La prise en compte de l’acceptabilité sociale d’un projet de développement est de plus en plus incontournable dans la décision du gouvernement lors de l’émission des certificats d’autorisation. Et même lorsqu’un projet est autorisé par le gouvernement, les opposants ne semblent pas vouloir se ranger à la faveur du projet. Afin de faire ressortir les éléments qui sont suscités par l’opposition à un projet, nous avons choisi de décortiquer un projet de développement d’une mine d’apatite au Saguenay LacSaint-Jean, le projet d’Arianne Phosphate. Ce projet a soulevé une vague d’opposition. Le rapport du Bureau d’audiences publiques met en relief les propos de manière à faire ressortir les préoccupations environnementale, économique et sociale du projet, mais aussi les sentiments vécus par les gens consultés lors du développement du projet.
Outre la description de chaque partie du projet, ce premier chapitre présente le projet minier soumis aux audiences publiques et il permet de distinguer les éléments suscitant l’opposition et la faveur du projet par les participants. À l’aide du rapport synthèse du Bureau d’audiences publiques, on peut relever les expressions traduisant les préoccupations et on peut également en faire ressortir les valeurs qui animent les participants au processus d’audience publique. Ces valeurs serviront à mesurer l’acceptabilité sociale des différentes parties du projet. C’est donc avec le souci de découvrir les valeurs des participants que nous décrivons chaque partie du projet minier. Regardons ce projet d’envergure pour la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean.
Le projet Arianne Phosphate
Historique
Nous connaissons bien le projet d’Arianne Phosphate. Nos fonctions professionnelles nous ont permis de comprendre l’émergence de ce projet depuis le début, avant même que le site soit l’objet d’un projet d’une telle envergure.
Aussi, afin d’en tracer son cheminement, voici les démarches historiques qui ont mené à son développement.
À l’aube des années 2000, la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean s’est dotée d’un mécanisme d’exploration minière, le Fonds minier. Financé par le gouvernement du Québec, ce fonds minier visait à former des prospecteurs dans le but de les amener à faire des découvertes d’indices de gisement de minerai sur le territoire de la région.
En 2001, la découverte de l’indice d’apatite par les prospecteurs a suscité la prise de claims et une analyse de l’abondance de cet indice. Le portrait minéral de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean résume l’importance de la découverte de l’apatite : «Ces ressources sont concentrées dans le secteur du lac à Paul (22E15). Il s’agit d’une ressource ayant un potentiel de dépôts extensifs (très grand volume, faible concentration). Les travaux de l’entreprise Ressources d’Arianne inc., en 2001, ont mis en évidence des indices avec des valeurs d’environ 7.84 % P2O5 et 8.24 % de TiO2 dans une roche grenue (GM-58767). SOQUEM et Virginia ont également intersecté en forage des roches enrichies en P2O 5 et TiO2 (GM-56023). L’évaluation de ces ressources pour les utilisations courantes (fertilisants) rencontre des difficultés liées à l’éloignement de ces dépôts des lieux d’expédition. Cependant, une augmentation dans la demande de l’apatite pour la fabrication de fertilisants (acide phosphorique) ou dans le développement de nouvelles applications de l’apatite à plus forte valeur ajoutée pourrait changer la situation de ces dépôts. Actuellement, la crise alimentaire au niveau mondial pousse à la hausse le prix des produits à la base de la fabrication des fertilisants, la potasse (K2O), le phosphore (P2O5 ) et les nitrates (N). Cette augmentation de la demande et du prix de ces substances pourrait améliorer la viabilité économique des dépôts du lac à Paul. »
La découverte de cet indice est donc le fruit d’une volonté régionale visant à développer la diversification de l’activité économique du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Cette volonté a été supportée par des investissements financiers et des ressources humaines sur plusieurs années.
Au moment d’amorcer la rédaction de ce mémoire, le 22 décembre 2015, Arianne Phosphate venait d’obtenir le décret gouvernemental l’autorisant à exploiter la mine.
La première partie de l’audience publique a eu lieu à Saguenay les 28, 29 et 30 avril 2015. La seconde partie s’est tenue à Saint-Fulgence les 26, 27 et 28 mai 2015.
La Commission a reçu 89 mémoires, dont 52 ont été présentés en séance publique et auxquels se sont ajoutées deux présentations verbales. De façon générale, les participants se montrent favorables au volet minier du projet. Ils ont toutefois soulevé diverses questions sur le transport du concentré et sur l’exclusion du projet d’un terminal maritime à Sainte-Rose-du-Nord à l’extrémité sud du tracé retenu. Ils avaient aussi des préoccupations concernant la démarche de consultation du promoteur, l’évaluation environnementale, la santé et la qualité de vie, la préservation du milieu naturel, les aspects économiques et la raison d’être du projet .
Le projet, en bref
Le promoteur désire entreprendre l’exploitation d’un gisement d’apatite, appelée également roche phosphatée. La mine serait à proximité du lac à Paul, à 200 km au nord de la ville de Saguenay. La zone considérée exploitable économiquement laisserait place à une fosse d’extraction à ciel ouvert qui aurait une largeur de 600 m, une longueur de 2 300 m et une profondeur d’environ 450 m. La production prévue est de 3 Mt/année de concentré d’apatite à 38,6 % de pentoxyde de phosphore (P2O5), pour une durée d’exploitation de 26 ans.
La réalisation du projet exigerait la mise en place de nombreuses infrastructures et installations connexes. Les principales composantes sont : des équipements de concassage et une usine de traitement du minerai, un site de préparation d’explosifs, un campement permanent pour les travailleurs, une aire de stockage de minerai concassé, un bassin de 1 km. Polissage des eaux minières d’une capacité de 1100000 m3 , un système de traitement des eaux usées industrielles, une halde à stériles et un parc à résidus minier.
Le président du BAPE, M. Pierre Baril, a formé une commission d’enquête dont le mandat a débuté le 27 avril 2015 pour une durée maximale de quatre mois. Rappelons que la commission d’enquête a pour mandat d’examiner et d’analyser les répercussions environnementales du projet dans le but de formuler des constats et des avis afin d’éclairer les recommandations que le ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques fera au Conseil des ministres.
L’exploitation de la mine comporte plusieurs étapes. Après l’extraction du minerai de la fosse, celui-ci sera concassé en morceaux de 150 mm et moins pour être broyés sur des circuits de broyage primaires et secondaires afin de les réduire à une taille de moins de 210 µm. La roche phosphatée sera séparée de la magnétique dans un séparateur magnétique. La partie non magnétique (celle qui intéresse le promoteur, la partie valorisable) sera épaissie sous forme de pulpe afin d’obtenir un concentré d’apatite. Il faut une grande quantité d’eau pour produire le concentré par flottation (11 000 m3 /h). Le projet décrit les sources d’approvisionnement envisagées. Le concentré d’apatite filtré et séché sera transporté par de très gros camions, qui sont qualifiés comme « hors normes » sur plus de 200 km jusqu’à un port en eaux profondes afin de pouvoir être acheminé dans d’autres pays par voie navigable. Le coût du projet est estimé à 1,2 milliard de dollars, cela excluant les coûts de construction du port en eau profonde. Les frais d’exploitation de la mine et des chemins forestiers seraient de 7,4 milliards de dollars sur une période de 26 ans, tandis que la restauration du site serait estimée à 42 millions de dollars.
Introduction |