UN PAS VERS LA PERFORMANCE ORGANISATIONNELLE
L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) présente en 1992 ses objectifs liés à la performance des systèmes de santé pour ses 35 pays membres répartis à travers le monde (Hurst et lee-Hugues, 2001). Pour la moitié des pays membres de l’OCDE, l’accès aux soins, en temps opportun, est l’un des problèmes cruciaux des systèmes de santé (Postma et Roos, 2015). Le manque de coordination des soins est également un élément d’insatisfaction chez les usagers qui entraîne une fragmentation de l ‘ offre de soins et par conséquent, des soins de qualité inférieure (Bodenheimer, 2008 ; Hellman, Kastberg, Siverbo, 2014). Les dirigeants de la santé repensent et remodèlent en profondeur les structures, les processus et les relations existants entre les différentes parties prenantes pour améliorer la performance du système de santé (Bishop, 2014). L’objectifprincipal de la réforme de 2003 et celle de 2015 se résume à stimuler, une fois de plus, l’intégration tant sur le plan de la gouvernance que sur le plan clinique par le développement de trajectoires de services qui font davantage appel, selon Aghren (2003) et Pellinen, Teittinen, Jarvenpaa (2016), aux principes d’interdisciplinarité pour régler les problèmes d’accès et de continuité. Le gouvernement aurait la ferme intention, avec la réforme actuelle, de sceller les problèmes d’interfaces entre les missions des différents établissements (Commission de révision permanente des programmes, 2015) en les intégrant sous une seule et même gouvernance au sein des CISSS et des CIUSSS.
Une revue de littérature permet de circonscrire deux approches d’intégration. L’une est structurelle et l’autre se réalise sur une base de collaboration volontaire (Packard et al., 2012). L’intégration structurelle se résume à la fusion de deux ou plusieurs organisations auparavant autonomes sous une seule juridiction administrative. La collaboration, quant à elle, englobe des relations formelles et informelles entre différentes organisations offrant une perspective d’échanges de ressources pouvant soutenir des objectifs communs (Sowa, 2008). Les démarches d’ intégration démontrent que celles-ci sont des éléments déterminants pour accroître l’accessibilité, la continuité et la qualité des soins et des services (Aghren, 2003 ; Reddy, 2016). Les principales raisons de la lenteur des progrès d’intégration horizontale sont les débats corporatifs entre les parties prenantes et une structure favorisant le pouvoir vertical ou top down (Aghren, 2003 ; Pettersen et Solstad, 2013) venant alourdir les processus décisionnels par la centralisation du pouvoir entre les mains d’une seule personne. L’idée des fusions provient d’une volonté politique quant à la réduction des coûts de structures et de gouvernance et par la performance de l’accès et de la continuité des soins et services dans la communauté. Elles s’inscrivent dans une politique active de fusions et d’intégration par la centralisation des pouvoirs et ce, malgré des données probantes quant au peu d’avantages à fusionner les établissements de santé (Aghren, 2014). Les gouvernements en font un enjeu politique important nonobstant les bouleversements et les turbulences créées au sein des systèmes de santé (Gaynor, Laudicella, Propper, 2012).
Le système intégré de gestion de la performance (SIGP)
Conscient des écueils vécus au cours des dernières réformes, le gouvernement actuel a comme intention de changer la gestion traditionnelle du réseau de la santé et des services sociaux par la mise en place d’un système intégré de gestion de la performance (Lagacé et Landry, 2016). Malgré la diminution des paliers décisionnels qui interpelle une gestion horizontale, les nouveaux organigrammes favorisent davantage la gestion en silos par la mise en place de grandes directions créant ainsi des tensions dans l’élaboration des nouvelles trajectoires pour les patients. Le mode traditionnel de gestion soutenu par le PODC (Planifier-Organiser-Diriger-Contrôler) de Fayol (1918-1979) ne suffit plus à la tâche selon Demers et al., (2002). Roy, Litvak, Paccaud (2010) soulignent que la gestion traditionnelle est un modèle adéquat dans un environnement relativement stable et qu’une organisation en silos peut convenir.
Les organisations de santé et de services sociaux sont organisées selon une logique d’intégration verticale, c’est-à-dire d’un contrôle hiérarchique, top down, qui passe, entre autres choses, par l’aspect du contrôle budgétaire (Pellinen et al., 2016). Or, dans le contexte actuel de fusions et du caractère fortement pluraliste du réseau de la santé et des services sociaux, la gestion doit migrer vers une gestion collaborative où l’intégration horizontale est recherchée afin de réorganiser les trajectoires des soins et des services dans le but d’une valeur ajoutée pour l’usager (Aghren, 2014). Dans le cadre de la transformation actuelle, le système intégré de gestion de la performance et l’ intégration horizontale des soins et des services pourraient présenter des avantages dans une perspective d’amélioration de la performance du réseau de la santé et des services sociaux. Depuis quelques années, le Québec s’inspire d’établissements de santé reconnus pour leur performance organisationnelle soutenue par le Lean management. Pour n’en nommer que quelques-uns, Thedacare au Wisconsin, l’Hôpital St-Mary’s en Ontario et le Baptist Health Care en Arkansas font partie de ces établissements de premier plan. Ces derniers expérimentent depuis plusieurs années le Lean qui est défini comme une philosophie de gestion et inspiré par un ensemble de principes issus du modèle Toyota (Poksinska, 2010; Toussaint et Berry, 2013). Malgré la mise en oeuvre de systèmes intégrés de gestion de la performance fortement influencés par le Lean, aucun établissement de santé n’a expérimenté cette approche dans l’ensemble de ses services (Spear, 2005). Il s’agit plutôt de projets ponctuels comme à l’urgence ou au département informatique par exemple.
Le réseau de la santé et des services sociaux en mode apprentissage En septembre 2015, l’ensemble des présidents-directeurs généraux des CISSS, CIUSSS et CHUS sont en accord, pour doter chacun des établissements de santé et de services sociaux ainsi que les différentes directions du ministère associées, de salles de pilotage stratégiques. Ils adhèrent d’emblée aux principes d’un système intégré de gestion de la performance. Dans le cadre du soutien à la transformation actuelle, le MSSS mandate en 2015, la Chaire IRISS afin d’offrir une formation et un accompagnement sur mesure auprès des comités de direction des établissements et au personnel des directions du MSSS pour faciliter l’implantation des salles de pilotage. Les activités de formation et d’accompagnement se sont étalées entre novembre 2015 et juin 2016. Le MSSS est conscient que pour voir un véritable changement s’opérer, les gestionnaires doivent apprendre à penser, agir et à gérer autrement et inclut à sa planification stratégique l’obligation de déployer une salle de pilotage stratégique. La transformation d’organisations bureaucratiques (Mintzberg, 1989) en des organisations qui sont en recherche constante de performance et d’amélioration continue est une démarche longue et difficile qui se déroule sur plusieurs années (Graban, 2012). Pour soutenir la démarche et le rythme d’implantation du système intégré de gestion de la performance, l’entente de gestion et d’imputabilité 2017-2018 oblige les établissements à déployer et à mettre en oeuvre des salles de pilotage tactiques et opérationnelles au sein des établissements à un rythme accéléré. Ces salles, représentant deux niveaux hiérarchiques, sont déployées quasi simultanément pour obtenir des gains rapides de performance.
Le déploiement va bon train puisque 90% des établissements ont déployé leur salle de pilotage stratégique en mai 2017. Au total, ce sont 31/34 établissements et 551 participants qui sont formés à l’utilisation d’une salle de pilotage stratégique et par ricochet, sont interpellés à s’approprier un nouveau modèle de gestion de la performance2. Malgré le bon taux de déploiement, la fréquence d’animation de la salle stratégique se réalise à géométrie variable et n’est pas conforme au cadre de référence sur les salles de pilotage (2015). L’animation de la salle de pilotage stratégique se réalise à rythme de deux fois par semaine pour certains établissements allant jusqu’à une fois par six semaines pour d’autres. Le cadre de référence sur les salles de pilotage (2015) suggère que l’utilisation de la salle de pilotage stratégique par le PDG et son équipe s’intègre au calendrier des rencontres périodiques du comité de gestion réseau (CGR) rassemblant l’ensemble des Présidents-directeurs généraux. Ainsi, l’animation de la salle de pilotage stratégique devrait se tenir avant celle du CGR et maintenir un rythme à raison d’une fois par mois. La salle de pilotage stratégique est sous la responsabilité de la présidence-direction générale. Les PDGA et DGA participent activement à la salle de pilotage stratégique par sa mise à jour dans le but de valider les points abordés lors des rencontres de pilotage et ainsi éviter les justifications pour se concentrer davantage sur une gestion collaborative favorisant les apprentissages organisationnels.
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