Préparation à l’école primaire
La préparation à l’école est généralement perçue, à tort, comme le fait d’acquérir plusieurs habiletés scolaires. En Amérique du Nord, selon Miller et Almon (2009), plusieurs professionnels dénoncent le virage effectué vers l’enseignement formel de la lecture, de l’écriture et des mathématiques au préscolaire ainsi que la présence d’évaluations et de tests. Des milieux éducatifs et des parents tentent de plus en plus tôt d’engager les enfants dans un nombre considérable d’activités culturelles, linguistiques et sportives: les apprentissages formels sont donc devancés, restant très peu de temps pour les périodes de jeu libre (Conseil supérieur de l’éducation, 2012). L’ajout de cours magistraux en bas âge serait, selon Marcon (2002), une méthode prometteuse à court terme, mais ne procurerait aucun avantage à long terme: elle serait même nuisible, car le fait de vouloir donner une longueur d’avance aux enfants pour qu’ils soient prêts pour l’école se ferait souvent au détriment de leurs réels besoins et au prix d’un stress important (Elkind, 2008). Les valeurs sociétales de compétition et de performance pourraient justifier en partie la tendance actuelle à vouloir développer, comme Elkind (1987) les a surnommés, des Superkids. La psychologue Suniya Luthar et son équipe de recherche ont d’ailleurs déterminé que les enfants dont la réussite scolaire était accompagnée d’une forte pression parentale, et qui cumulaient les activités extrascolaires, seraient les plus enclins à souffrir d’anxiété ou de dépression (Luthar et Latendresse, 2005). Malgré cette tendance à la scolarisation hâtive, les recherches sont sans équivoque à ce qui a trait à l’éducation préscolaire: les jeunes enfants ont besoin de jouer. Le jeu est l’outil principal par lequel ils sont en mesure de découvrir par eux-mêmes leurs intérêts et d’exprimer leurs ressentis: le jeu favorise donc de nombreux apprentissages (Miller et Almon, 2009). Avant l’entrée à l’école, il serait important que les enfants puissent bénéficier d’opportunités, pendant des périodes de jeu, de développer les habiletés, les attitudes et les comportements considérés comme indispensables à leur cheminement scolaire; apprendre à persévérer devant des difficultés, maîtriser leur corps, surmonter les craintes et gérer les émotions en sont quelques exemples. Par conséquent, il serait nécessaire de modifier la tendance à la scolarisation hâtive pour favoriser une approche éducative basée sur les théories associées au développement global de l’enfant.
Compétences cognitives.
Piaget (1951/1962) et Vygotsky (1971) ont été dans les premiers à reconnaître le rôle du jeu dans le développement cognitif des enfants. Piaget percevait l’enfant comme un être qui construisait et reconstruisait continuellement la réalité lui permettant ainsi d’intégrer des concepts simples dans des concepts plus complexes (Smilansky et Klugman, 1990). Selon la théorie cognitive, le jeu est un comportement adaptatif qui aiderait l’enfant à intégrer la pensée à l’action soit d’élargir et de consolider ses connaissances ainsi que son savoir-faire. Piaget a établi trois périodes associées aux types de jeux: la période sensori-motrice (0-2 ans), la période représentative ou pensée symbolique (2-6 ans) et la période sociale (7-11 ans). Smilansky (1968), collègue de Piaget, a ensuite défmi quatre types de jeu reflétant le développement cognitif des enfants: 1) le jeu fonctionnel, répondant aux besoins des enfants d’être actifs et d’explorer leur environnement; 2) le jeu de construction où l’enfant conçoit ou 16 assemble un objet; 3) le jeu symbolique où les enfants s’attribuent des rôles et ; 4) le jeu formel comprenant des règles préétablies généralement par des adultes. Ces types de jeu évoluent durant la période de l’enfance en termes de complexité et de combinaisons possibles (Smilansky et Klugman, 1990). Vygotsky (1971) a, quant à lui, élaboré la théorie socioculturelle s’intéressant davantage au rôle de l’interaction sociale comme élément soutenant le développement cognitif des enfants.
Bien que Piaget soutienne que la connaissance résulte de l’expérience personnelle, Vygotsky a plutôt approfondi l’importance de l’influence des familles, des communautés et des autres enfants: le développement social et le développement cognitif allaient, selon lui, de pair (Vygotsky, 1971). De ce fait, Vygotsky a élaboré la zone de développement proximal soit une notion décrivant le fossé entre ce qu’un enfant peut accomplir seul et ce qu’il est en mesure de faire avec l’aide d’une autre personne plus qualifiée ou expérimentée, que ce soit un enfant ou un adulte. Cette notion met en perspective l’importance de l’observation directe des enfants afin de déceler leurs capacités et ainsi être en mesure de planifier des programmes personnalisés selon leurs besoins actuels. Malgré la croyance populaire que l’activité intellectuelle est la meilleure manière de développer les habiletés cognitives, les périodes de jeu de grande qualité encouragent également l’apprentissage (Bergen, 2018). D’ailleurs, il a été discuté, dans l’étude de Burdette et Whitaker (2005), que les opportunités de résolution de problèmes en contexte de jeu favorisaient le développement des fonctions exécutives ; elles peuvent être définies par l’ensemble des processus permettant à une personne de contrôler de manière intentionnelle sa pensée et ses actions afin d’ atteindre des buts (Gagné, Leblanc et Rousseau, 2009). Ces fonctions, incluant, entre autres, la mémoire de travail, la planification, la flexibilité cognitive et l’activation, sont importantes non seulement pour la réussite éducative ultérieure, mais également pour l’accomplissement des tâches du quotidien. (Burdette et Whitaker, 2005; Gagné et al., 2009).
Compétences physiques.
Au Canada, Truelove, Vanderloo et Tucker (2017) ont publié une revue systématique afin d’examiner les différentes définitions du jeu actif figurant dans la littérature. Plusieurs professionnels, oeuvrant dans des secteurs distincts (éducation, psychologie du comportement, activité physique), s’intéressent au jeu actif ce qui, actuellement, engendre certaines distinctions dans les définitions. Or, certaines notions apparaissent dans la plupart d’entre elles comme l’augmentation de la dépense énergétique, la possibilité de se chamailler, la sollicitation des habiletés motrices globales, la liberté de choisir, l’absence de structure ainsi que le plaisir (Truelove et al. , 2017). De plus, le jeu actif a souvent été décrit comme une forme d’ activité physique. À l’opposé des sports organisés ou des activités physiques structurées, le jeu actif, souvent effectué à l’extérieur, n’a pas nécessairement de buts ou de résultats attendus (Jeunes en forme Canada, 2012). Les avantages du jeu actif à l’extérieur sur les habiletés physiques peuvent être, en partie, expliqués par le fait que les espaces de jeu sont moins structurés, donc plus variables et moins contraignants qu’à l’intérieur (Burdette et Whitaker, 2005). De plus, à travers une multitude de défis physiques possibles, les espaces extérieurs offrent des occasions aux enfants de solliciter leurs habiletés motrices, de déceler leurs forces et leurs faiblesses et d’explorer pleinement leur environnement à diverses intensités (Fitzpatrick et al. 2015). Les actions de locomotion, comme courir, sauter ou escalader sont des façons naturelles pour l’enfant de s’amuser, mais également de développer sa coordination, sa force, son agilité et son endurance. Ainsi, le jeu actif est un vecteur important autant pour assurer le développement optimal que le bien-être des enfants: il leur permet à la fois d’être actif, d’apprendre et de s’amuser (Ginsburg, 2007).
Déclin du jeu libre et actif: une résultante sociétale
Malgré les bienfaits reconnus pour les enfants, il est possible de constater une diminution marquée des périodes accordées aujeu libre et actif. Ce déclin semble être associé à quatre grandes sources, soit 1) l’augmentation du temps consacré aux leçons académiques et aux tests standardisés, 2) les horaires surchargés comprenant trop d’activités structurées, 3) la hausse des activités sédentaires telles que les jeux vidéo (Miller et Almon, 2009), et 4) la hausse des préoccupations quant au contrôle et à la sécurité des enfants (Jeunes en forme Canada, 2012). Depuis le début du 21 e siècle, les sociétés occidentales ont intensifié leurs préoccupations quant au contrôle et à la sécurité des enfants : comme mentionné dans le Bulletin de l’activité physique chez les jeunes, les enfants ont malheureusement perdu la liberté d’ouvrir la porte et d’aller jouer à l’extérieur en raison du désir de plus en plus important des parents de les protéger des risques potentiels (Jeunes en forme Canada, 2012). Par ailleurs, dans une récente méta-analyse de recherches qualitatives portant sur les déterminants du jeu libre et actif, le principal obstacle recensé pour le jeu sont les préoccupations parentales en matière de sécurité; les parents étaient plus spécifiquement préoccupés par les inconnus, les intimidateurs et la circulation routière (Lee et al., 2015). Les parents se soucient des dangers potentiels tels que les enlèvements et les blessures (Brussoni et al., 2015). Ces préoccupations peuvent non seulement influencer leurs décisions parentales, mais également imposer des limites exagérées vis-à-vis de leurs enfants. L’hyper-parentalité associée à la gestion du risque et les zèles protectionnistes qui en découlent circonscrivent la liberté des enfants et peuvent engendrer des conséquences négatives sur leur bien-être (Miller et Almon, 2009). Les intervenants du milieu scolaire sont également de plus en plus préoccupés par la protection des enfants contre les blessures potentielles (Steinsvik, 2004). En raison, en partie, d’une culture de litige grandissante, accompagnée de situations d’accusations d’irresponsabilité, les membres du personnel scolaire maintiennent une surveillance permanente des activités effectuées par les enfants par crainte d’être tenus responsables des blessures subies par les enfants dont ils ont la charge (New, Mardell et Robinson, 2005). Ce type de préoccupations génère de sérieuses conséquences quant à la capacité des éducateurs de la petite enfance à proposer des activités comportant des risques potentiels, certes, mais favorisant le développement global (New et al., 2005).
RÉSUMÉ |