Détresse psychologique et comportements paternels
Être parent est une expérience stressante qui amène de nombreux défis (Esdaile & Greenwood, 1995; Goodman, Crouter, Lanza, Cox, & Vernon-Feagans, 2011). De façon générale, un haut niveau de détresse psychologique chez les parents a été associé à des habiletés parentales de moindre qualité comparativement aux parents qui présentent un niveau de détresse psychologique moins élevé (Bigras & Lafrenière, 1994; Crnic, Greenberg, Ragozin, Robinson, & Basham, 1983; Darke & Goldberg, 1994; Davis, Crouter, & McHale, 2006; Murray, Fiori-Cowley, & Hooper, 1996). Les études, réalisées majoritairement auprès des mères, ont montré que lorsque ces dernières présentent un niveau important de détresse psychologique, elles sont plus distantes et moins disponibles à Pégard de leur enfant (Bigras & Lafrenière, 1994). Elles présentent aussi un style parental moins adapté, étant notamment plus insensibles, moins coopératives et moins en mesure de soutenir émotionnellement leur enfant (Cummings & Davies, 1994; Downey & Coyne, 1990; Field, Healy, Goldstein, & Guthertz, 1990; Garber & Martin, 2002; Pianta & Egeland, 1990; Silberg & Rutter, 2002), et elles présentent un niveau plus faible d’affects et de comportements positifs (Burge & Hammen, 1991; Downey & Coyne, 1990; Garber, Walker, & Zeman, 1991; Sheeber, Davis, & Hops, 2002).
Au cours des dernières années, certaines recherches ont commencé à faire la lumière sur l’association entre la détresse psychologique des pères et les comportements paternels. Toutefois, les résultats obtenus sont contradictoires (Connell & Goodman, 2002; Cummings & Davies, 1994; Downey & Coyne, 1990; Goodman & Gotlib, 2002; Jacob & Johnson, 1997) ou peu récents. En effet, dans les années 1990, les études ont principalement utilisé une analyse de type quantitatif afm de vérifier si l’on retrouve un lien significatif entre la détresse psychologique des pères et les comportements paternels tout comme cette association a été trouvée auprès des mères (EIder, Conger, Foster, & Ardelt, 1992; McLoyd, 1990; Simons, Whitbeck, Conger, & Melby, 1990). Le manque d’études plus actuelles ciblant les variables à l’étude peut être expliqué par le fait que, dans les années 2000, les chercheurs ont eu comme intérêt principal de préciser davantage le vécu des pères lors de leur paternité, de tenter de comprendre comment se construit l’identité paternelle en leur donnant la parole, notamment lorsqu’ ils vivent leur paternité en situation de précarité (Burbach, Fox, & Nicholson, 2004; Kettani, Zaouche-Gaudron, Lacharité, Dubeau, & Clément, 2017). Pour ce faire, les études réalisées ont présenté davantage une approche de type qualitatif et moins d’études présentent une méthodologie avec des analyses quantitatives recensées. Ainsi, ce constat justifie la pertinence d’explorer davantage les variables de cette présente thèse en utilisant une approche quantitative étant donné le manque et l’ancienneté des études.
Détresse psychologique des pères et problèmes de comportement de l’enfant En plus des comportements paternels, des études ont montré que la détresse psychologique des pères est également associée à davantage de difficultés d’adaptation chez l’enfant, notamment à la présence de problèmes de comportement (Connell & Goodman, 2002; Kettani, Troupel-Cremel, & Pinel-Jacquemin, 2011). Une méta-analyse réalisée par Connell et Goodman (2002) a montré que différents types de problèmes de santé mentale chez le père sont associés à des problèmes intériorisés et extériorisés chez les enfants âgés entre 0 et 18 ans, notamment la présence de dépression, d’anxiété, d’abus de substances, de schizophrénie et d’un trouble de la personnalité antisociale. Lorsque les analyses sont réalisées spécifiquement sur les échantillons incluant des enfants âgés entre o et 6 ans, un lien significatif faible est observé entre les problèmes de santé mentale des pères, tel qu’évalués par la présence d’alcoolisme ou de dépression, et les problèmes de comportement intériorisés et extériorisés chez leurs enfants.
Plus récemment, une étude a montré que le stress parental des pères était associé aux problèmes de comportement de leur enfant âgé entre 2 et 6 ans (Kettani et al., 2011), alors qu’une autre étude réalisée auprès d’enfants âgés entre 3 et 6 ans qui présentent un diagnostic de trouble oppositionnel avec provocation n’a, quant à elle, trouvé aucun lien significatif entre le stress du père et les comportements de soumission de l’enfant à l’autorité et aux directives du père (Calzada, Eyberg, Rich, & Querido, 2004). Ainsi, non seulement les études ont moins évalué l’association entre la détresse psychologique des pères et les comportements de l’enfant d’âge préscolaire mais en plus, celles qui l’ont fait obtiennent des résultats contradictoires. Notons que la méta-analyse de Connell et Goodman n’a recensé qu’une dizaine d’études portant spécifiquement sur l’association entre les problèmes de santé mentale des pères et les comportements d’enfants âgés entre 0 et 6 ans. Bien que pertinente à l’avancement des connaissances, les résultats de la méta-analyse de Connell et Goodman ne permettent pas de rendre compte du processus à travers lequel les difficultés psychologiques des pères se transmettent à leur enfant.
Interactions père-enfant : mécanisme de transmission potentiel
Le modèle écologique-transactionnel (Cicchetti & Lynch, 1993) offre un cadre théorique pertinent à l’étude des facteurs environnementaux associés à l’adaptation des enfants et à la transmission intergénérationnelle des capacités ou difficultés d’adaptation du parent à l’enfant. Selon ce modèle, le fonctionnement adaptatif de l’enfant est influencé par différents niveaux systémiques, tels que le macro système, l’ exosystème, le mésosystème et le microsystème. Le macro système concerne la culture, les croyances, les valeurs et les idéologies de la société qui ont un impact sur tous les autres systèmes. La parentalité est un domaine social qui varie beaucoup d’une culture à l’autre. La culture, de par ses valeurs, sa conceptualisation du rôle de chaque membre de la famille de même que par ses politiques et ses services, teint la façon dont les parents joueront et se partageront leurs rôles (Bronfenbrenner, 1986). Une des variations culturelles les plus importantes concerne la paternité (Morelli & Tronick, 1992). Au cours des dernières décennies, l’idéal prôné est celui d’une égalité et d’une démocratie entre les membres de la famille (Mirande, 1991). Un partage plus équitable entre les deux parents, des tâches familiales et des responsabilités liées à l’enfant est maintenant attendu. En ce sens, cela implique que le père s’investisse autant dans le rôle de pourvoyeur fmancier que de nourricier (NICHD, 2000).
L’exosystème réfère aux sphères dont l’enfant n’est pas un participant actif, mais dont les changements influencent celui-ci, notamment les ressources disponibles dans le quartier où il demeure, les politiques sociales et économiques, etc. (Bronfenbrenner, 1986). Le mésosystème est composé de l’ensemble des micro systèmes et englobe les interactions de ces micro systèmes entre eux. Plus précisément, en se basant sur le modèle écologique de Bronfenbrenner (1986), on peut conceptualiser la relation parent-enfant et la relation conjugale comme représentant des microsystèmes, soit des environnements immédiats déterminants pour le développement de l’enfant. Ces microsystèmes, de par leurs liens entre eux, s’ influencent les uns les autres pour créer des mésosystèmes (Bronfenbrenner, 1986). Le micro système est l’environnement immédiat dans lequel vit l’enfant et dans lequel il participe activement aux activités qui s’y déroulent. L’ enfant est intégré dans plusieurs micro systèmes tels que la famille, les amis, l’école, le service de garde, etc. En se basant sur le modèle écologique de Bronfenbrenner (1986), on peut conceptualiser par exemple la relation parent-enfant comme représentant un micro système, soit un .environnement immédiat déterminant pour le développement de l’ enfant.
Ce modèle apporte une compréhension multifactorielle de l’environnement dans lequel se développe l’enfant tout en accordant un poids respectif à la contribution de chacun de ces facteurs. Parmi ces différents niveaux systémiques qui influencent le comportement d’un enfant, les interactions parent-enfant, du fait de leur nature proximale, sont plus susceptibles d’influencer directement le développement de l’enfant contrairement à des facteurs distaux (p. ex., caractéristiques des parents ou facteurs culturels). Étant donné que les interactions parent-enfant joueraient un rôle central dans le développement socioaffectif de l’ enfant, elles représenteraient donc un mécanisme de transmission potentiel entre les difficultés des parents et celles de l’enfant. Un haut niveau de détresse psychologique chez le parent engendrerait des difficultés au niveau des habiletés parentales qui, à leur tour, influenceraient la qualité des interactions avec l’enfant et le fonctionnement socioaffectif de ce dernier (Conger, Rueter, & Conger, 2000). En appui à ce postulat théorique, des chercheurs ont émis l’hypothèse que les interactions père-enfant pourraient agir comme médiateur potentiel du lien entre la détresse psychologique des pères et la présence de problèmes de comportement chez l’enfant (Kane & Garber, 2009) sans toutefois la vérifier empiriquement.
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