L’exploration de l’intériorité et de l’intimité des personnages dans L’enfant d’octobre
Toute une pléiade d’ émotions est présentée dans L’enfant d ‘octobre: on y retrouve à la fois des émotions réelles, qui sont issues, notamment, des autobiographi es publiées par les Villemin, mais également des émotions fictives, qu’elles soient complètement inventées par l’auteur, ou encore qu ‘elles aient été reprises de la presse qui avait fait la couverture médiatique de l’ affaire Grégory. C’est justement cet amalgame d’émotions référentielles et inventées qui permet à Besson de tisser un récit logique. Il reprend certes une aftàire judiciaire réelle, mais n’ hésite pas à forger de nouveaux éléments lorsque les tàits sont incertains ou difficiles à comprendre. Il crée ainsi une chaîne de causalité qu’ un texte purement informatif ne pourrait mettre en lumi ère, ce qui lui permet d’apporter des réponses et des hypothèses sur une affaire qui demeure in·ésolue au moment de la parution de son roman.
L’inspiration référentielle
Une des sources d’ inspiration principales de Besson dans la rédaction de L ‘enfant d’octobre a visibl ement été les écrits des époux Villemin eux-mêmes. Dans cette partie, nous verrons que. en vue de réhabiliter la mère et de réitérer son innocence, Besson cherche dans un premier temps à rétablir la vérité, notamment en décrivant les événements et le véc u des Villemin tels qu’ ils les rapportent eux-mêmes. Dans un second temps, il semble plus précisément vouloir attirer la sympathie de ses lecteurs sur Christine Villemin en mettant en récit les émotions négatives qu’elle a vécues et dont elle fait mention dans ses autobiographies, voire en lui faisant exprimer ses pensées les plus intimes et les plus noires.
Parmi les émotions inspirées des autobiographies des Villemin, on retrouve notamment tout ce qui a trait à leur amour : l’amour qui unit Christine à Jean-Marie, mais également l’ amour que le couple porte à leurs deux fils, Grégory et Julien. C’est avec force détails que Besson décrit d’ abord les premières années d’amour qu’ont vécues ceux qui devi endront par la suite les époux Villemin : Ils s’ aiment. Ce sont des choses qui arrivent. / Ils s’aiment à leur manière, bien sûr, sans effusions. Sans ostentation. Sans en rajouter, ça n’est pas le genre. On les voit ensemble, mais ils ne se tiennent pas la main. Ils ne font pas de mystère de leurs sentiments, mais ils n’en font pas étalage. Ils ne se livrent pas à des confessions, à de grandes déclarations, ils ont leur pudeur tout de même. Toutefois, lorsqu ‘ ils se retrouvent seuls à l’abri des regard s, ils savent qu ‘ ils sont faits l’ un pour l’ autre, ils apprennent les étreintes, s’échange nt des se rments, prononcent des mots dangereux, des phrases qui parlent d’ amour. (ED, p. 18)
S’il insiste ainsi sur le sentiment amoureux qui unit Christine et Jean-Marie Villemin, c’est en partie pour infirmer les accusations que certains ont portées à l’encontre de la mère selon lesquell es ce serait son dégoût envers son mari et sa famille qui l’aurait poussée à assassiner son propre fils. Ce sentiment amoureux simple et pudique est également central dans les autobiographies, notamment lorsque les époux se remémorent les débuts de leur relation et leurs escapades de jeunesse, loin des regards: C. : Sur le Pont Blanc, les autres avaient l’habitude de graver leurs noms dans la pierre. On trouvait cela idiot. On voulait vivre quelque chose de différent. On partait sur ta « motoguzzi » sur les petites routes où on s’arrêtait pour se promener dans les champs de blé, de pâture ou les lisières de bois. [ .. . ]
C. : Tu te souviens du petit village où nous allions souvent? [ … ] / Il Y avait un petit bistrot, avec juste quatre tables, sans flipper ni baby-foot. Les petits vieux se donnaient rendez-vous là. On aimait beaucoup ce café. La patronne, une femme frisée, tout sourire, nous disait : « Ah, voilà mes amoureux! » Nous étions le seul couple de jeunes à venir chez elle. (SO. p. 26-27) Besson reprend de ce passage non seulement la force de l’amour qui unit Christine et Jean-Marie Villemin, mais également leur besoin de discrétion. Ce rappel n’est pas sans effet, sachant que les époux ont vu leur vie privée étalée sur la place publique par la presse à partir d’octobre 1984. Ce faisant, Besson les défend également des accusations qu’on a portées contre eux selon lesquelles ils auraient sciemment divulgué des éléments de leur vie privée en vue de générer un capital, notamment en accordant des entrevues et en participant à des séances photo. Les époux sont en effet très clairs dans leurs autobiographies: ces cachets ont exclusivement servi à payer les mesures judiciaires engagées. Ce passage exerce donc une double fonction: il réaffirme l’amour qui unit les époux, tout en infirmant les allégations d’opportunisme.
D’ ailleurs, Besson, qui fait déjà mention de serments et de promesses que se seraient échangés les époux au début de leur relation, insistera encore à plusieurs reprises sur la fidélité qui les unit .Or, celle-ci est également centrale dans les autobiographies: C. : Dans la voiture nous [Christine Villemin et son avocat, Me Garaud] sommes restés seuls. » m’a demandé: « Je vais vous poser une question indiscrète, mais je n’en parlerai à personne, même pas à votre mari, cela restera entre nous. Est-ce que vous avez un amant? » J’ai répondu tout de suite non. J’ai ajouté que toi non plus, tu n’avais pas de maîtresse. (Sa, p. 84)
Cette fidélité a en effet souvent été remise en question par les médias et par la justice, de même que par le public, dans les années suivant le meurtre. On a cru que Christine Villemin avait un amant, ce qui aurait pu la pousser à fuir une vie dont elle ne voulait plus, ou encore qu ‘elle était la maîtresse, et donc la complice, de Bernard Laroche. C’est justement ce que Besson souligne dans le passage suivant, tout en réitérant la solidité de l’amour qui li e les époux : Cet amour-là, souvent, sera questionné. On doutera de sa sincérité. Ou de sa force dans l’épreuve. Pourtant, jamais il ne lâchera. Tous ceux qui ont approché Christine et JeanMarie ont fini par admettre la vigueur de leur lien, de leur loyauté. Seuls les envieux, les jaloux ou les ignorants ont ironisé. Ceux-là auront spéculé en vain. Vingt ans plus tard, c’est encore cet amour qui unit Christine et Jean-Marie Villemin. Plus un cadavre.
L’accent mis sur la fidélité et sur l’amour par Besson n’est donc pas fortuit: il sert à rétablir les tàits et à infirmer toutes les rumeurs qui ont pu courir quant aux liens qui unissaient les parents de la jeune victime. C’est donc à la fois en récupérant des éléments de leur intériorité (leurs émotions), mais également de leur intimité (leur fidélité) que Besson construit l »image d’un couple uni et amoureux, conformément à l’image que les Villemin ont voulu projeter d’eux-mêmes dans leurs autobiographies. À la lecture de ces passages du roman, il est difficile de croire en effet, contrairement à ce qui a été abondamment répété dans la presse, que Christine Villemin était malheureuse en ménage.
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