L’approche de démocratisation culturelle
Issue des années 1960, l’approche de démocratisation culturelle s’est imposée en raison des inégalités d’accès à la culture (Martin, 2014). À ce titre, dès 1961, André Malraux, premier détenteur du ministère de la Culture, en France, milite afin de rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres de la culture savante (Donnat, 2003). « Cet objectif reposait sur le concept de la culture comme un bien public, sur la perception des arts classiques comme l’aboutissement d’une culture et sur le partage de cette culture élitiste par le plus grand nombre» (Courchesne & Colbert, 2014, p. 2). Dans la plupart des pays occidentaux, la démocratisation culturelle est au cœur du développement des politiques culturelles créées après la Seconde Guerre mondiale (Santerre, 1999). Pour la période contemporaine, cette volonté de démocratisation culturelle est l’une des principales justifications de l’action publique en matière de culture au Québec, au Canada et dans les pays occidentaux (Bellavance, 1999). Au cours de cette période, plusieurs instances gouvernementales commencent à s’impliquer directement dans le soutien et le développement culturel (McCarthy et al., 2001). Cette implication de la part de l’État se traduit, entre autres, au Canada et aux États-Unis, par la construction d’équipements culturels d’envergure. C’est dans cette foulée que s’inscrit la période d ‘émergence des grands centres culturels (arts centers), selon Illien (1995) : Dans les années d’après-guerre et jusqu’au début des années soixante-dix, les arts centers poussent comme des champignons dans la plupart des grandes villes américaines. Une frénésie de construction semble s’emparer des grands centres urbains où l’on voit apparaître des édifices monumentaux dont la vocation officielle est de promouvoir et de démocratiser les arts dans toute la population. (p. 46) .
Mais qu’est-ce qu’un centre culturel du domaine des arts de la scène (arts centers)? Selon Dewey Lambert & Williams (2017), il s’agit d’une « organisation urbaine majeure qui gère une ou plusieurs salles et qui peut varier selon ses budgets, ses programmations, ses programmes éducatifs et ses initiatives d’engagement communautaire» [traduction libre] (p. 5). En vue de mieux comprendre la nature et l’évolution de l’action de ces centres culturels des arts de la scène, la section subséquente présente leur historique, au niveau international.
L’historique des centres culturels du domaine des arts de la scène
Durant les décennies 1960-1970, « la situation du Canada ressemblait fortement à celle des États-Unis: une multiplication des centres culturels dans l’ensemble du pays à la même époque [et] l’attribution d’ une mission symbolique, monumentale ou commémorative à ces lieux [ … ] » (Illien, 1999, p. 70). Cependant, le Canada se distingue des États-Unis par le rôle prépondérant que joue l’État dans le financement et dans l’administration des divers centres culturels (Illien, 1999). De son côté, bien que la France investisse massivement dans ses infrastructures culturelles, ce sont les « maisons de la culture» qui jouent essentiellement le rôle des centres culturels nord-américains. « Implantées dans des théâtres ou des salles municipales [ … ], ces structures entendent favoriser la rencontre immédiate [ … ] entre le public provincial et les formes consacrées de la haute culture universelle » (Aboudrar & Mairesse, 2016, p. 33). Contrairement au reste du Canada et des États-Unis, le Québec adopte, quant à lui, un modèle hybride dans lequel coexistent les centres culturels et les maisons de la culture. Bien que le modèle nord-américain diffère de celui de la France, un point commun rassemble ses initiatives culturelles: la volonté de démocratiser les arts. Bref, dès leur construction, les centres culturels du domaine des arts de la scène ont pour mission de permettre un accès à la culture à la population en général (Dewey Lambert & Williams, 2017). Ainsi, la volonté de démocratisation culturelle y est présente dès leur apparition.
Au cours des années 1970-1980, les produits culturels que sont les spectacles profitent d’ une diffusion de plus en plus étendue par l’entremise des centres culturels (Toffler, 1964; cité dans Illien, 1999). De plus, leur arrivée dans le paysage nord-américain est soutenue par un public grandissant pour les œuvres de la haute culture, car : « l’Amérique des années soixante sort de l’ ignorance et s’expose aux lumières des arts autrefois réservés à l’élite de la population » (Toffler, 1964; cité dans Illien, 1999, p. 49). En ce sens, les changements sociaux et économiques qui s’opèrent en Amérique du Nord, tels qu ‘une croissance du niveau de vie, du niveau d’éducation et du temps de loisir, ainsi que l’arrivée à l’âge adulte des Baby-Boomers appuient la construction de centres culturels en augmentant la demande pour ceux-ci (McCarthy et al., 2001).
Au cours des années 1980-1990, les centres culturels sont face à de nouveaux défis, principalement d’ordre financier. Au cours de cette période, aux États-Unis, plusieurs fondations vouées au soutien des arts changent leurs priorités et diminuent leurs contributions (Wolff, 2017).
Au cours des années 1990, la situation se détériore davantage en raison de la récession économique (McCarthy et al., 2001). D ‘autre part, des changements d’ordre technologique affectent les centres culturels de l’époque. En effet, la popularité croissante d’Internet vient modifier la consommation culturelle de la population en leur donnant accès à du contenu disponible sur demande (Wolff, 2017). Par ailleurs, l’industrie du divertissement continue de prendre de l’ampleur et de faire compétition à l’offre des centres culturels (Wolff, 2017).
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