The Law of Peoples: Présentation, Critiques et Défenses
Depuis sa publication, la théorie de la justice internationale de Rawls n’a aucunement cessé d’être l’objet d’études approfondies et de débats étendus. De ce fait, elle s’est retrouvée tantôt rejetée tantôt fortement appréciée, et souvent critiquée ou commentée par bon nombre de philosophes politiques. J’ai donc décidé de présenter, dans ce premier chapitre de ma thèse doctorale, une vue d’ensemble du débat autour de cette théorie.
Il faut mentionner, pour commencer, que bien avant ses travaux sur la justice globale, Rawls avait proposé une théorie de la justice sociale pour les sociétés libérales et démocratiques. Il avait estimé que l’existence des tensions au sein d’une société résultait de l’absence d’un sens commun de la justice; et que par conséquent, la justice devrait être la vertu première de toute institution sociale. Théorie de la Justice publiée en 1971 a été sa proposition de solution pour un possible perfectionnement des sociétés libérales nationales. Il y propose deux principes fondamentaux de justice qui auraient pour effet immédiat l’élimination d’éventuelles injustices entre citoyens. Comme nous le verrons plus tard, au niveau international, il en proposera huit pour garantir un climat de justice et de paix entre les peuples du monde.
Le premier principe au niveau national s’intitule principe de libertés égales, et stipule que « chaque personne a une même prétention indéfectible à un système pleinement adéquat de libertés de base égales, qui est compatible avec le même système de libertés pour tous (principe des libertés égales) » ; tandis que le second, intitulé le principe de différence annonce que « les inégalités économiques et sociales doivent remplir deux conditions: elles doivent d’ abord être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous dans des conditions d’ égalité équitable des chances ; ensuite, elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus défavorisés de la société (principe de différence). »
Toujours au niveau national, Rawls a fait intervenir un instrument heuristique particulier nommé « la position originelle », considéré comme fiable et adapté pour la sélection des principes les plus justes possibles. Il définit cette position originelle comme une sorte d’ assemblée hypothétique, objective et impartiale de délibération, constituée par les représentants des citoyens de la société, et dans laquelle toutes les voix seraient prises en compte.
Aussi, pour des raisons d’impartialité, Rawls demande qu’ au sein de la position originelle, les représentants soient placés derrière un voile d’ignorance, ignorant certains éléments d’ euxmêmes et de leurs communautés respectives. Ils ne devraient pas tenir compte de leur place dans la société, ni de leur part dans la répartition des atouts naturels dans les négociations. Leur projet personnel de vie, les traits particuliers de leur propre psychologie, leurs inquiétudes et leurs souhaits, devraient aussi être ignorés. Le minimum de données en leur possession servirait en la capacité nécessaire de faire des choix raisonnables. Ils devraient ainsi avoir une connaissance générale de la société et de son organisation, une bonne compréhension des affaires politiques et des principes économiques et enfin, ils devraient posséder les deux facultés morales essentielles : le sens de la justice et la capacité d’une conception du bien.
Partir de cette théorie de la justice pour les sociétés internes serait seyant, et méthodologiquement efficace, pour la bonne saisie de ce qui nous concerne dans nos travaux, en l’occurrence sa théorie de la justice internationale. En effet, pour sa théorie internationale, Rawls reprend l’essentiel de tous les éléments mentionnés plus haut. La position originelle et le voile de l’ignorance sont simplement transposés à l’échelle internationale, mutatis mutandis. L’assemblée hypothétique internationale se retrouve ainsi constituée par les représentants des peuples et non des individus.
Sur ce point, plusieurs auteurs auraient préféré VOIr Rawls garder l’idée de faire représenter les individus au niveau global. S’il fallait aborder la théorie internationale à l’aune de sa théorie de la justice nationale, l’idée immédiate serait d’avoir, pour une justice globale, une position originelle qui représenterait tous les citoyens de la terre, ou plus simplement, tous les États-nations déjà existants. Mais Rawls parle de représentants des peuples. Il exécute ici un premier retournement. Il développe un concept de peuple et invite les représentants de ces peuples à sélectionner les principes de justice internationale collectionnés parmi « les principes de justice familiers et traditionnels entre peuples libres et démocratiques ». Les huit principes retenus se présentent comme suit:
1- Les peuples sont libres et indépendants, et leur liberté et leur dépendance doivent être respectées par les autres peuples.
2- Les peuples doivent respecter les traités et les engagements.
3- Les peuples sont égaux et sont les partenaires des accords qui les lient.
4- Les peuples doivent observer un devoir de non-intervention.
5- Les peuples ont un droit d’autodéfense, mais pas le droit d’engager une guerre pour d’autres raisons que l’autodéfense.
6- Les peuples doivent respecter les droits de l’homme.
7- Les peuples doivent observer certaines restrictions particulières dans la conduite de la guerre.
8- Les peuples ont un devoir d’aider les autres peuples vivant dans des conditions défavorables qui les empêchent d’ avoir un régime politique et social juste ou décent.
Le monde international de Rawls est fait de peuples et non d’États. Des peuples bien ordonnés d’une part, et les peuples mal organisés ou moralement inappropriés d’autre part. Sa théorie se présente ainsi en deux versions: la version idéale, en lien avec les peuples bien ordonnés; et la version non idéale qui traite des peuples mal organisés. Il distingue aussi 5 types de peuples : les peuples libéraux, les peuples décents, les peuples entravés, les absolutistes bienveillants et les peuples hors-la-loi.
Seuls les deux premiers peuples: les peuples libéraux et les peuples décents, sont moralement admissibles au sein de la société des peuples. Ainsi, constituent-ils le noyau de la société internationale idéale.
Les peuples libéraux sont des peuples ayant des institutions démocratiques et libérales. Ils se caractérisent par le respect des droits et libertés humains, la promotion de l’ égalité des chances pour tous les citoyens, et le contrôle des pouvoirs par les citoyens au travers des élections et autres procédés. Les peuples libéraux ont un gouvernement constitutionnel et raisonnablement juste qui défend les intérêts fondamentaux de ses citoyens. Ils ont un caractère moral prononcé, et veulent vivre dans un monde stable et en paix qui garantit leurs intérêts fondamentaux se résumant essentiellement à la protection de leur indépendance politique et leur culture libre avec ses libertés civiles. De toute évidence, les peuples libéraux adopteraient volontiers les possibles interprétations des huit principes de justice internationale proposés par Rawls et épouseraient les idéaux de la Société des Peuples.
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