défis, sont peu nombreuses et ne correspondent pas toujours aux représentations et besoins des mères (Coulon, 2015; Proctor, 1998; Razurel et al., 2011; Tarkka & Paunonen, 1996). Les mères ont besoin d’être informées à l’accueil et à la sortie du service postpartum pour être reconnues, se préparer et être accompagnées si nécessaire à la maison (Coulon & Congiu-Mertel, 2016). Les informations concernent le bébé, les pleurs, les soins à lui apporter, ses principales pathologies et sont nécessaires et prioritaires pour les parents pour mieux comprendre le bébé, effectuer des choix et s’adapter en plus du soutien à l’allaitement. Poser des questions présuppose pour les parents un espace pour le faire, une écoute, une empathie, un non-jugement, une disponibilité, de la patience et de la compréhension, sans ressentir de pression (Coulon & Congiu Mertel, 2016). Les mères expriment également un besoin psychologique de soutien affectif, d’écoute, d’encouragement, de réassurance, de réconfort avec des réponses concordantes, en lien avec l’anxiété, les pleurs, le retour à la maison, l’allaitement (Coulon & Congiu-Mertel, 2016). Elles peuvent révéler un sentiment d’inconfort, une ambivalence, une anxiété, voire des symptômes dépressifs.
Les mères déplorent l’incapacité des soignantes à se mettre dans leur peau d’ « être mères pour la première fois» et ne ressentent aucune humanité de la part de soignantes « robots ». Elles apprécient un minimum de proximité, des gestes de compréhension comme s’assoir à côté, prendre du temps pour parler de leurs préoccupations majeures, manifester leur émotion et être réconfortées (Bondas-Salonen, 1998; Coulon & CongiuMertel, 2016). Des souvenirs de rencontres « caring», d’une attitude et d’efforts du soignant pour comprendre, demander et écouter persistent deux ans et demi après l’accouchement (Bondas-Salonen, 1998).
Introduction |