Généralités sur les boues papetières et de désencrage
L’industrie papetière a recours à plusieurs catégories de procédés afin de produire de la pâte à papier. Les procédés mécaniques utilisent principalement de l’énergie mécanique pour briser les liens unissant les fibres de bois, la pâte thermomécanique (PTM) est le produit le plus répandu pour les procédés de réduction en pâtes mécaniques. Les procédés chimiques utilisent des produits chimiques et de la chaleur afin de détruire ou de dissoudre les liens chimiques entre les fibres de bois essentiellement la lignine, la pâte kraft est le procédé chimique le plus courant. Et enfin, les procédés hybrides, font appel à des procédés chimiques ou mécaniques (Smook, 2002). Ces procédés influenceront par la suite la qualité et la composition du papier et aussi la composition de certains résidus comme les boues papetières appelées aussi « biosolides ». Les biosolides sont par définition les résidus solides récupérés à partir des eaux des traitements lors de la mise en pâte et du processus de fabrication ou de désencrage du papier et ayant un pourcentage de siccité supérieur à 0,5% (Hébert et al., 2015). Il existe différents types de biosolides papetiers primaires, secondaires, mixtes et de désencrage (Scott et Smith, 1995 ; Camberato et al., 2006). Les boues primaires sont issues de la première étape du traitement, au niveau du clarificateur primaire soit par sédimentation ou encore par flottation à air dissous. Les boues secondaires sont issues d’un processus biologique qui a lieu dans un grand bassin de décantation où les micro-organismes transforment les déchets en gaz carbonique et en eau tout en consommant de l’oxygène. Les boues primaires mélangées avec les boues secondaires sont appelées boues mixtes. Il y a aussi les rejets, produits par l’élimination des encres lors du processus de désencrage, appelés les boues de désencrage (BDD) (Brouillette, 1996).
Problématique des boues de désencrage
La manutention, le transport et l’enfouissement des BDD dans les décharges posent plusieurs problématiques d’ordre environnemental, économique et social. En effet, certaines décharges contrôlées se trouvent saturées, ce qui peut pousser à certaines autres pratiques comme le dépôt des BDD dans des décharges non contrôlées ou des anciens sites miniers (Figure 2.1). Les BDD renferment cependant de la matière organique (MO) principalement lignocellulosique (cellulose, hémicelluloses et lignine) et se caractérisent par un pH neutre à basique, une richesse en carbone et en calcium et des teneurs faibles en éléments nutritifs (N, P, K) (Camberato et al., 2006 ; Rashid et al., 2006) comparativement à d’autres sources de matière organique (Tableau 2.1) et peuvent être utilisées comme amendement pour les sols ou en matières résiduelles fertilisantes (MRF). D’après l’étude de Beauchamp et al. (2002), les BDD contiennent des teneurs relativement faibles en métaux et le risque de contamination s’il existe, est plutôt organique que métallique. Cependant, la composition des BDD varie d’une industrie à une autre suivant le processus de mise en pâtes et de désencrage (Rashid et al., 2006) d’où l’importance de refaire les étapes de caractérisation et de prétraitement pour chaque industrie. La caractérisation des BDD et la compréhension du processus de désencrage constituent une étape primordiale pour déterminer si les teneurs en oligo-éléments et en contaminants excèdent les limites fixées pour les MRF (Tableau 2.1). Les BDD renferment des acides gras et résiniques provenant du bois ou des produits chimiques ajoutés lors du processus de désencrage, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des composés organochlorés comme les dioxines et les furanes provenant des produits chlorés utilisés pour le blanchiment des pâtes. Mais seules les dioxines et les furanes sont prises en compte dans les limites établies par MDDEP (2007).
Utilisation des boues de désencrage en matériaux de construction ou dans d’autres matériaux renouvelables L’étude de Soucy (2016) montre que les boues papetières, étant riches en fibres et en cellulose, améliorent les propriétés des composites bois polymères (CBP). En effet, l’auteur met en évidence l’importance d’incorporer de la cellulose et des matières inorganiques essentiellement présents dans les boues primaires dans les CBP car ils peuvent agir comme agents de renfort. Cependant, les substances extractibles, les composés azotés et la lignine qui sont présents essentiellement dans les boues secondaires, sont moins nécessaires dans la fabrication des CBP. L’étude de Djerroud (2017) a évalué le potentiel des BDD dans la production des CBP et a démontré comment l’augmentation des proportions des BDD a amélioré les propriétés mécaniques et physiques des composites. La combinaison BDD et fibres KRAFT a permis d’améliorer plusieurs propriétés mécaniques et physiques comme la stabilité dimensionnelle (moins de risque de gonflement) (Djerroud, 2017). L’étude de Haddar et al. (2017) a abordé les possibilités de l’incorporation en forte teneure des BDD comme agent de renforcement lors de la fabrication du composite bois polymère à haute densité (PEHD). L’ajout de la BDD a également amélioré la stabilité thermique et a augmenté la cristallinité des composites.
Une teneur élevée en BDD (40%) et 3% de maleic anhydre polyéthylèene (MAPE) ont permis une bonne adhérence interfaciale entre les fibres des BDD et le PEHD. Les travaux de Haddar et al. (2018) ont évalué le potentiel de renforcement des fibres de Posidonia oceanica (POF) et des BDD sur les propriétés thermo-mécaniques des composites binaires et des PEHD. Les résultats de cette étude ont démontré que la substitution de 20% de POF par 20% BDD améliorerait les propriétés thermomécaniques des composites binaires et les PEHD notamment la stabilité, la cristallinité, la ductilité (la capacité de se déformer) et la résistance aux chocs du composite hybride à base de BDD. De même, la BDD améliore la stabilité thermique des composites PEHD/BDD/MAPE. Ainsi, la BDD peut être utilisée comme alternative au POF dans la fabrication de composites et cela pourrait être une piste de valorisation à considérer. Migneault et al. (2015) ont trouvé que l’incorporation des boues de désencrage au mélange produissent le composite bois-plastique le plus solide et le plus stable sur le plan dimensionnel. Migneault et al. (2011) a utilisé les boues primaires et secondaires pour la fabrication de panneaux composites à moyenne densité (MDF). D’autres études comme ceux d’ELOuazzani et al. (2013) ont utilisé les BDD dans la composition du ciment. Cependant ces travaux n’ont pas évalué les risques de contamination et de toxicité liés à l’utilisation des BDD en tant que nouveaux matériaux renouvelables.
Utilisation des sous-produits de bois de l’industrie papetière dont les boues de désencrage en foresterie et en agriculture L’enfouissement des biosolides augmente les émissions de GES (CO2, CH4) d’où l’importance de miser sur la valorisation par épandage agricole ou sylvicole (Majumder et al., 2015). Dans ce contexte, le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) a proposé une nouvelle appellation : Matières Résiduelles Fertilisantes (MRF) et un guide d’utilisation avec des normes et des critères environnementaux (Hébert el al., 2015). L’épandage des MRF a plusieurs objectifs: l’amélioration de la fertilité des sols et le rendement des cultures, la restauration des sites dégradés et des sites miniers et la diminution des émissions de GES (Fierro et al., 1999 ; Fierro et al., 2000 ; Ziadi et al., 2013 ; Faubert et al., 2016). L’utilisation de biosolides papetiers contribuerait à la diminution des émissions de GES, essentiellement le N2O en comparaison avec d’autres fertilisants en milieu agricole (Chantigny et al., 2013) et en milieu forestier (Royer-Tardif et al., 2019). Depuis ces dernières décennies, la matière organique d’origine industrielle peut donc être utilisée en agriculture et en forêts comme les biosolides papetiers et les boues de désencrage, la chaux et les cendres issues de la combustion de bois.
Des essais ont démontré que l’ajout des BDD améliorait la croissance du peuplier faux-tremble en comparaison avec d’autres essences et amendements (Filiatrault et al., 2006). D’autre part, Laganière et al. (2015) présentent le peuplier faux-tremble comme un déterminant clé dans le stockage de carbone dans l’écosystème forestier dans la forêt boréale à cause de plusieurs paramètres à savoir l’enracinement profond, la qualité de la matière organique qu’il produit et son abondance. Des études devront être menées dans ce sens afin d’évaluer l’effet de l’ajout des BDD sur la croissance de certaines essences. Les amendements calcimagnésiens (ACM) alcalins comme les cendres et les boues de désencrage sont utilisées pour augmenter le pH du sol favorisant ainsi une meilleure nutrition et une meilleure croissance de l’arbre (Hébert et al., 2015) tout en réduisant les émissions de GES (Royer-Tardif et al., 2019). Les conditions climatiques, la durée d’application et le temps d’intervention sont à prendre en considération lors de l’amendement. Il est parfois nécessaire d’ajouter ou de combiner les BDD avec d’autres matières organiques riches en azote, phosphore et potassium telles que les fientes de volailles ou avec certains engrais pour ne pas provoquer des carences au niveau des plantes (Van der Perre et al., 2012).
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