Le but visé par cette thèse est l’ identification du discours sur l’identité du Canada comme une seule nation tel qu’ il informe l’ historiographie nationale canadienne-anglaise au cours de ses périodes déterminantes. Nous postulons donc, pour chacune de ces périodes et de façon indépendante, l’existence d’ un tel discours identifiable à la manière dont il oriente cette historiographie. Mais qu ‘est-ce qui justifie un tel postulat? Dans ce chapitre, nous nous proposons dans un premier temps d’élaborer sur ce lien entre l’historiographie nationale, comme pratique et de façon générale, et le discours sur l’identité de la nation. Dans un deuxième temps, nous partons de ces réflexions pour mieux poser le problème dans le contexte spécifique du Canada anglais. Ensuite, nous présentons une synthèse critique de la littérature sur le sujet qui nous permettra, finalement, d’exposer notre problématique de recherche et d’ établir le corpus.
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES
Quel est le lien entre l’historiographie nationale et le discours sur l’identité de la nation? Pour répondre à cette question, il faut d’ abord noter que l’ historiographie nationale est inséparable d’une conception de la nation qui, bien que n’étant pas exempte d’ambiguités, se fixe au cours du XIXe siècle en Occident.
Nous entendons par « discours sur l’identité de la nation» une description générale et partagée sur l’essence, la nature ou l’identité d’ une nation spécifique. Il s’agit d’une réponse, qui se veut réfléchie et construite, aux questions du genre: Qu’est-ce que la nation française? Qu’est-ce qu’un Hongrois? Qu’est-ce qui constitue la nation espagnole? Etc.
C’est un lieu commun, d’une part, d’affirmer que la « nation» devient, au cours du XlXe siècle, un argument majeur de mobilisation politique. Certains ont d’ailleurs évoqué, pour décrire le « long XIXe siècle », la formule « siècle des nationalités ». Or, si on en appelle à la « nation» lors de la Révolution française, il faut voir que la conception de ce qu’elle est se modifiera substantiellement quelques décennies plus tard. Elle se mesurera ultimement à sa profondeur historique et à ses « racines ». Comme l’indique l’historien Miroslav Hroch, en Europe au XIXe siècle, there was agreement on the ‘perennialist ‘ idea of a nation, and tha! the past was thus the decisive criterion of a nation ‘s existence.
Dans son maître-ouvrage, Historiography: Ancient, Medieval, and Modern, l’historien Ernst Breisach proposait l’explication suivante au sujet de cette modification, du moins en ce qui concerne la France: In 1815, after the failure of both the Jacobin radical ex periment and the Napoleonic Empire, the French embarked on a quest for proper political structure for French society. Since that search clearly aimed at finding not the best political structure in the abstract but rather the one proper for French society, the answer could only be found in the French past, and historians became the guides in the search . L’échec de la Révolution, en un certain sens, celui de l’Empire également, auraient signalé la défaite d’une tradition de pensée qui fondait le politique sur sa stricte organisation « rationnelle». Désormais, le passé national serait le meilleur garant de l’avenir politique. S’il s’agissait d’un événement de pensée pour les Français, ce le fut aussi pour d’ autres Européens, notamment pour les Britanniques comme en témoignent la publication et le succès que connaissent les Reflections on the Revolution in France d’Edmund Burke.
Pour Anne-Marie Thiesse, une tâche nouvelle échoit aux historiens au cours du XIXe siècle, soit celle de formuler« [ … ] un récit continu qui retrace un long cheminement dont le sens, malgré toutes les vicissitudes, tous les obstacles, est donné par le génie national ». En France comme en Grande-Bretagne, mais aussi en Allemagne et ailleurs, les historiens se mettent à sonder le passé de la nation pour mieux en extraire les valeurs propres et les leçons politiques qui la concernent. Comme l’exprime Hroch, [ … ] ‘historical experience ‘ provided the foundation for the construction of specifie examples ofmoral standards for both (national/y) positive and negative behaviour. Ambitions and aspirations for the future of the nation and the ideal characteristics of ils members were reflected in narrations of the past as wel/ as in the selection ofmodel examples . L’identité de la nation devient donc, selon l’expression de Michel de Certeau, le «mode d’intelligibilité » de tout un pan de l’historiographie à partir du xrxe siècle. C’est la réflexion de Herder, exprimée dans ses Idées pour une philosophie de 1 ‘histoire de 1 ‘humanités et selon laquelle «chaque nation porte en elle son centre de félicité, de même que chaque sphère a en elle son centre de gravité », qui connait ainsi une postérité imprévue .
Si on ne prête généralement plus à l’historiographie la capacité de révéler le « génie national» dans ce que cette notion implique d’ idéalisme et de romantisme (pensons à la Volksseele allemande), l’idée que la nation a en elle son « centre de félicité », son principe ou son conatus, semble toujours indissociable du geste qui consiste à faire le récit de la nation.
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